Après la ferveur, les interrogations. La dernière conférence financière plus précise qu’attendu sur la conduite de la stratégie de conquête du segment des jeux pour smartphone interpelle les analystes financiers sur sa pertinence. Au-delà de leur doute sur la capacité de Satoru Iwata à incarner la fonction qu’il préside dans un contexte de “modernisation” à marche forcée de Nintendo, c’est la logique d’entreprise qui pose problème. En particulier la politique de pénétration de ce marché que le constructeur entend mener à bien.

En effet, le haut dirigeant a exposé la direction à suivre en proposant notamment une offre ludique destinée à satisfaire les attentes du plus grand nombre. « Ma propre lecture du succès du marché mobile japonais repose sur la séduction d’une élite financière disposée à dépenser beaucoup d’argent [...] Mais si nous nous plions à suivre cette ligne de conduite, nous serions dans l’incapacité à nous adresser à des centaines de millions de consommateurs partout dans le monde et de proposer une offre ludique solide et pérenne » annonçait Satoru Iwata lors de son traditionnel tour de table.

Une profession de foi qui a fait bondir Benjamin Cousins, ex-cadre de DeNA devenu consultant : « Les développeurs de free to play qui ont tenté une approche identique on rencontré l’échec, cette logique d’appréhension du marché mobile dilue l’avantage compétitif apporté par le partenariat signé avec DeNA » réagit le spécialiste sur tweeter. La réalité est un peu plus nuancée. Cette stratégie peut être synonyme de succès (Flappy Bird, Temple Run…), il risque toutefois d’être insuffisant pour une société comme Nintendo.

Sa bonne fortune sur le segment des joueurs occasionnels avec la Wii nourrit ses ambitions hégémoniques

Le fabricant dispose d’une force de frappe ludique d’une incroyable efficacité. Sa bonne fortune sur le segment des joueurs occasionnels avec la Wii nourrit ses ambitions hégémoniques. Les fondamentaux sont présents, toutefois les hits mobiles ont été réalisés par de petites et dynamiques structures (Flappy Bird est l’oeuvre d’une seule personne). En plus de cette échelle ridicule eu égard à la taille d’une multinationale comme Nintendo, il faut ajouter un faible taux d’achat effectif des free to play ne dépassant pas les 5%…

Cela n’effraie pas pour autant DeNA dont les attentes de l’alliance avec Nintendo se fixent à 25 millions de $ par mois. Les analystes financiers sont partagés sur cet objectif. Le cabinet d’études de marché Newzoo estime cette perspective sous-évaluée : « Le top des jeux mobiles génère jusqu’à 1 milliard de $ par an ». Tandis que le directeur général de Digi-Capital juge que dégager un chiffre d’affaires de 300 millions de $ par an est « raisonnable ».

La monétisation attendue (Nintendo s’est pour le moment refusé de chiffrer ses attentes) risque cependant de souffrir du malaise officiel quant au modèle d’affaires du segment smartphone reposant sur l’exacerbation pécuniaire du contenu additif. Satoru Iwata rejette en bloc les méthodes de vente agressives dont sont familiers les éditeurs comme… DeNA. Certains observateurs industriels s’étonnent même de l’intérêt d’un tel rapprochement, « si j’étais Nintendo, je me lancerais seule. Qui a besoin d’associé lorsque l’on possède des franchises telles que Zelda ou Mario ? », s’interroge un analyste de Digi-Capital.

De même, l’union entre deux géants en difficulté sur leur marché respectif pourrait avoir des effets dévastateurs pour les deux parties engagées : « Ils sont en crise parce qu’ils n’arrivent pas assimiler les nouvelles règles du jeu [...] ce qui est préoccupant, c’est qu’ils pourraient rater l’énorme opportunité d’un marché évalué à plusieurs milliards de dollars ».

A Nintendo de faire preuve de réactivité et de flexibilité à l’exemple des “King” locaux. Pour le moment, les méthodes archaïques font mentir les intentions ostensiblement affichées. C’est ce que met en lumière un éditorialiste de GI.biz, furieux d’entendre encore parler en 2015 de verrouillage régional. Un point discuté par Iwata à propos de la NX. Resté évasif sur l’abandon d’une pratique commerciale dépassée par l’avènement de la numérisation des systèmes de distribution, pour l’auteur de l’éditorial à charge cette ambigüité est symptomatique d’un fabricant non réactif « aux idées sapées par de mauvaises décisions marketing dont beaucoup peuvent être attribuées à une défaillance dans la compréhension de l’évolution du marché ».

Nintenboy.com