Yop tous,

Je vous mets ici l'essentiel de ma chronique pro sur What remains of Edith Finch, sorti assez discrètement sure PC et PS4 fin avril et qui mériterait davantage de visibilité. Certains seront sans doute destabilisés face à cette expérience qui s'afranchit des codes usuels du jeu vidéo, mais l'expérience est fascinante. Je vous encourage à l'essayer, c'est une pure pépite qui m'a fait craquer.

 

A livre ouvert

 

La notion de challenge est-elle indissociable de la définition d’un jeu vidéo? A la croisée des genres, What remains of Edith Finch postule qu’une histoire peut se suffire à elle-même, pad en main, lorsqu’elle invite le joueur à expérimenter, ressentir le monde dans lequel elle s’insère. Giant Sparrow construit sur ces principes une épopée familiale à l’ambition formelle et narrative remarquable, d’une folle délicatesse et bourrée d’inventivité. La magie opère, le plaisir est complet.

 

 
 

L’idée d’hybrider le monde de l’écrit et celui du loisir numérique n’est évidemment pas une nouveauté. En 2012 déjà, l’OVNI Dear Esther tentait ce pari en invitant le joueur à arpenter les terres abandonnées d’un ilot écossais au rythme d’un récit épistolaire qui dévoilait ses enjeux à mesure que l’on progressait. Mission en partie réussie : le concept de The Chinese Room, résolument contemplatif, avait marqué les esprits par son sens de la poésie et son exigence littéraire, posant judicieusement des images sur les mots ; mais la fusion de ces deux mondes péchait par sa nature même, trop éthérée et incapable, finalement, de faire ressentir au joueur la réalité et la cohérence du monde dans lequel cette belle histoire prenait place. Restait alors cette question, implacable : comment donc traduire les mécaniques d’une œuvre littéraire dans une forme d’expression construite sur la notion d’interactivité ?

 

Lever le voile sur ses origines

Cinq ans plus tard, c’est au tour du studio de Santa Monica Giant Sparrow, que l’on connaît pour ses envies de sortir des sentiers battus depuis l’étonnant Unfinished Swan, de s’aventurer sur ces terres périlleuses. La proposition de l’équipe américaine n’est pas, de prime abord, sans rappeler celle de The Chinese Room : l’on y incarne un personnage qui ne peut guère que se mouvoir dans les décors traversés, au rythme d’une voix off invitant à s’intéresser à la destinée funeste d’une famille marquée par la fatalité. Car la famille Finch a été décimée, génération après génération, année après année.  Malédiction ? Terribles hasards d’un monde qui n’a pas épargné cette dynastie depuis le jour où elle a ici même accosté ? Sa dernière représentante, la jeune Edith Finch, s’en va tenter de résoudre le mystère en levant le voile sur celui de ses origines.

What remains of Edith Finch aurait pu se contenter d’enchaîner ses histoires en s’appuyant sur les lieux et pièces traversés. Mais la force du concept tient à ce qu’il parvient à dépasser cet attentisme de lecteur pour impliquer réellement le joueur – un terme qui en vaut un autre, à défaut d’avoir plus adapté – dans les événements dont il est le témoin. L’arbre généalogique de la jeune femme se déploie ainsi progressivement, à mesure que chacun de ses représentants devient l’occasion d’une histoire, qui inquiétante, qui douce-amère, ici vissée au réel dans toute son absurdité, là joliment métaphorisée pour atténuer l’horreur de ce qui s’est déroulé. Toujours s’y manifeste l’envie de donner de la consistance à ces personnages tirés de l’oubli en leur conférant la force d’une expérience à la première personne. Et ceci en allant bien au-delà d’un simple temps de narration, puisque le spectateur-acteur de cette tragédie à répétition est invité à faire réagir le décor de la demeure familiale autant qu’à en saisir les subtilités, les mille et un petits détails qui donnent une puissante densité à ce qui est raconté. La cohérence de l’univers, cette impression que tout est resté en l’état malgré le poids des années est une invitation à observer, à ressentir, et finalement à éprouver une véritable empathie pour ces destins brisés par cette force implacable qui semble les dépasser.

 

Du passé faire table rase ?

Un peu plus de trois heures durant, What remains of Edith Finch enchaîne ainsi les allers-retours dans l’Histoire, préférant la petite à la grande, s’attachant à dépeindre, par petites touches, une saga faite d’hommes, de femmes, d’enfants terriblement attachants. Sans manichéisme aucun, la narration s’attarde sur les qualités et les défauts de chacun, témoignant d’une tendresse infinie pour chacun d’eux, et donnant à comprendre, de façon presque empirique, la trajectoire de la jeune Edith, qui porte leur nom. L’on partage, à ses côtés, l’angoisse, l’incompréhension, la tristesse d’avoir perdu tous ces êtres aimés, ressenti sans doute bien servi par une écriture remarquable et un jeu d’acteur (voix en anglais) très conscient des enjeux de cette intime épopée. Jusqu’à un dénouement forcément ouvert, qui pose les bases d’une nouvelle mythologie familiale à inventer. Il y a de l’espoir et de la beauté, une fois libéré du passé.

Lorsque survient le point final de cette expérience, c’est éreinté, heureux et les yeux embués que l’on prend conscience de l’étendue de la réussite de ce titre qui emprunte au jeu vidéo ses codes pour proposer une autre façon d’écrire une histoire à la lumière de la modernité. What remains of Edith Finch a tout d’un jalon dans la grande histoire de l’évolution des modes d’expression, au point qu’il gagnerait sans doute à être considéré comme une alternative pertinente à un bon bouquin que l’on lirait le soir au coin du feu…

 

(Le reste de la chronique, comme d'hab, sur https://c.dna.fr/actualite/2017/05/05/test-what-remains-of-edith-finch-a-livre-ouvert)