Yop !

Aujourd'hui, je vous propose la petite chronique pro que j'ai rédigée sur Quantum Break, un concept vraiment intéressant de Remedy mais dont j'aurais bien aimé qu'il soit plus abouti et davantage développé. Le titre reste un must-have de ce printemps, mais il n'est peut-être pas aussi tranchant dans la ludothèque XOne que ce que j'escomptais.

Comme d'habitude, retrouvez cette bafouille sur https://c.dna.fr/loisirs/jeux-video.

Bonne lecture !

Quantum Break, dialectique ludique

 

 

Depuis Defiance, opérer la jonction de l'univers des loisirs numériques avec celui des séries TV n'est plus, stricto sensu, une réelle nouveauté. La démarche de Quantum Break, qui tient aujourd'hui à réaliser la fusion des deux mondes sur le même support et dans une totale continuité, semble pourtant repousser encore les frontières d'un média de plus en plus à l'étroit dans la définition que l'on veut bien lui accoler. L'objet bicéphale de Remedy souffre hélas de lacunes trop sérieuses pour bénéficier totalement de la fluidité de son concept pionnier.

 

Des coups de feu, des ennemis à terre, une séquence cinématique rapide faisant le point sur la situation du héros, Jack Joyce, et.... Cut. Fondu au noir, puis le point de vue change du tout au tout. Le joueur se retrouve soudain dans la peau de l'ennemi, Paul Serene, lequel est rapidement confronté à un choix majeur, un peu à la manière du récent Life is Strange de Dontnod. La décision n'est surtout pas anodine : elle a un impact direct sur la suite des événements, lesquels sont bientôt narrés dans un épisode de série TV d'une vingtaine de minutes. Remedy voulait faire de son concept un modèle d'interactivité et d'univers cross-média? C'est réussi: voilà le studio finlandais qui invente la série TV dont vous êtes le spectateur, le héros et le scénariste - dans les limites d'une fin qui restera imposée.

Quantum Break repose sur cette double nature. Ici jeu d'action, là épisode d'un show TV à l'américaine qui se revendique proche des expériences proposées par Showtime, HBO ou NBC, le dernier bébé des créateurs de Max Payne et Alan Wake se veut expérience narrative ambitieuse autant que jeu vidéo solidement charpenté pour les scènes d'action décomplexées. Dans cet univers à la croisée du polar et de la science-fiction, Jack Joyce -auquel l'acteur Shawn Ashmore prête ses traits - se voit obligé de composer avec les conséquences d’une expérience temporelle qui tourne mal au point de mettre en péril la structure même de l’univers. Il y a évidemment matière, ici, à développer une narration complexe autant qu’un gameplay au diapason du sujet – et enfin à même de justifier le fameux bullet-time dont le studio peut légitimement revendiquer la paternité depuis Max Payne.

 
Jack JoyceJack Joyce

 

Une petite histoire du temps

 

Côté jeu, donc, Quantum Break se fait proposition d’action efficace quoiqu'assez classique, multipliant les gunfights à la troisième personne sans réellement chercher à les révolutionner. L’intérêt de ces séquences, qui s’enfilent comme des perles autour de petites scènes d’exploration-plateforme dans un univers très délimité, vient de la capacité du personnage principal à jouer avec les irrégularités temporelles nées de l’expérience ratée. Dash vers un ennemi ou un abri, génération d’une bulle temporelle ralentissant celui-ci, création d’un bouclier temporel permettant d’échapper à une offensive particulièrement menaçante de l’ennemi… Les possibilités, rapidement débloquées au fil des cinq actes que propose le titre, peuvent même être renforcées et développées par un système de montée en expérience ici encore sans surprise, mais bien maîtrisé. La patte du studio finlandais, aisément reconnaissable, se retrouve dans le dynamisme des affrontements, dans la mélodie des armes qui se multiplient, se jettent et se ramassent à mesure que les munitions se sont taries.

Bref, il y a un bel équilibre de jeu trouvé dans ces phases, à l'inverse des scènes d'exploration qui montrent vite le côté carton-pâte du concept, limité par les desiderata restreints des développeurs. Si l'idée d'introduire des éléments quantiques dans les puzzles proposés (jouer sur la temporalité d'un objet pour profiter de sa position à un instant précis, par exemple) est franchement séduisante, le jeu pêche à l'inverse par un manque flagrant d'ouverture dès lors que le joueur veut sortir du sillon tracé par les Finlandais. Ici, pas question de monter sur un élément du décor si le game design n'en a pas décidé ainsi, et quand bien un élément du même type s'était justement révélé utile pour franchir un obstacle quelques instants auparavant. Frustrant.

Scène après scène, Quantum Break se révèle, en revanche, particulièrement joli. La 3D patiemment élaborée par l’équipe de développement flatte la rétine, en impose particulièrement lorsqu’elle donne à voir l’étonnante déformation des décors induite par les anomalies temporelles. La Xbox One, qui se cherchait une vitrine technologique, peut assurément compter sur cette production pour rappeler à la concurrence qu’elle entend ne pas s’en laisser compter sur cet aspect. L’ensemble a beau souffrir à l’occasion de quelques bugs d’affichage – la gestion des collisions donne parfois des résultats surprenants à l’écran  –, c’est une ampleur visuelle étonnante qu’il convoque scène après scène, selon un frame-rate que l’on ne prend en défaut que rarement.

Déséquilibre coupable

 

Mais c'est bien évidemment du côté du rythme et de la narration cross-média qu'il faut interroger le concept. Après une brève séquence invitant le joueur à envisager la situation du point de vue de l'adversaire - ce qui a le mérite de poser des enjeux inattendus et donc de permettre au titre d'échapper au manichéisme primaire consubstantiel des loisirs numériques-, l'expérience se voit prolongée par une série d'épisodes TV d'une vingtaine de minutes chacun, prolongeant le point de vue de l'adversaire à la lumière des choix opérés par le joueur quelques instants auparavant - et des échos quantiques débloqués par le joueur en explorant l'environnement. Un chantier plus conséquent encore qu'on pourrait l'imaginer: Thomas Puha, chargé de la promotion du jeu pour Remedy lors de la Paris Games Week 2015 à l'automne dernier, évoquait la nécessité de créer pas moins de quarante épisodes pour pouvoir en proposer 4  tenant compte des variations narratives induites par les choix du joueur et servant d'interlude entre les cinq actes du jeu.

Cette interactivité a un intérêt: celui d'introduire dans l'expérience, assez musclée pad en main, des phases de pause et de mise en perspective qui impliquent davantage le joueur dans l'intrigue qui se noue devant ses yeux. Mais l'ambition de l'ensemble pose question. Malgré l'emploi d'un casting séduisant à l'écran, - Lance Reddick, Courtney Hope, Aidan Gillen et l'excellent Dominic Monaghan sont de la partie - l'histoire ne décolle jamais vraiment et, plus grave, la proposition ne parvient pas à se hisser au niveau d'une véritable série TV, se cantonnant à un simple faire valoir de la partie numérique du projet développé par Remedy. Un déséquilibre coupable qui ruine les efforts entrepris et fait de Quantum Break un titre un peu bancal au fil duquel on alterne le chaud et le froid, les bonnes et les mauvaises surprises, l'enthousiasme et l'ennui. Il y avait sans doute mieux à faire avec cette idée de croisement des univers, dont on sent bien tout le potentiel.  Rendez-vous en saison 2 avec une copie plus aboutie ?