Bonjour à tous,

Pour ce troisième volet de ma rubrique "Tout ce que vous avez toujours savoir..." consacrée aux grands classiques du septième art, j'ai envie de vous emmener sur les terres d'un événement majeur du XXe siècle : la guerre du Viet Nam. Si vous aimez le cinéma, vous n'êtes certainement pas sans savoir qu'Hollywood s'est largement -quoique assez tardivement [*]- emparé de ce thème pour refléter l'état d'esprit des Etats-Unis au sortir de ce conflit meurtrier, de cette guerre sale dans tous les sens du terme. Le Viet-Nam est un authentique traumatisme américain, qui aura laissé des centaines de milliers de vétérans, de retour de la guerre et incrédules, face au regard accusateur de leurs compatriotes. C'est de cela que parlera un certain Rambo: First Blood, qui vaut infiniment mieux que ce que l'on entend parfois dire. C'est, surtout, le thème d'un véritable mythe cinématographique, d'une folie qui serait inenvisageable aujourd'hui. Apocalypse Now est l'enfant d'un mégalomane livré à lui-même. Paradoxalement, Ie film est, certainement, le chef d'oeuvre de Francis Ford Coppola, ceci pour de multiples raisons que je vais tenter d'expliquer plus bas.

[*] Dans une perspective critique s'entend, les films va-t-en guerre ayant ici et là marqué les sorties cinéma au fil des années 1960

Je précise ici, pour les plus jeunes, que certaines sections de cet article peuvent être choquantes. J'en déconseille donc la lecture aux moins de 16 ans.

 

I. Le contexte : le cauchemar vietnamien

 

Et dire que tout est parti, une fois de plus, d'un conflit colonial. La guerre du Viet Nam puise sa source dans celle d'Indochine, qui oppose la France, bien décidée à reprendre le contrôle de sa colonie à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, à la ligue pour l'indépendance du Viet Nam. Tout le monde sait comment cela finit: au printemps 1954, les Français sont acculés à Dien Bien Phu, et sont finalement obligés de capituler après plus de 50 jours de siège.

On ne refera pas ici le résumé des négociations qui ont suivi et qui ont amené au retrait des forces françaises. En revanche, il faut savoir que le Viet Nam est scindé en deux états à l'issue de la guerre. Le Nord est sous influence communiste, le sud reste d'obédience occidentale. Le Sud-Vietnam, encore temporairement sous contrôle hexagonal, obtient ainsi le soutien des Etats-Unis, fermement décidés à empêcher les communistes de prendre le pouvoir. Le problème, à l'instar de ce qui se passe dans plusieurs pays d'Amérique centrale et du sud, c'est que les forces américaines sont prêtes à défendre des pouvoirs toujours plus autoritaires afin d'arriver à leurs fins, à savoir la constitution d'un tampon stratégique pour contenir l'influence communiste. Dès la fin 1955, d'anciens éléments du Viêt Minh reprennent le maquis, et en 1960 naît le Front national pour la libération du Sud Vietnam (FNL). On l'appellera communément Viêt Cong.

Les tensions dans le Viet Nam Sud sont de plus en plus vives, mutant guerre civile entre le gouvernement et les tenants du FNL (soutenus par le Viet Nam Nord, lui même armé par la Chine et la Russie). Les Américains, lors, finissent par franchir le pas: le conflit devient guerre au Sud en 1964, puis au Nord en 1965. Dès 1966, Lyndon Johnson autorise l'utilisation du napalm dans les bombardements du Nord Viet-Nam.

