(Ceci est une mise à jour d'un post de 2013)

Hello tous,

C'est un truc auquel je m'étais toujours refusé jusqu'ici. Le genre de sentence définitive qui finit toujours par te péter à la gueule quand tu en arrives (inévitablement) à tomber sur un souvenir oublié de jeu encore mieux que celui auquel tu pensais vouer une éternelle fidélité ou, plus simplement, sur un petit rien tout neuf qui t'en met plein les mirettes au point de te faire douter. Parler de son jeu "préféré", c'est exclure d'office tout ce qu'il reste à découvrir, c'est mettre de côté plein de petites merveilles auxquelles, forcément, on va se mettre à penser une fois que l'on aura fini ce billet. Tiens, moi, j'y pense déjà. Black Belt, ça fait chboum là-dedans. Et se glisse Worms, premier du nom : qu'est-ce qu'on a pu défourailler sur ce jeu avec mon frangin, des nuits durant, pendant que les parents râlaient parce qu'il était quatre heures du mat', qu'on faisait du potin et qu'on devait aller à l'école à 8h. Ohlala, et puis je ne parle même pas des perles de l'AES, Samurai Spirits en tête. C'est encore le jeu auquel je joue le plus aujourd'hui.

Enfin, presque.

Au nombre d'heures cumulées, c'est un autre petit bonhomme qui tient la palme. Je m'en suis rendu compte en le recommençant ce week-end sans doute pour la trentième ou quarantième fois. Je vous vois rigoler d'ici, les gars : oui, c'est un vieux machin en 2D, oui, c'est un concept vieux comme le monde et une réalisation datée. Mais Wonderboy III : the Dragon's Trap, c'est ma madeleine à moi, c'est ce je-ne-sais-quoi qui m'a fait aimer les jeux vidéo quand j'étais gamin, et qui me rappelle pourquoi je les aime aujourd'hui encore, quand j'en viens à douter. Alors oui, bon sang, j'assume. Wonderboy 3, c'est mon jeu culte, ma petite cartouche préférée.

Vous allez me demander : "Et les Wonderboy I et II, coco?" Ach, grosse erreur ! Les deux titres initiateurs de la saga (qui aura droit à six épisodes au total), à savoir Wonderboy et Wonderboy in Monster Land divergent du troisième épisode. En particulier le premier du nom, sorti en 1986. Initialement, Wonderboy est en effet un simple jeu de plateforme. Sorti sur Master System, le titre propose un scrolling horizontal et une évolution de la gauche vers la droite, à l'image du standard imposé quelques années auparavant par Pitfalli (la version première du très connu Pitfall, notamment déclinée sur Atari 800 XL, où je l'ai connue). Neuf niveaux y sont à parcourir, eux-même divisés en plusieurs zones qui s'ouvrent une fois les objectifs remplis. Regardez la vidéo ci-dessous quelques instants : nous sommes dans de la plate-forme pure, où le gameplay repose principalement sur l'évitement. Ce sont pourtant les capacités offensives du Wonderboy qui vont faire la légende de la saga.

A l'origine de Wonderboy, il y a le studio Escape, plus tard renommé sous l'appellation Westone Co. Et derrière ce nom se cache Ryuichi Nishizawa, l'homme qui, inspiré par le culte Wizardry, a donné sa personnalité à la franchise, sur arcade, sur Master System puis sur Game Gear et Megadrive. Lui voulait que Wonderboy, à l'origine, soit un jeu qui mette le joueur sous pression, à tel point qu'initialement le titre était conçu pour imposer des déplacements constants. C'est d'ailleurs cette idée, jamais vraiment abandonnée, qui donnera par la suite naissance à un Wonderboy au scrolling horizontal imposé.

