Le cirque médiatique autour de la WiiU ne relève pas simplement de la chronique éditoriale qui fait le quotidien des sites d'info en continu. Nous assistons à un processus de décomposition qui affecte l'ensemble du spectre media. La cause ? Suivre à la lettre le rituel guerrier auquel les joueurs adversaires et partisans de Nintendo s'adonnent à chaque lancement d'une nouvelle console produite par le constructeur. Les tergiversations dans la communication du numéro un sortant y sont sans doute pour beaucoup également.
 
Cette énième bataille des consoles ne se réduit pas au choix d'une marque, elle met en jeu l'existence même de Nintendo. Lorsqu'une plate-forme comme la Wii U ne permet ni de clarifier une identité propre, ni de légitimer aux yeux du joueur une réelle plus value ludique, il y a danger. Pour Nolan Bushnell, fondateur d'Atari, la nouvelle console de Nintendo équivaut à "une fin de règne" dont la Wii serait l'épilogue. C'est la fin d'un certain régime de croyance dans la capacité du géant japonais à se renouveler. Internet joue un rôle prépondérant dans le temps de délibération des joueurs. Cantonné aux magazines spécialisés, ces derniers prenaient le temps, à intervalle mensuelle, de réfléchir sur les nouvelles consoles de Nintendo. Cette temporisation permettait l'émergence d'une forme de rationalité dans la perception d'une plate-forme. Celle-ci vole en éclat avec l'instantanéité d'Internet, les opinions se forgent comme la génération spontanée, bousculant l'agenda médiatique du constructeur.
 
A cela, le fabricant répond par la mise en place d'une communication directe entre lui et le joueur : "c'est une des raisons pour laquelle nous avons lancé le Nintendo Direct, a déclaré Satoru Iwata pendant une conférence financière, nous avons rencontré des problèmes lorsque l'information sur un nouveau jeu a fuité puis a mal été interprétée avant que nous puissions la publier sur Internet."
 
Loin d'en faire une analyse objective, la mise en scène du déballage et de l'expertise de la console par les sites web du jeu vidéo ayant pignon sur rue, sombrent dans la caricature et la chasse aux faiblesses de la Wii U. Sans aucune mise en perspective. L'autonomie et la portée du GamePad sont ridicules ? Deux restrictions délibérées du constructeur afin de ne pas créer un amalgame dans l'esprit du consommateur. La manette à écran n'est pas une extension périphérique de la Wii U, c'est une dépendance. La vitesse du processeur central de la console déçoit ? La configuration non conventionnelle de la puce graphique autorise une prise en charge plus importante de données mathématiques (GPGPU). La communication de Nintendo se révèle incapable de surmonter ce souffle contestataire, biaisé par endroit.
 
 
Son ND consacré au sacro-saint inventaire du pack de base Wii U s'est déroulé de manière clinique, froide. La rigidité cadavérique du personnage Iwata affublé de gants de chirurgien donnera la désagréable impression d'assister à une opération coeur ouvert à l'intérieur d'un bloc opératoire.
 
Une façon maladroite d'occulter le profond clivage qui existe entre un Internet du jeu vidéo nourri au matérialisme débridé (complexe du 60 images/seconde, Gigaflops ? Teraflops ?? ...) associé au sensationnalisme exacerbé et la communication stalinienne de Nintendo, sans saveur ni rêve. Le constructeur est clivé entre un passé glorieux et son ouverture assumée au grand public, synonyme pour les sites de jeu vidéo de haute trahison. Pendant qu'Iwata ou Fils-Aimée font leur grand oral à destination du joueur occasionnel, Myamoto et ses supplétifs s'adressent en langage des signes aux joueurs confirmés, sans prise réelle. Le principe de partition de l'espace ludique est en voie de conséquence involontairement entériné par ce partage des tâches communicantes.
 
Face à cette communication segmentée, le joueur n'entend que balbutiement, contradiction. Le web du jeu vidéo se révèle incapable d'y apposer un filtre pédagogique, préférant la statistique publicitaire bien plus rémunératrice qu'une démystification éclairée de la Wii U. Les sites ont intériorisé le langage émotionnel, irrationnel des joueurs. Nintendo devra redoubler d'effort pour court-circuiter une frange de joueurs et par affiliation démagogique de sites qui lui sont désormais hostiles : "nous irons au devant du public [...] nous souhaitons que les joueurs l'expérimente par eux-mêmes que ce soit à l'intérieur d'un magasin ou lors d'un événementiel" témoignait il y a peu le responsable marketing de Nintendo, Scott Moffit.
 
 
L'effacement de Nintendo est moqué mais la console fait mouche. Cà et là, des ruptures de stock sont évoquées, entre pénurie organisée et véritable engouement, les clients prennent racines plusieurs jours avant le lancement de la Wii U ou se bousculent dès l'ouverture des portes des magasins. Les premières statistiques de vente valideront ou non cette impression de succès. L'absence d'excès de Nintendo ne colle pas au récit de guerre technologique débité en boucle par les sites de jeu vidéo. Le constructeur leur oppose à travers la Wii U et la singularité de sa manette, un atelier dont les joueurs sont les inventeurs, les créateurs.
 
Ce langage de sourd est patent. A l'amateurisme du plan com de Nintendo répond l'aveuglement éditorial du web du jeu vidéo. Le constructeur multiplie les lapsus, les couacs et les équivoques au lieu de mettre en place une communication de crise à destination desdits sites.
 
Cette incapacité à se mettre au diapason de son environnement médiatique pousse Nintendo à favoriser son propre canal de communication au mépris d'un déblaiement en bonne et due forme de cette jungle du web du jeu vidéo. La désignation du joueur comme seul acteur valable de l'industrie provoque convulsion et rancoeur de la part de l'Internet du jeu vidéo. Le constructeur ne veut plus être prisonnier d'un langage partisan. Ses éléments de langage sont désormais l'expérimentation personnelle. Le plus court chemin vers le succès.