Le conflit n'aura pas une issuée rapide, au contraire. En fait, il se soldera en 1975 par le retrait des troupes américaines, marquées par l'emblématique prise de Saïgon le 30 avril de cette année-là. Mais entre 1965 et 1975, il y a une énorme différence : l'armée américaine a perdu le soutien du peuple américain, qui lui était d'abord acquis. Un événement a changé la donne : en février 1968, le Viêt Cong lance l'offensive du Têt (nouvel an asiatique): 230 000 hommes s'en prennnet alors à une centaine de villes, remettant en cause les positions américaines et sud-vietnamiennes. Un paradoxe majeur se joue à ce moment-là : l'opinion américaine croit que le FNL est au bord de la déroute -ce qui est le cas- avant cette offensive. Mais l'attaque, qui est un échec militaire pour les forces ennemies, est une victoire psychologique: si la population sud-vietnamienne se soude contre les rebelles, l'inverse se passe aux Etats-Unis, la population prenant alors très largement fait et cause contre le conflit et souhaitant de manière de plus en plus appuyée le retrait des troupes. Le mouvement du Flower Power prend à ce moment-là toute son ampleur, la critique de la politique extérieure américaine jusqu'alors larvée passe au premier plan.

 

Pour ne rien arranger, le conflit est de plus en plus médiatisé, et les exactions commises par les troupes US trouvent une nouvelle visibilité. Le massacre de My Lai, commis pendant l'offensive du Têt, est révélé au monde un an plus tard: l'armée américaine, pensant éradiquer une poche viet-cong, dérape ce 16 mars 1968. Des femmes sont violées, torturées, tuées, des enfants massacrés. On parle de 340 à 504 victimes, selon les comptages, officiels ou non. Une vision d'horreur qui achève de consommer le divorce entre l'armée et l'opinion publique. Ce n'est pas en héros, mais en parias, que rentreront au pays les vétérans du Viet Nam.

Le massacre de My Lai fait la une des journaux lorsqu'il est révélé au grand public.


 

Une enfant âgée de 8 ans (au milieu) est grièvement brûlée dans le dos lors d'une offensive US au napalm. Là encore, l'image fait le tour du monde.


Un homme soupçonné d'appartenir au Viêt Cong est abattu sommairement d'une balle dans la tête par le chef de la police de Saïgon, en 1968, dans la rue. Devant les caméras américaines.


II.  Le vent de la contestation souffle à Hollywood

Si Hollywood reste jusqu'à la fin des années 1960 un soutien ferme de la politique extérieure américaine, la critique commence à poindre, en particulier après les événements de 1968. Little Big Man, MASH, Alice's Restaurant, Greetings abordent indirectement la question du conflit vietnamien, usent de métaphores et d'allusions pour poser leur propos antimilitariste. C'est un signe précurseur, annonciateur d'une vague qui aborde frontalement le sujet à partir du milieu des années 1970, dès après le retrait total des forces américaines (Voyage au bout de l'enfer de M. Cimino, en 1978, ouvre la voie).

Little Big Man évoque, indirectement, la critique du conflit vietnamien.

 

Apocalypse Now voit le jour dans ce contexte. A l'époque, Coppola surfe sur le succès. Les deux premiers "Parrain" et "Conversation secrète" ont placé le réalisateur au firmament d'Hollywood, où sa réputation égale à l'époque celle d'un certain Orson Welles. Un clin d'oeil de l'histoire, car Orson Welles a lui aussi voulu, par le passé, adapter le roman de Joseph Conrad, "Au coeur des ténèbres". Et Coppola marche sur ses pas lorsque John Milius, le scénariste de Jérémiah Johnson et Dirty Harry, vient lui soumettre une adaptation de l'ouvrage, à travers le prisme du Viet Nam.

Initialement, c'est pour son ami George Lucas que Francis Ford envisage dès 1971 de produire ce scénario, nommé "Psychedelic Soldier", avec sa société American Zoetrope. Mais le projet traîne, et Lucas est vite engagé sur un autre projet, un certain "Star Wars" dont il dira plus tard, d'ailleurs, qu'il symbolise lui aussi le conflit vietnamien (les forces de l'Empire représentant... le camp américain). Alors Coppola finit par décider de se lancer lui-même. Nous sommes en 1975, le réalisateur s'engage dans un projet qui, à l'arrivée, aura de peu manqué manqué de le détruire. Littéralement.

