Yop tous,

Voilà, après 10 jours passés à courir un peu partout à travers la ville, je vois enfin le bout d'un long tunnel qui a pris la forme de nuit blanches à répétition : le festival européen du film fantastique de Strasbourg se termine ce soir, au terme de quelque 140 projections de films de genre, d'une Zombie Walk qui aura attiré 5000 personnes, d'une diffusion de Gremlins en plein air en présence de son réalisateur, Joe Dante, de découvertes en réalité virtuelle parfois étonnantes, d'exposition Lego ou retrogaming, j'en passe et des meilleures. Le FEFFS, qui en était à sa huitième édition cette année, a fait de son appétit pour la diversité une force. Et tout le monde pouvait y trouver son compte, plus que jamais. Personnellement, le souci tenait davantage à déterminer où je pouvais ne pas aller.

Pour ma part, je termine cette édition avec le sentiment du travail accompli. J'ai pu voir une bonne quinzaine de films de la sélection, rencontrer Joe Dante himself en tête à tête pendant une demi-heure, boire une bière avec Frédérick Raynal, partager un café avec Enzo Castellari, Franck Ilfmann et Alain Schlockoff, et causer cinéma avec quelques-uns des réalisateurs venus défendre leur film face au public. Globalement, j'en retiens une chose : les plus doués sont aussi, bien souvent, les plus sympathiques, et je garderai à ce titre un souvenir ému des quelques mots échangés avec Joe Dante, extrêmement aimable et attentif,  ainsi qu'avec Enzo Castellari et son fils, modèles de convivialité à l'italienne. Je sais que ce nom ne doit pas vous dire grand-chose, il est pourtant une brique importante de l'histoire du cinéma: Castellari a fait partie de l'épopée des westerns spaghetti - il a réalisé le crépusculaire Keoma en 1976, avec Franco Nero dans le rôle titre - et l'une de ses oeuvres est de longue date vénérée par le cinéphile fou qu'est Quentin Tarantino. Son Inglorious Basterds n'est rien de plus qu'un hommage à l'Inglorious Bastards (notez le changement de voyelle) de Castellari.

Mais revenons un peu sur cette semaine. Le FEFFS a en effet réservé son lot de surprises quasiment chaque jour, et il  me semble assez intéressant de vous faire un petit topo sur ce que j'ai pu glâner comme infos sur les films au quotidien. Ceci nous amène donc à

 

VENDREDI

Il faut bien un début, et c'est à Knock Knock, d'Elie Roth (Hostel, pour ceux qui ne le remettraient pas), qu'est revenue la mission d'ouvrir le bal cette année. De ce thriller un peu potache, qui raconte l'histoire d'un gentil papa abandonné pendant un week-end par sa femme et sa fille... et qui se retrouve aux prises avec deux superbes créatures pas forcément très bien intentionnées, je retiendrai surtout que Roth n'a rien perdu de son appétit pour les sujets  un peu poil à gratter. Ici, en l'occurrence, outre donner un rôle à Keanu Reeves qui soit capable de le ramener dans le petit monde des acteurs crédibles - ce n'est pas totalement réussi -, il s'agit de suivre une méticuleuse opération de démolition d'une cellule familiale, du moins autant que d'une sorte de guerre des sexes dans laquelle le concept de femme-objet se retourne contre ceux qui y croient encore. Knock Knock n'est certainement pas le film de l'année, le long métrage souffrant de pas mal d'incohérences et paradoxalement d'une relative timidité l'empêchant d'aller au bout de son sujet, mais il y a de quoi s'amuser. Le final, en particulier, mérite à lui seul que l'on s'attarde sur ce drôle d'objet filmique un peu mal gaulé mais plein de bonnes intentions et assez emblématique de cette envie sans cesse répétée d'Elie Roth de filmer quelque chose qui tient du choc de deux mondes. Ah, et je le dis au cas où, parce que je l'ai entendu ici et là après la séance : non, il n'y a rien de sexiste dans cette affaire, même si l'image de la femme en prend un coup. Mais vu que l'image de l'homme également...

Ce choc des mondes, des cultures, c'est aussi le propos du deuxième film projeté lors de cette soirée inaugurale. Mais là, attention, ça ne rigole plus du tout. Bouclé depuis 2013 mais victime de vents contraires qui l'ont trop longtemps empêché de trouver sa place sur les écrans, Green Inferno est LA pépite que tout le monde attendait du même Elie Roth. A raison : projeté en séance de "midnight movie" après un petit salut personnalisé du réalisateur aux festivaliers strasbourgeois (sympa!) par le biais d'une vidéo projetée en guise d'apéro, le bidule est un vrai, bon gros bain de sang gore et fun comme on les aime. Le pitch est basique : des étudiants pétris de bonnes intentions entendent sauver une tribu indigène d'Amazonie des grands méchants intérêts industriels qui veulent raser leur forêt. Seul souci en vue: ces indigènes sont réputés cannibales, et n'ont absolument aucune idée des intentions qui animent ces bonnes âmes. La suite ? Tartare et steacks de potes en veux-tu en voilà, avec un salutaire mauvais esprit renvoyant dos à dos les idéalistes, les industriels, les cannibales et les fumeurs de beuh. Cette dernière catégorie s'offrant au passage le plat de résistance - irrésistible - de ce long qui restera l'une des excellentes surprises du festival.

