Le clown, dans American Horror Story, saison 4

 

On a davantage l'habitude de rire de leurs facéties, et les voici qui terrorisent l'hexagone: depuis un peu plus d'une semaine maintenant: les faux clowns sont à l'origine d'une véritable petite psychose dans le pays.

Ca - Il Est Revenu - Stephen King

Ils sont omniprésents. Un peu partout, les signalements se multiplient depuis un peu plus d'une semaine. A Guingamp, Dijon, Strasbourg, Mulhouse, Douai, Douvrin, Arras... Difficile de démêler le vrai du fantasmé. Parfois réelles, souvent inventées, leurs apparitions coïncident avec l'envie - souvent partagée - de jouer à se faire peur. Il y a ceux qui se déguisent, bien sûr, et qui s'amusent à provoquer l'émoi chez les plus impressionnables, parfois chez les plus jeunes. Il y a ceux, aussi, qui surfent sur la vague, se piquent de relayer des signalements plus ou moins fantaisistes pour alimenter le buzz (un exemple: https://www.facebook.com/pages/Infos-sur-les-Clowns-de-Strasbourg/798303463562213?fref=ts). Il y a ceux, enfin, qui se fantasment victimes de ces plaisanteries d'un goût discutable et partagent leur crainte sur les réseaux sociaux, alimentant encore la psychose ambiante au fil des rumeurs diffusées à la vitesse de la fibre optique, désormais.

Un shoot d'adrénaline facile, car inoffensif ou non, un clown suscite depuis longtemps des réactions parfois très fortes, jusque chez les enfants. Du rire aux larmes, il n'y a qu'un pas que les quidams franchissent très vite, parfois. Pierrot, Arlequin et Auguste sont même à l'origine d'une phobie parfaitement identifiée aujourd'hui: la coulrophobie - la peur irrationnelle des clowns. La raison ? Il faut la chercher loin. Cette peur est profondément enracinée en nous, ancrée dans notre culture depuis les derniers jours du Moyen Age... Le saviez-vous ?

 

I. Aux origines était le diable

Faire peur. Consubstantiel au personnage ? Peut-être bien, tant notre culture est imprégnée depuis des siècles de la dimension janiforme de ce personnage (rire/angoisse). En fait, elle remonte aux origines mêmes de ce bouffon de scène. La figure du clown - ainsi dénommée - a vu le jour au sein du théâtre élisabethain, dans l'Angleterre du XVe siècle. Le personnage paysan, potache et maladroit bien que plein de bon sens, est apparu sous le nom de Clod pour remplacer sans doute la figure d'Old Vice, traditionnel bouffon des farces anglaises. Il sert de faire-valoir et amène humour et bons mots dans les pièces. Avec une particularité qui a sans doute contribué à la construction de son identité moderne : à l'image de son modèle, le "clown", dès cette époque, est présenté comme le laquais du diable, dont  la maladresse - ou la mauvaise volonté, voire le cynisme frontal -  contribue à faire échouer le dessein sournois de son maître. On notera que le clown sera progressivement banni des scènes de théâtre pour sa propension à improviser plutôt qu'à suivre le rôle qui leur est attribué. Shakespeare y fera référence dans son Hamlet en 1664 (Acte III, scène II): « Que ceux qui parmi vous jouent les clowns ne disent que ce qui est écrit dans leur rôle! Car il en est qui se mettent à rire d'eux-mêmes pour faire rire un certain nombre de spectateurs ineptes, au moment même où il faudrait remarquer quelque situation essentielle de la pièce ». (Source: https://fresques.ina.fr/en-scenes/parcours/0038/les-clowns.html)

Hellequin, le chasseur maudit. (Lettrine du chapitre 
sur les chasses fantastiques, dans la Normandie romanesque
et merveilleuse d'Amélie Bosquet, 1845).

Bouté hors des théâtres, le clown trouvera refuge dans les cirques, et notamment les cirques équestres anglais où il apparaît pour la première fois au XVIIIe siècle. C'est là qu'il prend progressivement sa forme moderne (maquillage et costume bouffant seront amenés par Joseph Grimaldi) en s'inspirant, notamment, des personnages grotesques de la Commedia dell'arte, en particulier les "Zanni", les valets fourbes qui servent et desservent leurs maîtres. Il n'est pas anodin de remarquer que l'Arlequin moderne renvoie au nom de l'un de ces valets célèbres. Il n'est pas moins important de faire le lien entre le personnage de la Commedia dell'arte et son alter ego des fêtes populaires de Carnaval, "Hellequin": le nom renvoie à une figure diabolique née en France sur la base de légendes scandinaves - "Helle King" ou "roi de l'enfer" (source: https://www.cosmovisions.com/$Hellequin.htm).

 

II. Quelques faits divers célèbres ont fait le reste

Cette dualité a également été gravée dans l'inconscient à la faveur de quelques célèbres faits divers, qui ont sans doute largement oeuvré à ce que la culture populaire intègre la figure du clown maléfique dans ses "boogeymen" préférés. XIXe et XXe siècle ont parfois mis les clowns à la une des journaux pour de bien funestes raisons.