Le scénario a été écrit par Millius en 1969, en écho à l'offensive du Têt. Coppola, obligé de l'actualiser, en garde de nombreux éléments, mais réécrit aussi une partie de l'histoire à la lumière de la défaite américaine, survenue six ans plus tard. Dès le départ, Apocalypse now est ainsi conçu comme une oeuvre expiatoire, un questionnement sur le sens même de ce conflit, du comportement qu'y ont eu les Etats-Unis. Et il interrogera la nature la plus sombre de l'homme, aussi.

III. And now, l'apocalypse

Le tournage débute en 1976.Initialement, il semble assez cadré : les prises de vue, installées aux Philippines, doivent durer 14 semaines, le budget est fixé entre 14 et 17 millions de dollars. Coppola, après pas mal de refus - dont ceux de Steve McQueen, Al Pacino, Robert Redford, James Caan pour le rôle de Willard - a réussi a rassembler un casting séduisant. Harvey Keitel sera donc Willard. A ses côtés, Denis Hopper accepte de tenir le rôle du photographe de presse à condition d'avoir une réplique avec Marlon Brando. Car Brando a finalement dit oui, après avoir d'abord refusé. Il sera le colonel Kurtz, la destination finale du film construit en périple initiatique. Une folie sur un plan budgétaire : pour 10 minutes de film, Brando coûte à lui seul trois millions de dollars.

Les seconds rôles sont également forts : Robert Duvall incarnera le lieutenant-colonel Kilgore, au chapeau de cowboy inoubliable pour qui a vu le long métrage. Scott Glenn et Laurence Fishburne feront aussi des apparitions, tout comme Harrison Ford: il n'est pas encore le mythe vivant de la saga Star Wars.

Le 1er mars 1976, Coppola débarque aux Philippines. Et découvre, très rapidement, la réalité de ce qu'il a provoqué : le pays, très humide, jouit d'une nature peu hospitalière, voire franchement dangereuse - les prises de vue se feront en pleine jungle. Technologiquement, on est également loin des standards américains. Le tournage démarre malgré tout, mais souffre des pires difficultés. Et pour couronner le tout, Coppola finit par être excédé par le comportement de diva de son acteur principal, Harvey Keitel, au point de le virer. Heureusement, Martin Sheen, révélé dans La Ballade sauvage de Terence Malick, peut prendre le relais.

La suite forge la légende de l'oeuvre. Car le tournage d'Apocalypse Now est une guerre. Contre les déviances de l'équipe de tournage, contre les éléments, contre le temps, contre l'argent, contre la mégalomanie même de son réalisateur. Car tout devient fou. Le tournage s'éternise, victime des pires difficultés, finit par durer 238 jours. On parle de plus de 250 heures de rushes. Le budget final dépasse les 30 millions de dollars, manque de causer la disparition de la société de Coppola, American Zoetrope. Et il y a ces tentations, la proximité de Manille. Les putes, la drogue, l'alcool. Une grande partie de l'équipe succombe à ces plaisirs faciles. Coppola lui-même pète les plombs, picole, se drogue, invite ses maîtresses - dont Gina Lollobrigida -, s'en trouve d'autres - dont Linda Carpenter, l'une des gogo danseuses présentes dans le film. Mais sa femme, Eléonore, est présente. Ambiance plus que houleuse sur les plateaux.

Comme si cela ne suffisait pas, les catastrophes s'enchaînent. Au début de l'été 1976, le typhon Olga s'abat sur le tournage. Les décors sont détruits, il y en pour plus d'un million de dollars de dégâts. Coppola est au bord de l'abandon, on ne l'informe même pas que Martin Sheen a été victime d'une crise cardiaque, fruit de l'épuisement et d'une consommation excessive de tabac.

Et tant d'autres anecdotes :

Hopper, pour faire plus authentique, refuse de se laver. Il pue, on finit pas lui affecter un bus à titre privé.