Bonne nouvelle, Green Inferno sort en e-cinéma dès le mois d'octobre, alors foncez si vous avez le coeur bien accroché.

 

SAMEDI

Joe Dante

Un tout petit dodo après Green Inferno, et la journée aura commencé assez tôt puisque c'est à 10h que je devais croiser la route de Joe Dante. Je n'ai pas grand-chose à dire sur le sujet, si ce n'est que le bonhomme est pile comme je l'attendais: aimable, courtois, passionnant et sensible à la vraie cinéphilie. Avec peut-être un soupçon de regrets quand on lui parle de The Second Civil War, hélas méconnu mais qui rassemble à mon sens tout ce que  son cinéma référentiel, irrévérencieux et politique a produit de mieux. Là encore, je ne saurais que trop vous conseiller de vous précipiter sur cette pépite méconnue de sa filmographie, drôle d'histoire en forme de vraie fausse comédie dans laquelle l'Etat de l'Idaho fait sécession après avoir refusé d'accueillir des enfants devenus orphelins à cause d'un conflit nucléaire entre l'Inde et le Pakistan. Tout y passe : satire des moeurs, de l'Amérique profonde, de la politique spectacle, des médias... Dante s'en donne à coeur et livre un film férocement intelligent et bien moins amusant qu'on pourrait le croire, finalement. Il y a une dimension prophétique dans le cinéma de Dante, et cet ofni est là pour le démontrer.

 Evan Dumouchel, acteur dans They Look Like People. Autant vous dire que le monsieur a eu beaucoup de succès auprès des spectatrices.

La suite du FEFFS, pour moi, démarre en soirée avec They Look Like People, de Perry Blackshear. Soyons honnête : cette histoire de dérive paranoïaque jouant sur l'hésitation fantastique - une invasion extraterrestre, vraiment ? - ne révolutionne de loin pas le genre. Mais son approche intimiste, bien servie par un excellent casting permet au film de sauver les meubles. Avec toutefois un effet pervers: échaudé à l'idée de plonger dans un deuxième plan auteurisant de film de genre, j'ai fait l'impasse sur le film suivant, The Invitation, de Karyn Kusama. Pas de bol, c'est l'Octopus d'or 2015, et accessoirement l'un des coups de coeur du public. Ce huis clos serait, selon Enzo Castellari, le président du jury, "une oeuvre maîtrisée de bout en bout avec beaucoup, beaucoup de tension". Je vais guetter sa sortie au ciné ou en DVD.

Déçu, je me suis tout de même rattrapé avec le "midnight movie" du jour, Tales of Halloween. Si vous cherchez un film choral efficace, flippant et bourré d'humour, c'est ici que ça se passe. Le long raconte une série de petites légendes modernes d'Halloween redoutablement noires et parfois très gores, qui ont de plus le bon goût de s'insérer dans une structure cohérente qui permet d'échapper à l'impression d'un empilement de courts métrages. Une vraie bonne surprise qui fera un parfait divertissement à la fin du mois prochain si vous êtes adepte des "tricks or treets".

 

DIMANCHE

Ici encore, il y aura eu des regrets, puisque j'ai raté Der Bunker, de Nikias Chryssos, qui a beaucoup plû aux festivaliers. Mais j'ai sauvé l'honneur en allant découvrir Cop Car, de Jon Watts, dans lequel l'excellent Kevin Bacon, sheriff de son état, doit se mettre en chasse pour retrouver deux gamins (même pas douze ans) qui se sont amusés à lui piquer sa voiture de service. C'est drôle, tendu comme c'est pas permis, bien écrit, superbement filmé et rythmé par des twists qu'on ne voit jamais venir. Des films comme ça, j'en redemande.

 

LUNDI

Un petit dodo, une journée de boulot, et retour au ciné à 22h pour profiter du show. J'aurai raté Ni le ciel ni la terre du Strasbourgeois Cogitore, mais j'aurai l'occasion de le revoir bientôt au ciné.

Quant à la suite de la soirée, je ne retiendrai que du bon.