Pourtant, ce n'est pas cette direction qu'a d'abord pris la franchise. Dès le deuxième opus, baptisé Wonderboy in Monster Land (Wonderboy Boy in Monster World au japon) et sorti en 1987, Nishizawa tente d'enrichir son concept, soucieux de combiner des éléments de RPG avec un jeu d'action-plateforme. Tom-Tom, le héros du premier opus, y gagne désormais la possibilité d'acheter différents items qui lui permettent de devenir plus performant, de glâner certaines capacités (notamment lancer des mini-tornades, on y reviendra plus loin). Comment, le héros s'appelle Bocke ? Nishizawa a révélé dans une interview avoir souhaité dès le premier Wonderboy que son personnage principal se nomme Bocke, ce qui ne s'est hélas pas révélé possible en raison de la stratégie de SEGA à l'internationale (le nom de Bocke ne semblait guère vendeur). Tom-Tom et Bocke ne font donc qu'un.

 Vous aurez remarqué, à travers la vidéo, l'évolution assez radicale du gameplay. Il s'agit certes toujours d'y faire preuve d'adresse - la dimension action-plateforme et scoring -, et la structure en niveaux est encore présente, mais Bocke doit désormais "penser" son équipement pour optimiser son efficacité face aux ennemis. Autre particularité : sa vie, matérialisée par des coeurs, peut être accrue au fil des items ramassés à travers le jeu. De l'équipement, des caractéristiques évolutives : les bases du renouveau de la saga sont déjà là. Et elles vont donner naissance, à travers ce titre par ailleurs assez quelconque, à l'un des titres les plus mythiques (et sans doute l'un des plus recherchés) de la Master System.

C'est en 1989 que les joueurs Master System peuvent mettre la main sur Wonderboy III The Dragon's Trap (Wonderboy in Monster world II, au Japon). Et tout de suite, Nishizawa y pose la filiation de son bébé. Les premières minutes de jeu reprennent en effet, dans une version graphiquement très améliorée, les derniers instants de Wonderboy in Monster Land. Bocke y  pénètre dans le château dans lequel se cache le boss final du précédent opus : la fameux dragon-robot. Mais la fin varie très "légèrement". Là où Bocke achevait sa quête dans le précédent opus, il est désormais victime d'une terrible malédiction qui le transforme à son tour en dragon. Point de départ d'une gigantesque aventure qui ne renie pas ses origines, la plateforme, mais les transcende pour devenir l'une des épopées RPG les plus passionnantes que le jeu vidéo ait jamais livrées.

Wonderboy III part de cette d'introduction pour habituer le joueur aux évolutions radicales de gameplay qui ont présidé à la gestation de cet opus. Toujours soucieux de renouveler l'expérience à chacun de ses jeux, Nishizawa, entouré de Rie Yatomi, Naoki Hoshizaki et Shinichi Sakamoto, a en effet totalement abandonné, cette fois, la dimension scoring, pour se concentrer sur une expérience faisant désormais autant appel à l'adresse qu'à l'intelligence. Car The Dragon's Trap, jeu totalement à part dans la saga Wonderboy, n'a plus du tout la structure d'un jeu de plateforme classique : ici, point de niveaux ou de rounds à boucler, l'ensemble des mondes sont interconnectés par de simples portes (déjà présentes dans Monster Land mais utilisée différemment) qui permettent, à tout moment et pour peu que l'on possède la bonne clé ou le bon accessoire, d'y accéder. Le joueur malavisé peut donc bien vite se retrouver dans des environnements particulièrement hostiles (le monde de lave, notamment) puisqu'il ne dispose pas (encore) de la bonne armure pour se protéger. Générer - et bien noter - ses codes de sauvegarde n'a donc rien d'une option dont on peut se passer.

L'essentiel du concept renvoie ainsi le joueur à une bonne gestion de ses possibilités, qui de surcroît mutent radicalement à mesure que, idée génialissime, le héros change de forme (il deviendra souris, poisson, lion, oiseau avant de retrouver sa forme humaine). Pad en main, il s'agit donc évoluer en fonction des capacités (attaque, défense, charme) que l'on possède à un instant T, tout en les faisant progresser en trouvant des coffres ou en achetant ce dont on a besoin (épée, armure, bouclier, pierres de charme, coeurs ou accessoires de combat que l'on peut jeter vers l'ennemi (flèches tirées vers le haut, utiles pour détruire les nuages agressifs, tornades...) ou utiliser pour soi (élixir de résurrection, notamment). L'argent est pour sa part récolté en éliminant les monstres des cartes, qui repopent à volonté dès que l'on quitte la zone. Le farming avant l'heure...