Coppola impose aux acteurs de tourner certaines scènes en présence de véritables cadavres. Martin Sheen apprécie très modérément.

Coppola utilise dans cette scène un véritable cadavre pour figurer le pendu. Un choix qui manquera de peu de lui faire perdre son acteur principal.

Brando - qui a sans doute imposé son ami -amant?- Christian Marquand dans le film, pour la scène de la plantation française présente dans la version Redux- débarque pour ses scènes avec 20 kilos de trop, sans connaître son texte comme à son habitude. Coppola disparaît une semaine durant avec lui, au fil de la rivière qui sert de colonne vertébrale au film, pour lui faire prendre la mesure de ce qu'il attend de l'acteur. Le tournage s'arrête pour attendre, pas d'autre choix.

Un monteur détruit une partie de la pellicule, menaçant de brûler le reste s'il ne peut coucher avec Melissa Mathison, la deuxième gogo danseuse du film. Il sera ramené à de meilleurs sentiments.

Heureusement, Coppola peut compter sur Marcos, le dictateur qui tient les Phillipines, pour  lui fournir le matériel nécessaire aux prises de vue. Enfin, plus ou moins. Les hélicoptères filmés, ce sont ceux qui servent aussi à traquer la guerilla à travers le pays. Alors ils disparaissent, réapparaissent, changent de pilote à l'envie. Encore du temps perdu, mais le film n'en est plus à  s'arrêter pour de tels détails. Le miracle, en effet, c'est qu'il avance, malgré tout. Le dernier clap résonne le 21 mai 1977. Deux ans plus tard, le 15 août 1979, c'est la révélation au monde, après la Palme d'or du festival de Cannes (la version Redux, 45 mn plus longue, sortira en 2001). La montagne n'a pas accouché d'une souris.

IV. Aux sources sombres de l'homme

Reste une question, centrale, vitale. Qu'est-ce exactement qu'Apocalypse Now ? Un film de guerre ? Un film sur la guerre ? Un exorcisme pour tout un peuple ? Une fable sur la nature humaine ? Sans doute un peu tout cela. Le film de Coppola tient autant du road movie que du périple initiatique. Road movie car il emmène son personnage principal, Willard, sur une route symbolisée par une rivière, et dont la finalité n'est autre que de montrer qu'il n'y aucune issue en réalité. Périple initiatique, car après le rejet du monde dont il vient, Willard finit par détruire son alternative avant d'en embrasser sans doute la nature profonde.

Pour mieux comprendre Apocalypse Now, il faut partir du simple synopsis. Le capitaine Benjamin L. Willard (Martin Sheen) est envoyé en mission pour retrouver -et éliminer - le colonel Walter Kurtz (Marlon Brando), réfugié au-delà des frontières cambodgiennes et ayant échappé au contrôle de l'armée américaine. Kurtz serait devenu un chef de guerre, un fou se prenant pour un dieu, cruel et dangereux, qui aurait pris la tête d'un groupe d'indigènes pour mener des offensives sanguinaires contre l'ennemi. Willard accepte la mission, et remonte le cours d'une rivière pour atteindre sa cible. Sur le chemin, il découvre le quotidien du conflit. Le début d'une introspection qui le mène à l'impensable...

La colonne vertébrale du long métrage est ici. Mais la structure follement erratique de la narration est infiniment plus complexe. Willard est un témoin plus qu'un acteur du conflit. Il représente vraisemblablement le spectateur, qui découvre le conflit avec un regard encore sain. Car plonger au coeur du Viet Nam, comprend-on, c'est plonger progressivement dans la folie, la barbarie.