Emelie, d'abord, pose la question de la sécurité du cocon familial de manière frontale, en y introduisant, de manière apparemment bien innocente, un élément perturbateur et finalement destructeur. Le film de Michael Thelin est extrêmement malsain, confrontant l'enfance à la folie des adultes, ce qui a pour résultat de proposer au spectateur l'image d'une destruction patiente et méticuleuse de l'innocence. Certains, dans la salle, ont eu du mal à supporter, mais il est impossible de rester indifférent à ce sujet, traité avec une vraie maestria. Emelie n'a rien obtenu à Strasbourg, mais il reste l'un de mes coups de coeur de la sélection.

Deathgasm, ensuite. Comment parler de ce midnight movie qui a fait sensation au festival sans en déflorer le sujet ? Réalisé par Jason Lei Howden, d'ailleurs présent pour défendre son bébé, le long métrage est de ces rares pépites qui proposent une idée à chaque plan, sans jamais pourtant se prendre trop au sérieux. En même temps, le pitch invite clairement au delirium tremens : un groupe de metal tombe sur une partition surnaturelle qui permet d'invoquer le roi des démons et donc l'apocalypse. Résultat: un grand n'importe quoi, des gros riffs toutes les trente secondes, un humour ravageur et du gore bon teint pour faire bonne mesure. On se croirait presque revenu aux bons vieux Bad Taste et Braindead de Peter Jackson, et de fait il y a de ça puisque Deathgasm affiche fièrement son ADN neo-zélandais. Ces gars-là sont vraiment dangereusement allumés.

Ah, un truc amusant en anecdote : Deathgasm n'existe que parce qu'un concours d'affiches a primé l'idée de film que Howden avait envie de réaliser. Trois mois plus tard, c'était dans la boite !

 

 MARDI-MERCREDI

Quelques contraintes professionnelles, et voilà comment on loupe deux soirées de projections. J'ai quand même réussi à sauver une oeuvre de ce marasme, mardi, à savoir When animals dream de Jonas Alexander Arnby. Une bien jolie variation sur le thème du loup-garou et de la transformation, le sujet étant traité comme une légende scandinave, tout en retenue et en tendresse. Pas de bain de sang, aucun frisson, simplement le terrible poids de la société et le cri, déchirant, d'un auteur qui revendique le droit à l'altérité. Je crois bien qu'il s'agit du film que j'ai préféré durant le festival, avec The Survivalist. Mais concernant ce dernier, on y reviendra un peu plus loin.

Ah, et j'ai fait un saut au Shadok, le spot numérique strasbourgeois, pour découvrir Catatonic, l'un des tout premiers films d'horreur en réalité virtuelle. Le court-métrage dure quatre minutes, mais cette plongée dans un asile d'aliénés à la dérive est assez géniale. Si vous avez l'occasion de vous y essayer, jetez-vous dessus.

 

JEUDI

Les craintes étaient là, et je dois bien dire qu'elles étaient fondées: jeudi soir, c'est avec Nightfare, de Julien Yamakazi Seri, que j'ai attaqué la soirée. Un film dont le réalisateur a expliqué qu'il a été conçu dans l'urgence, davantage dans la sensation que dans la réflexion, et avec un budget ridiculement riquiqui. Inévitablement, cela se ressent à l'écran. Cette histoire de taxi tueur la nuit dans Paris est bourrée de clichés, plombée par des incohérences scénaristiques parfois maousses et un goût du "too much" assumé mais souvent mal amené. Là-dessus, je passe sur la caractérisation des personnages, qui relève de la foire aux clichés, pour saluer malgré tout une bonne interprétation, une photo hallucinante de qualité pour un tel budget et quelque chose qui tient de la vraie envie de faire plaisir au public. Le film parvient presque à sauver la mise dans la dernière partie, qui perd en réalisme ce qu'elle gagne en dimension référentielle en mutant vers une sorte de cartoon asiatisant. Et la conclusion du film d'offrir un joyeux bazar foutraque où l'on finit par se laisser emporter pour peu que l'on laisse son cerveau au repos quelques instants. Nightfare n'est pas un bon film, mais il porte en lui les germes d'un cinéma plus intéressant. Seri est un mec à suivre, je l'attends au tournant.

J'ai fait l'impasse sur The corpse of Anna Fritz - la nécrophilie n'a jamais fait partie de mes thèmes préférés de cinéma - pour aller boire un verre, à 22h. Bien m'en a pris, puisque c'est avec Frédérick Raynal, président du jury de l'Indie Game Contest, que j'ai papoté une bonne partie de la soirée. Je ne vous referai pas le film. Je retiendrai simplement que ce gars-là est un modèle de créateur de jeux vidéo, tant dans l'esprit que dans la façon de faire. Raynal, en effet, en est resté à l'époque où il faisait des jeux pour amuser les copains, et les business-plans ne sont désespérément pas sa came. Alors, quand on cause avec lui, c'est l'occasion de découvrir ce qui le fait courir, ses derniers coups de coeur, ses analyses sur l'état du marché des jeux vidéo et surtout de mieux comprendre cette incessante envie de développer, de chercher la nouveauté, qui ne l'a jamais quitté. Une belle rencontre à la clé, que j'ai un peu fait durer par gourmandise, étant entendu que j'avais déjà vu le midnight movie de la soirée, Turbo Kid. Au passage, il y a là un post-apo bien barré, drôle et décalé, à ne surtout pas louper.