- Jean-Gaspard Deburau (1796-1846) reste célèbre pour avoir été l'un des premiers clowns de cirque et pour avoir imaginé le fameux Pierrot lunaire. Mais l'Histoire retient également de lui qu'il fut un tueur : en 1836, sur un coup de colère, Deburau tua un gamin des rues d'un seul coup de canne, bien qu'il fût au final acquitté des charges qui lui étaient reprochées au motif de la légitime défense (le 21 mai 1836). A lire: https://www.des-gens.net/La-baston-tragique-du-mime-Deburau. Dès lors, la figure du clown meurtrier était ancrée dans la culture populaire. Elle ne l'a jamais quittée.

 - Le XXe siècle retiendra de son côté la terrible histoire du tueur en série John Wayne Gacy. Arrêté en 1978 à son domicile suite à la disparition de jeunes hommes employés sur son chantier, Gacy sera finalement inculpé pour le meurtre de pas moins de 33 hommes. John Wayne Gacy avait l'habitude de se déguiser en clown pour rendre visite aux enfants hospitalisés... Lire: https://blog.francetvinfo.fr/deja-vu/2014/10/20/john-wayne-gacy-gentil-clown-et-tueur-en-serie.html

 John Wayne Gacy.

 

III. Le clown malfaisant à travers la littérature,
le cinéma et les caméras cachées

Depuis la fin du XIXe siècle, l'image du clown bienveillant s'oppose ainsi frontalement à celle, plus obscure, du clown maléfique. Dès 1892, Ruggero Leoncavallo crée l'opéra Paillasse à Milan, dans lequel il met en scène un personnage de clown meurtrier - en s'inspirant d'un fait divers réel survenu en Calabre (https://offpagliacci.wordpress.com/2011/10/13/les-deux-amours/). Quant aux années qui ont suivi l'arrestation de Gacy, elles ont été particulièrement prolifiques, le cinéma et la littérature donnant naissance à des clowns malfaisants de fiction. Voici les plus connus :

- Stephen King, dans Ca, il est revenu (1986), a inventé le personnage de Grippe-Sou, un clown surnaturel qui tue les enfants dans la petite ville de Derry, dans le Maine. Le livre, un clasique de l'auteur,  a été adapté en un téléfilm de deux parties en 1990 par Tommy Lee Wallace. Une nouvelle adaptation serait en production.

- Le comics Spawn de Todd McFarlane met en images un clown particulièrement déjanté, surnommé Le Violator.

- La figure du Joker, dans Batman, est restée dans toutes les mémoires depuis son incarnation par le défunt Heath Ledger dans The Dark Knight, de Christopher Nolan (2008).

- Le manga Death Note, écrit par Tsugumi Ōba et dessiné par Takeshi Obata, met en scène un dieu de la mort grimé à la manière d'un clown et nommé Ryuk.

- Le personnage du Captain Spaulding, figure centrale des éprouvants films d'horreur House of thousand corpses et The Devil's Reject, de Rob Zombie, est un clown. Le prochain film de Rob Zombie, pour l'instant intitulé 31, devrait également traiter d'un clown maléfique. A suivre sur le site https://robzombie.com/ où une vidéo de présentation donne quelques clés sur le projet en gestation.

- En vrac, les réalisateurs ont utilisé le personnage diversement ces dernières années : clown pédophile (Carnival of Souls, d'Adam Grossmann et Ian Kessner, 1998), clown zombie (Bienvenue à Zombieland, Ruben Fleisher, 2009, ou Stitches, de Conor McMahon, 2012)...

- A la télévision, la saison 4 d'American Horror Story laisse une belle place à un clown particulièrement terrifiant, ces jours-ci...

- Le jeu vidéo a ici et là fait référence à l'image du clown maléfique. La plus célèbre renvoie sans doute au personnage de Needle Kane, dans le jeu Twisted Metal, sorti initialement sur Playstation.

- Enfin, on ne compte plus les caméras cachées qui utilisent la figure du clown maléfique pour se jouer d'innocentes victimes. Ce sont sans doute ces vidéos, aisément retrouvables sur Youtube, qui ont donné l'idée à certains de rejouer ce genre de gags ces jours-ci dans les rues des villes françaises, européennes et américaines. Ce qui m'amène à conseiller aux plaisantins tentés par l'aventure qui liraient ces quelques lignes de faire preuve d'un peu de jugeotte: il s'agit de comprendre que la peur que peut inspirer un clown vient de loin, peut être profonde et ne devrait donc être sollicitée que dans un contexte totalement sûr pour la victime - ce que ne peuvent garantir que des équipes de professionnels des caméras cachées. Sans compter que la justice semble actuellement disposée à punir sévèrement les farceurs voulant profiter de la psychose. Vous êtes prévenus...

Pour le reste, il ne s'agirait pas d'oublier que les clowns sont avant tout, très majoritairement, l'occasion d'une bonne tranche de rigolade. A ce titre, je termine sur une séquence culte du PAF dont je ne me lasse pas...

Antoine Decaunes & José Garcia - Jango Edwards