La scène inaugurale du film, à ce titre, est pleine de sens. Les hélicoptères américains larguent du napalm sur la population et les rebelles vietnamiens, figurant l'opposition de deux civilisations, de deux pays, tandis que le visage de Willard apparaît à l'envers, en surimpression. Double signification : d'un côté, ce conflit fait perdre la raison à ceux qui sont impliqués, d'où le fait que le visage de Willard soit à l'envers. De l'autre, on peut imaginer que ce conflit va à contre-courant des valeurs de progrès censées porter l'humanité. Autant dire que le message est clair, dès les premières secondes: c'est à une critique du bellicisme, de l'impérialisme et du conflit lui-même que Coppola convoque le spectateur. Un comportement qui mène la jeunesse américaine aux pires dérives, et à une fin absurde. C'est le sens du "This is the end" des Doors qui ouvre le film.

La suite confirme cette impression.  Willard a déjà vu cette forme de décadence en arpentant le champ de bataille, à l'inverse du spectateur. Il y a brûlé son âme, sans doute, ce qui explique qu'il ne supporte plus son reflet dans le miroir, qu'il brise de ses mains. Une fois sa mission reçue, dans toute son "horreur" - "Terminate Kurtz", aux antipodes des valeurs de corps qui forgent l'esprit militaire - Willard repart pourtant au coeur de ce grand barnum où s'exprime toute l'immaturité américaine, son impérialisme outrancier. Mais cette fois, pour montrer, témoigner. Il traverse les champs de bataille, n'y prend jmais part.  En remontant la rivière Nung, Willard s'efface, c'est le spectateur qui se retrouve en première ligne de cette plongée dans l'absurde. Et il découvre tous ces simulâcres pervers de culture qui instaurent le malaise. Un chef de guerre -le lieutenant colonel Kilgore - coiffé d'un chapeau de cowboy qui fait donner du clairon, comme la cavalerie contre les Indiens, pour détruire un village et éliminer des civils à seule fin de récupérer un "spot" de surf (le massacre de My Lai y résonne en creux de manière  suffocante). Une troupe de soldats en rut qui manque de peu de violer deux strip-teaseuses venus animer leur soirée, des villageois sur un bateau proprement massacrés tant la frontière entre civilisation et sauvagerie est devenue ténue...

Plus Willard remonte le cours de la rivière, plus il se retrouve en butte - derrière un onirisme de plus en plus appuyé, comme si la réalité nous échappait toujours davantage, à l'image de cette magnifique séquence de la plantation française présente dans la version Redux qui permet à Coppola de lancer une offensive contre le colonialisme à l'européenne mais aussi de rappeler les origines hexagonales du conflit (et donc d'interroger l'Amérique sur l'utilité de reprendre un combat déjà perdu) - à la bestialité qu'inspirent à l'homme la guerre et le goût du sang. Un voyage initiatique, donc, qui l'amène à prendre conscience de sa propre nature, et ainsi à être placé face à un choix radical lorsque vient la fin.

Cette fin, Coppola l'aura longtemps cherchée. Et finalement trouvée dans la compréhension par Willard de ce qui a façonné Kurtz. Le message est terrible : plus le "héros" prend conscience de l'absurdité de la guerre, plus il en vient à comprendre, et épouser, la logique qui aboutit aux exactions commises par celui qu'il doit tuer. Arrivé devant Kurtz, Willard se retrouve face à un choix : doit-il stopper celui dont il est finalement le jumeau (Orson Welles avait d'ailleurs en son temps envisagé de faire jouer Kurtz et Willard par un seul et même acteur) et à ce titre respecter l'absurde logique de la mission qui lui a été confiée ? Doit-il laisser Kurtz, au contraire, et épouser sa cause et sa vision du monde, faisant du monstre son dieu, à l'image des indigènes qui le vénèrent comme tel ? Peut-il, au contraire, se fonde au coeur des ténèbres, derrière cet alpha et omega de la noirceur que représente Brando ? Doit-il laisser parler sa propre bestialité, au risque de devenir l'image parfaite de celui dont il serait alors appelé à prendre la place ? Willard, finalement, prend une quatrième voie. Il détruit ce miroir de lui-même, faisant écho à la scène d'ouverture du film, en puisant dans le sacrifice le plus brutal la force de renaître. C'est ce qui, peut-être, le sauve de la folie et de la destruction, le ramènera, éventuellement, à la civilisation. Avec désormais une parfaite connaissance de ce qui forme les recoins les plus obscurs de l'âme humaine, là où le divin flirte incessamment avec le monstrueux. Mais la fin est ouverte, le destin de Willard pas arrêté. Il est si aisé de pencher du mauvais côté...