 

VENDREDI

Dernière ligne droite avant la cloture, et que du bon en perspective. On commence la soirée avec The Survivalist, un "post-events" selon les mots de son réalisateur, Stephen Fingleton (ci-dessus). Le long métrage aborde la question de la survie en milieu hostile de manière quasiment naturaliste, sans aucune recherche d'effet, si ce n'est l'envie de montrer à l'écran ce que peut donner une vie quotidienne dans laquelle chaque écart peut signifier la mort. Le personnage principal se retrouve confronté à l'arrivée de deux femmes, qui seront deux bouches de plus à nourrir. Fingleton y trouve l'occasion de décrire la nature des rapports humains en souscrivant aux théories du Leviathan de Hobbes. Une vision du monde noire, mélancolique et d'autant plus terrifiante qu'elle se place volontairement dans un contexte qui semble très proche de celui que nous connaissons. The Survivalist a obtenu une mention spéciale du jury, et ce n'est vraiment, vraiment pas volé tant cette oeuvre est puissante et maîtrisée.

Dans la foulée, c'est The Hallow qui prend le relais. Sur le papier, le film de Corin Hardy a tout pour plaire : une histoire de forêt maudite en plein coeur de l'Irlande, dans un contexte de rachat de ces bois par des compagnies privées - le propos social du film est très appuyé. Et je dois bien dire que l'ensemble fonctionne d'abord plutôt bien, imposant une vraie tension qui va crescendo à mesure que l'on comprend la nature de la menace. En revanche, la dernière partie de l'oeuvre perd en cohérence, et sacrifie un peu sa nature de film de monstre à l'ancienne en surlignant une morale familiale lourdingue qui gâche le dénouement, un peu comme si l'enjeu de la survie face à la menace ne suffisait pas à lui seul à tenir l'oeuvre. C'est un choix qui n'a pas gêné tout le monde - The Hallow a d'ailleurs séduit le jury, qui lui a attribué le Méliès d'argent - mais il ne m'a en tout cas pas convaincu. Je tenterai peut-être un deuxième visionnage à l'occasion pour conforter - ou non - cette opinion. Je le dois bien à Corin Hardy, qui a pour lui d'être tout-à-fait sympathique.

 

SAMEDI

 Pour finir la semaine en beauté, il fallait bien quelques aventures un peu exceptionnelles, et c'est pile ce qui m'est arrivé. Avec d'abord, dans le cadre de mon taf, un petit café partagé en compagnie du jury longs métrages, en l'occurrence le compositeur anglais Franck Ilfmann (auteur de l'OST de Big Bad Wolves, à voir absolument si ce n'est pas déjà fait), le fondateur de L'Ecran Fantastique Alain Schlockoff et le cinéaste italien Enzo Castellari, venu à Strasbourg avec son fils (le critique Kim Newman s'était absenté). Un chouette moment de discussion en leur compagnie, à revenir sur les films de l'édition 2015 et à parler de leur amour inconditionnel pour le septième art. C'est dans ces moments-là qu'on se rend compte que finalement, entre passionnés, qu'on soit une légende vivante, un pro du milieu ou un simple quidam, on arrive toujours à se comprendre. 

La soirée de cloture aura de son côté aussi été un grand moment. A pouvoir croiser les réalisateurs primés - à l'exception de Karyn Kusama, qui n'a pas fait le déplacement -, le jury - encore lui ! - et Raynal - décidément sympa comme tout. L'organisation du FEFFS, elle, avait réservé une ultime surprise aux festivaliers, avec la projection du nouveau Takashi Miike, Yakuza Apocalypse. Où l'on aura une fois encore pu apprécier le goût immodéré du réalisateur pour les histoires totalement barrées qui s'offrent le luxe de partir en sucette à répétition et  de virer au n'importe quoi absolu invoquant aussi bien Godard que Sergio Leone, X-Or ou Godzilla. C'est pas bien de fumer la moquette, Takashi !

 Autant vous dire que l'"oeuvre" n'a pas fait l'unanimité dans la salle, mais elle aura eu le mérite de bien nous faire rigoler. L'un dans l'autre, un final parfait pour un festival qui aura tenu ses promesses du premier au dernier jour. A l'année prochaine !