C'est le feuilleton de cette fin d'année ou le début de fin de règne ? A quelques trimestres d'une transition technologique importante (Wii U, manoeuvre probable de la concurrence) la fébrilité gagne les plus puissants. C'est ce que l'on peut retenir du terrible fiasco de communication externe que Nintendo et Sony ont lamentablement conduit après que leurs game designers emblématiques respectifs ont été au centre d'un tourbillon médiatique qui menaçait de les emporter. Si Fumito Ueda a littéralement explosé en vol, les stratèges en communication de Nintendo ont très vite éteint l'incendie innocemment (?) allumé par le grand enfant Miyamoto.
 
 
Rappel des faits. Une rumeur lancée par le site Eurogamer fait surface : la tête pensante du studio Team Ico (caution hardcore gamer de Sony Worlwide Studios), aurait démissionné de son poste de directeur. Le développement marathon de The Last Guardian trouverait son origine dans les soubresauts internes qui ont émaillé cette production originale. Dans un premier temps, Sony ne semble pas prendre la mesure de l'explosivité de cette rumeur, refusant sine die de commenter le qu'en-dira-t-on. Mal inspiré, le géant japonais jouera la carte du pourrissement. Eurogamer s'est judicieusement empressé de la recouper avec l'imprudente déclaration du directeur de SWW, Shushei Yoshida au Tokyo Game Show de septembre dernier : << la réalisation de The Last Guardian prend plus de temps que nous l'avions planifié. >> Pour un studio qui n'a rien produit depuis plus de six ans, la coupe serait-elle pleine pour l'état major de SWW ?
 
Le constructeur laisse courir cependant comme le veut l'adage, la nature a horreur du vide. Très vite, un nouvel événement vient confirmer le chaos d'une situation de crise anormalement gérée par SWS. Le producteur du jeu Yoshifusa Hayama annonce publiquement son retrait du studio pour voler vers d'autres horizons qu'il annonce d'emblée << plus profitables >> à son épanouissement professionnel. Sony n'aurait jamais mieux rêver comme sortie assassine. Le japonais fait bloc mais tarde à mettre en place une communication de crise laissant à nouveau les médias spéculer sur l'avenir incertain de The Last Guardian. Ce n'est que quelques jours plus tard que Sony se fendra d'un laconique communiqué officiel confirmant le départ de Ueda tout en garantissant que le jeu sera amené à son terme en vertu d'accords contractuels signés entre les deux parties. Cette gestion de la communication externe laissera un goût amer et souligne que malgré un retour à la profitabilité du groupe, une extrême nervosité domine toujours chez Sony.
 
 
Identique improvisation chez Nintendo. A l'aube de ses 59 ans, Miyamoto se sent pousser des ailes. D'ordinaire très encadré lorsque ce dernier s'adresse à la presse étrangère, le filtre de l'expert en communication qui l'accompagne à chaque rencontre avec les médias n'a pas fonctionné. Le game designer est un doux rêveur, très naïf, parfois incontrôlable et dont les probables digressions oratoires parfois à l'emporte pièce ont toutes les chances de se retourner contre lui. L'impensable arrivera lorsqu'à un rare moment de naturel, Miyamoto se laissera aller à une confidence volcanique : << j'ai récemment fait part à mes collègues de ma volonté de prendre ma retraite. Pas de quitter définitivement le monde du développement mais de prendre congé de la position que j'occupe actuellement. >> Le plus influent des game designers sent qu'il est temps de passer le relai aux jeunes pousses tout en ajoutant qu'il souhaitait travailler sur des projets plus intimistes, à dimension humaine. Immédiatement après la publication en gros titre de cette confession hors-norme sur le site Wired , l'affolement gagne aussi bien la bourse de Tokyo que l'état major de Nintendo.
 
L'action très entourée cède plus de 2% sur la place boursière nippone, le web s'enflamme, la contre-attaque de Nintendo est immédiate. Quelques minutes seulement après la mise en ligne sur le site de Wired de l'entretien, le porte-parole du constructeur apporte un démenti cinglant et mettra en accusation une transcription malheureuse des propos du génie : << c'est absolument faux, il n'a nullement l'intention de démissionner, il dit tout au long de l'interview qu'il souhaite former la jeune génération. >> Miyamoto ne souhaite donc pas prendre ses distances, l'affaire est entendue ? Bien sûr que non. Wired aura eu le privilège d'être le témoin d'un rare moment de lucidité que le verrouillage des communicants de Nintendo n'auront pas su filtrer à temps. La question de la transmission de son savoir-faire reste ouverte, Miyamoto reviendra sur cet épineux problème quelques jours après dans le Wall Street Journal.
 
Pourquoi précisément celui-ci et pas un site ou une publication de jeu vidéo ? Parce que les milieux financiers sont sur les rangs, la maladie puis la mort de Steve Job ont posé de manière aigüe les conditions de sa succession au sein d'Apple. L'âge avancé de Miyamoto soulève les mêmes craintes chez les investisseurs déçus par les contre-performances de la Wii et de la 3DS. Le destin de Nintendo est désormais entre les mains des milieux d'affaires qui ont permis de gonfler la capitalisation boursière de la société jusqu'à dépasser celle de Sony Corporation. Un contexte bien loin des préoccupations du monde enchanté de Miyamoto...
 
 
Dans un style de court métrage qui fait faussement oublier que rien n'est laissé au hasard (les mots et attitudes ont fait l'objet d'une mise en scène soignée, les visages sont précautionneusement floutés, une technique que je croyais réservée au porno nippon ^^), la vidéo joue la carte de l'authenticité et de la proximité (Kojima prend comme tout le monde le métro). Elle déroule le film d'un moment de confusion que l'incontestable rigueur professionnelle de Kojima Production saura heureusement corriger. Aucun autre employé chez Kojima Prod. ou Platinum Games ne suscite autant de passion chez les joueurs que le golden boy Hideo Kojima. Sa parole est d'évangile, ouverte à toutes les croyances, toutes les fables et storytelling... Et ca marche. L'incendie est maîtrisé, mieux, cette mise en scène a réhabilité la position de Kojima, rassurant que le pilotage des différents projets est entre de bonnes mains. Il gardera une surprise pour les fans, l'épisode 5 de MGS est bien planifié. L'honneur est sauf.

 
A des degrés divers, la riposte à un emballement médiatique est tout sauf une science exacte. La fausse transparence de Konami fonctionnera efficacement, il n'est pas sûr que cette recette agit de la même manière pour traiter les deux tempêtes médiatiques qui ont secoué Sony et Nintendo. Toutefois, s'inscrire en faux en passant par les canaux habituels de communication en négligeant le pouvoir d'abstraction de l'image alors qu'elle est le principal moteur de cette industrie est le signe d'un certain archaïsme. Aux deux constructeurs de moderniser leur communication externe sous peine de susciter et d'entretenir la défiance.