Le petit truc en plus tient au level design particulièrement tortueux (il faudra être malin, parfois, pour trouver son chemin) et qui regorge de passages secrets et d'astuces que l'on se pique bien vite de rechercher. C'est bien simple : The Dragon's Trap a beau se boucler en quatre ou cinq heures si on le pratique en ligne droite, il relève du challenge monstrueux pour qui tient à en découvrir tous les secrets. Et autant dire que certains de ces secrets sont bien précieux face aux boss qui rythment l'aventure, invariablement des dragons mais dont les attributs changent considérablement. Ce sont eux, au passage, qui font évoluer la malédiction vers un nouveau niveau.

La grande force du titre, aujourd'hui encore, c'est tout cela mis bout à bout. Une réalisation cartoon qui n'a pas pris une ride pour qui aime la 2D, un gameplay d'une précision diabolique - il renvoie à la précision d'un Mario, c'est dire -, un level design retors et fichtrement malin, c'est déjà beaucoup plus que ce que propose 90% de la production vidéoludique actuelle. Alors, si on ajoute à cela l'OST créée par Shinichi Sakamoto... Parlons-en, d'ailleurs, de cette soundtrack : non seulement reprend-elle et réorchestre-t-elle les grands thèmes entendus dans Monster World (les premières minutes de jeu, à ce titre, sont un régal pour l'afficionado de la série), mais elle imagine, pour chaque nouvel environnement, une nouvelle partition, invariablement inspirée et collant parfaitement aux univers traversés. C'est bien simple : une part non négligeable du sex-appeal de The Dragon's Trap vient de cette OST. Elle fait partie de ces refrains qui nous trottent dans la tête pendant des années.

L'OST complète à l'adresse : https://www.youtube.com/playlist?list=PL90D47AE79C581705

 
The Dragon's Trap, cependant, est un épisode à part dans la saga Wonderboy. Au point que les suites, Monster World III et IV (sur Master System puis Megadrive), n'ont jamais pu vraiment retrouver l'état de grâce de cet opus, quand bien même ils sont d'excellente qualité et de remarquable facture. Sans doute est-ce là aussi la raison de la popularité, aujourd'hui encore, de cet ovni vidéoludique, qui a non seulement connu une adaptation sur Game Gear, mais a aussi eu droit à un portage réalisé par Hudson Soft sur PC Engine, sous l'appellation Adventure Island. On notera que cette version du jeu est beaucoup moins connue, ce qui est dommage tant l'adaptation est fidèle à l'original : les graphismes y ont simplement été légèrement améliorés, tandis que l'OST, réarrangée, a perdu un peu de sa force.
 

 
Ryuichi Nishizawa, désormais impliqué dans un remake du jeu officiel avec Lizardcube et dans un hommage à la saga avec l'attendu Monster Boy (https://www.gameblog.fr/blogs/noiraude/p_118264_le-cultissime-wonderboy-iii-the-dragon-s-trap-aura-son-remak, un article du 02/06/2016), a plusieurs fois répété son souhait de reprendre sa série avec un nouvel opus, cette fois en 3D. On est donc en droit d'espérer, 27 ans après, qu'une véritable suite de The Dragon's Trap voie également le jour dans un proche avenir, le titre original retrouvant un peu de visibilité à la faveur des projets qui revendiquent sa paternité. Cela démontrerait une fois de plus, comme j'en faisais la démonstration plus haut, le peu de pertinence de l'expression "jeu préféré". Oui, M'sieurs dames,  on appelle ça savoir retomber sur ses pieds...
 
Sources :
https://www.youtube.com/playlist?list=PL90D47AE79C581705
https://fr.wikipedia.org/wiki/Wonder_Boy_III:_The_Dragon%27s_Trap
https://www.hardcoregaming101.net/wonderboy/wonderboy-interview.htm