Oyé oyé ami lecteur !

Ce soir encore, je vais passer ma nuit à tenter de survivre en contrées hostiles. Survivre. Depuis que j'affronte Bloodborne, c'est précisément de cela qu'il s'agit. Progresser, c'est un bonus qui me semble pour l'instant hors de portée. Alors je recommence, encore et encore, je reprends les mêmes chemins, j'affronte les mêmes adversaires, je meurs de mille et une manières. Chez From Software, le sadisme confine à l'art. A l'inverse de mon adresse au pad, suis-je de plus en plus enclin à croire.

Bloodborne, j'y joue depuis mardi, nuit après nuit. Premier contact qui m'annonçait déjà clairement la couleur: un monstrueux loup-garou s'était chargé de m'étriper à peine la partie débutée. Déjà frustré, mais je me ravisai vite : cette défaite-là était préméditée. Je me retrouvais en un monde onirique, dans lequel je pouvais m'équiper. Une petite rapière, un tromblon pour faire bonne mesure, et je m'en allai dire ma façon de penser à cette bestiole qui avait osé me défier. Huit secondes plus tard, retour au point de départ. Et première leçon du jour : ne pas se précipiter tête baissée. 

Cette règle d'or, Bloodborne s'emploie depuis lors à régulièrement me la rappeler. Entendre, grosso modo, toutes les dix minutes. Repérer une créature, l'isoler de la meute, l'attirer à soi est un art que je maîtrise peu, voire pas, faute d'avoir la patience pour cela. Alors les tentatives s'enchaînent, l'empressement prend le dessus rapidement, et me voilà au coeur d'une horde d'adversaires qui se charge de me faire la peau comme il se doit. Non que cela prenne bien longtemps : ici, quelques coups suffisent pour envoyer ad patres le pauvre imprudent. Et encore, quelques... Si seulement.

Des heures et des heures déjà se sont écoulées depuis que j'ai attaqué cette satanée épopée. On ne dirait pas. A bien y réfléchir, en ligne droite, je dois pouvoir regagner mon point de départ en moins d'un quart d'heure. Enfin, encore faudrait-il que j'y parvienne, la propension des créatures à ressusciter de leurs cendres limitant considérablement mes options en l'état actuel des choses. Alors, je tente d'avancer, encore et encore. Pour apprécier à chaque petit succès le talent consommé des développeurs à éteindre toute flamme d'espoir naissant en mon for intérieur, aussi ténue qu'elle puisse être. Mercredi soir, je pensais avoir vu mes efforts couronnés de succès en mettant le pied sur un pont qui semblait me mener vers un nouveau point de sauvegarde. Une bonne heure, pour une fois, que je progressais, pas à pas, avec une prudence que je ne me connaissais pas... Ceci pour découvrir, à peine rassuré par la perspective d'une zone apparemment sécurisée, les deux énormes loups placés là pour me prendre en tenaille, sans que je les aie vus venir. Game over, un de plus. Ma manette, ma PS4 et mon écran LED ont failli y passer. Mes chats, ma femme et mon appart aussi, dans la foulée. La mort "pédagogique" et moi, on fait quatre, si je sais bien compter.

Parce qu'en parlant de pédagogie, Bloodborne m'apprend surtout à être mauvais perdant. A hurler contre le pas de côté trop tardif de mon perso quand, hier soir, je me suis fait écraser d'un unique coup de patte par le premier boss que j'ai croisé. A gueuler comme un putois comme quand je me suis retrouvé bloqué - et ce n'est pas arrivé qu'une fois - entre un arbre et une rambarde, bug de collision oblige, parce que je voulais voir, andouille que je suis, si j'arrivais à passer. Il n'y a rien de plus frustrant que de relancer la partie à cause d'une faille dont on n'est pas responsable... Enfin, si on refuse d'admettre que le level design n'était clairement pas conçu pour me laisser passer par là. Mais en la matière, je sais faire preuve d'une mauvaise foi salutaire.

Je sais aussi que ce soir, si je retourne me frotter à la bête, ce sera pour recroiser le chemin de ce boss aux attaques mortelles à souhait. J'hésite. La peur de perdre, et perdre, et perdre, et perdre encore, m'étreint. Pourtant, j'ai envie d'avancer, masochiste que je suis, avec un entrain que je ne m'étais plus connu en matière de jeux vidéo depuis quelques années. C'est le genre de trucs qui mériterait peut-être d'être psychanalisé.

Ma manette est là, à côté de moi, en ce moment-même, à me taquiner. Jouera, jouera pas ? Je sais bien que je vais finir par craquer. Les nerfs devraient suivre, inévitablement, sans tarder. Il faudra aussi que j'évalue la situation de cette gachette R1 qui semble montrer des signes de fragilité. J'assume: j'y vois le symptôme logique du bourrinage de touches auquel je m'adonne, paniqué, lorsque je suis encerclé. Et mon petit doigt me dit que ce n'est pas le dernier pad que je sacrifierai sur l'autel de ce jeu qui a fait de son gameplay un monument de perversité. A 50 euros l'accessoire, Bloodborne est une addiction qui va me coûter...