Hello tous,

Je ne sais pas, cela fait sans doute des mois, peut-être bien plus longtemps encore, que je ne suis pas sorti d'une salle de cinéma avec un tel sourire. Ce soir, j'ai pourtant traîné des pieds pour aller voir La La Land. Trop de pub, trop de critiques dithyrambiques, et puis ce peu d'envie de me frotter à la comédie musicale, un genre qui ne m'a jamais fait vibrer sur grand écran. Cela faisait beaucoup de choses qui jouaient contre ce deuxième long métrage de Damien Chazelle, dont le sujet même me laissait perplexe. Comment l'auteur d'une petite merveille de noirceur et de complexité comme Whiplash pouvait-il en effet se laisser séduire par les sirènes les plus mainstream du cinéma de l'âge d'or hollywoodien ? La réponse m'a sauté à la figure en quelques secondes à peine: aucun sujet, aucun genre n'est mauvais en soi, il suffit d'inventer, de réinventer, chaque scène, chaque regard, chaque passage que l'on croit imposé. La La Land, c'est un chemin de traverse par excellence. C'est l'histoire d'un film incroyable, qui cueille le spectateur pile là où il ne l'attend pas, qui nie les évidences là où on l'aurait cru prendre le parti des convenances. C'est un souffle de liberté, c'est une invitation à vivre ses rêves plutôt qu'à rêver sa vie sous le poids de multiples compromis.

L'histoire n'est pas nouvelle. Un homme, une femme, et des tonnes d'occasions manquées qui finissent par devenir autant de raisons de s'aimer. Mais, tout de suite, un constat qui s'impose. Dans les rôles titres, Ryan Gosling et Emma Stone illuminent le film de leur grâce, de cette légèreté qui se dégage de leur complicité à chaque petit moment privilégié qu'ils parviennent à faire vivre à l'écran. C'est beaucoup, assez même pour suffire à passer un bon moment. Pourtant, c'est un point de départ seulement. Car Chazelle a ce talent précieux de n'être pas qu'un bon directeur d'acteurs. Il pense les scènes, construit minutieusement son film en inventant une grammaire qui n'appartient qu'à lui et au sujet qui l'occupe. Dans La La Land, comme dans Whiplash, cette colonne vertébrale n'est autre que la musique. C'est elle qui donne le ton, c'est elle qui vient dire au spectateur que le rêve est en train de devenir réalité. C'est elle qui brille par son absence quand cette réalité n'a plus rien d'un rêve éveillé. La musique, c'est la petite mélodie des sentiments qui unissent cette petite serveuse qui se voudrait actrice et ce pianiste en perdition, qui rêve de ressusciter le jazz par la seule force de son talent et de sa passion. Tendez l'oreille, la musique vous en dit davantage, ou presque, que les mots, faite d'harmonie quand la passion est sans nuages, douloureuse quand l'éloignement surgit, discordante quand les chemins se séparent, aussi.

La musique, donc. Comédie musicale oblige, elle peut renvoyer à ce répertoire, décliné en quelques moments qui sont, étonnamment, autant d'instants de pur bonheur là où je les avais craints gênants. Elle est aussi, beaucoup, un grand cri d'amour pour ce jazz que le réalisateur semble tant aimer - et connaître. Incroyable tirade d'ailleurs que celle de Ryan Gosling qui doit, en quelques secondes, expliquer à Emma Stone pourquoi cette musique n'est à nulle autre pareille. Au fil des mots, on comprend qu'elle est comme le cinéma dont rêve Chazelle: invention constante, improvisation, toujours à l'écoute et en conflit. Elle à l'image de la première partie, magistrale, du film, qui vient décrire comme dans un canon épileptique, virevoltant et déstructuré, les trajectoires parallèles des deux protagonistes, jusqu'à les faire résonner ensemble pour donner naissance à une nouvelle mélodie et une histoire partagée. Et bientôt vient cet instant, magique, où les instruments sont à l'unisson, où la mélodie naît d'un chaos soudain organisé. A l'écran, tout fait sens, et les drôles de détours pris par le film semblent soudain d'une parfaite légitimité.

Evidemment, il y a des hauts, des bas, des pleurs et des séparations. Evidemment, on prend fait et cause pour ce couple de rêve parce qu'on a tous en nous le coeur d'une midinette de 14 ans. Mais La La Land ne fait décidément pas grand cas de ce que l'on espère, encore moins de ce que l'on attend. Jusqu'à refuser la simplicité et éviter soigneusement ce boulevard qui lui était offert par la promesse d'une fin téléphonée. Hors des clous, La La Land trouve un épilogue plus qu'inspiré. La mélodie était en sourdine ? Elle finit, heureusement, par retrouver toute sa force et sa beauté. La musique, encore elle, électrise le grand final qui laisse bouleversé, amoureux, heureux, désespéré et épaté. Un dernier regard en arrière, les yeux embués, et la vie peut continuer. Avec cette petite conviction, désormais, qu'on ne sait jamais ce qu'elle peut nous réserver...

 

Au cas où vous ne l'auriez pas encore compris à la lecture de ces quelques lignes, je vous conseille CHAUDEMENT d'aller voir et revoir La La Land, qui a de bonnes chances de rafler pas mal d'Oscars fin février. Au passage, si ce n'est déjà fait, il faut aussi découvrir d'urgence WHIPLASH, le premier long de Damien Chazelle, qui fait montre d'une pareille virtuosité - dans un registre nettement plus torturé cependant. Si vous aimez le jazz, ces deux films sont faits pour vous.