Apocalypse Now peut se comprendre de maintes manières. C'est sa force, c'est sa richesse. Une certitude néanmoins: "Je voulais que l'Amérique regarde en face le visage de l'horreur et l'accepte comme sien", dira Coppola. L'horreur de la guerre, l'horreur de ceux qui y perdent la raison, l'horreur de ceux qui donnent les ordres sans se dépareiller jamais de leur vernis de civilisation. C'est pour cela que Kurtz, s'il autorise Willard à lui prendre la vie, lui refusera systématiquement le droit de le juger.  Des deux visages de l'horreur, il n'en est pas un plus séduisant que l'autre...

V. Quelques anecdotes

Pour le bonus, je vous livre ci-dessous quelques anecdotes glânées au cours de mes recherches.

- L'influence de 2001, odyssée de l'espace : Stanley Kubrick pourrait bien avoir inspiré Coppola dans la construction de la fin d'Apocalypse Now. Dans "2001", explique Jean-Baptiste Thoret dans son ouvrage "Un cauchemar psychédélique", "un astronaute atteint les confins de l'univers et se retrouve face à ses doubles temporels, un vieillard et un foetus astral ; dans Apocalypse Now, Willard effectue un trajet similaire et parvient au coeur des ténèbres. Là aussi, trois générations successives l'attendent, lui-même, Kurtz et ces enfants aux visages d'anges qui écoutent, en riant, les monologues du gourou". Alors, faut-il voir "dans la découpe rectangulaire qui borne l'antre de Kurtz une allusion visuelle à la forme du monolithe" de 2001 ? C'est bien possible...

- Les autres influences : En vrac, plusieurs influences ont été identifiées au fil du temps par les fans et les cinéphiles. Coppola a lui-même indiqué s'être inspiré de l'Odyssée d'Homère, tandis que l'apparence de Kurtz renvoie directement au Nosferatu de Murnau (le personnage du photographe incarné par Denis Hopper, âme damnée de Kurtz, serait la transposition du personnage de Rainfield). La structure du film, elle, emprunterait considérablement à celle du western traditionnel, postulent d'autres exégètes du film.

Et lui, vous le reconnaissez ?

 

Sources :

Apocalypse Now, un cauchemar psychédélique, de Jean-Baptiste Thoret, 67 pages, in Apocalypse Now, édition définitive, coffret collector blu-ray.

https://www.monde-diplomatique.fr/mav/88/ZIMMER/13691

https://fr.wikipedia.org/wiki/Apocalypse_Now

https://fr.wikipedia.org/wiki/Francis_Ford_Coppola

https://www.thucydide.com/realisations/voir/analyses/apocalypse.htm

https://www.telerama.fr/cinema/eleanor-coppola-rescapee-d-apocalypse-now,74238.php

https://mortducinema.blogspot.fr/2010/06/la-mort-par-pendaison-26-pendaison.html

https://www.dvdenfrancais.com/dvd/fr/titres/critique/14835/apocalypse-now-the-complete-dossier

https://libresavoir.org/index.php?title=Apocalypse_now_de_Francis_Ford_Coppola

https://www.fredericgrolleau.com/article-apocalypse-now-111585274.html

https://www.ecranlarge.com/movie_review-read-2160-8731.php

https://tomthomaskrebs.canalblog.com/tag/Coppola

https://www.vadeker.net/articles/cinema/apocalypse_now.htm