Difficile de cacher mon enthousiasme au moment de mettre sur papier mon sentiment pour ce qui fut pour moi LA révélation 2015 côté Série. American Crime parait effectivement bien sobre comme choix de nom au jugement de cette dernière une fois la lecture des intentions réalisée. Qu’est-ce qu’un crime américain ? Son auteur, John Ridley, a choisi le crime racial pour étayer sa vision non manichéenne (cela va de soi) des évènements tragiques dont sont finalement constamment en proie les Etats-Unis de la Liberté et des Armes à Feux. Evidemment, le thème traité fait écho puisque depuis 2014, Ferguson, Baltimore, Sanford, Saint-Louis et d’autres font écho au Los Angeles de 92.

Pourtant, le cœur des débats se déportent sur la ville modeste de Modesto, Californie. L’équilibre chancelant du vivre ensemble local se voit bouleversé par le sordide meurtre apparemment racial de Matt Skokie, blanc dont la fiancée Richelle est laissée pour morte, dans le coma. Elle aussi est blanche. Dis comme ça, ça fait très Kill Bill. Il n’en est rien. Rapidement, le principal suspect est identifié et il est mexicain. Membre d’un gang, il remplit parfaitement le rôle d’accusé même si la police du comté, zelleuse de réputation comme de faits, manque de preuves accablantes confondant pour de bon le présumé innocent. Hector Tontz, c’est son nom, est impliqué mais jusqu’où, est-ce vraiment lui ou n’est-il que complice voire innocent. 

Même s’il ne s’agit pas là que du seul point d’excellence du show, American Crime s’appuie sur une conception de ses personnages comme un casting de très haut standing. Formidable dirait Stromae. Le nombre de personnages principaux est affolant. En principe, c’est plus un défaut qu’une qualité puisqu’il devient difficile de laisser à tout le monde la place pour s’exprimer. Cependant, toute la série s’articule autour des répercussions de ce meurtre racial jaillissant au sein  des différentes communautés que comporte la ville californienne de quelques 200 000 habitants. Blanche tout d’abord puisque la famille respective des victimes appartient à ce qu’on appelle les WASP. Je dis ça, je ne suis pas allé vérifier ce qu’ils portaient autour du cou. Hispanique ensuite, dont l’un de ses représentants est principal suspect, l’intégration de ces derniers étant remis en cause (plus par les membres de cette communauté eux-mêmes que ceux des autres d’ailleurs). Puis Noire, l’enquête révélant les secrets d’implications de bien plus de monde qu’on ne croit au début au fur et à mesure de son avancée.

Côté casting/personnage. Blanc pour commencer. L’excellente Félicity Huffman campet la mère célibataire de la victime dont la personnalité oscille entre mère aimante ayant tenu à bout de bras le semblant de socle familial qu’il pouvait encore subsister pendant 20 ans et ambiguïté communautariste - on ne sait jamais vraiment si elle est vraiment raciste ou comme pas mal de gens, stigmatisent selon les circonstances et l’affect telle groupe de personne portant la même couleur de peau. Le non moins à-propos Thimothy Hutton prend les traits de l’ex-mari célibataire de celle-ci dont la dépendance au jeu et l’échec dans son rôle de père aura forgé le caractère fort de son ex-femme avant qu’elle ne prenne le large, divisant durablement la famille et tentant désormais de se racheter depuis quelques années en étant plus présent (trop tard pour son 1er fils) auprès des siens désormais dispersés aux quatre coins du monde.

Tout le sel du côté de cette première famille touchée (les parents de la rescapée sont présents dans les discussions mais n’éclaboussent pas vraiment de leur talent) tient aux dissensions jalonnant les deux ex-pour la vie au sujet de la dépouille de leur fils (l’enterrer à l’endroit où il a choisi de vivre et s’est fait tuer ou le ramener à la maison, près de Maman), la première prenant en l’apparence l’ascendant sur le second ne serait-ce pour ses fautes à lui qu’elles n’a eu cesse de rattraper/colmater/subir pendant toutes ces années. L’occasion pour l’auteur de s’attacher aux thèmes de la perte d’un enfant, des tensions inhérentes au sort de la dépouille de l’être bien aimé lorsque les parents sont en froid. Et évidemment l’inscription dans cette enquête criminelle sur le sort de leur fils, puisque tous deux souhaitent que justice soit rendu. L’obtiendront-ils est à ce propos une très bonne question.

 

Côté hispanique désormais. En fait, il y a 2 points de vue différents. Celui du principal suspect, le caïd aussi gringalet que teigneux Hector Tontz dont j’ai déjà fait allusion en amont. L’intérêt porté par l’auteur sur les déboires carcéraux et interrogatoiratifs du jeune hispanique se justifie par la nature délicate d’une enquête qui ne manque pas de témoignages accablants mais dont les preuves à charge font défaut (l’arme du crime notamment, donc pas d’empreintes donc pas de confondaison formelle de l’accusé). Une épreuve permettant d’ailleurs de mettre en lumière le passif (pourquoi il en arrive à être suspect finalement), le background social – la crainte d’être renvoyé au Mexique pour une affaire de drogue et de Cartel qui veut sa peau là-bas, puisque Hector a la double nationalité – et sentimental de cet Hector qui derrière le criminel pédant dissimule une vie de famille – femme et fille de 6 ans – à laquelle il tient énormément. Puis bon, autant, ne pas finir au fond d’un ravin du Veracruz.

 

Et puis, il y a un second point de vue. Celui vu à travers la petite vie rangée de la famille d’origine mexicaine Gutiérrez bien intégrée à Modesto. Pour ainsi dire, les enfants s’appellent Tony et Jenny, pas Hector. Signe évident d’une volonté d’intégration totale au pays d’adoption de parents bien installés au cœur de la Californie paisible depuis une vingtaine d’années. Une famille marquée par la perte de leur mère il y a de ça quelques années. Mais un foyer soudé autour d’un père aux principes et valeurs ancrées, solidement inscrites dans l’idéal américain : travail, famille, église. Un père aimant tentant de donner non pas un cadre stricte mais un cadre juste à ses enfants pour qu’il puisse se constituer comme le voudrait n’importe quel parent en sachant qu’il est difficile de jouer le rôle de 2 lorsqu’on est plus que la seule autorité pour 2 jeunes adolescents de 15 et 16 ans se cherchant.

Le père s’attache donc à impliquer ses rejetons tant dans leurs études que leur perspectives futures, conviant notamment son fils à s’occuper de temps à autres des voitures qu’il retape dans son garage, un business monté de ses propres mains. ; vision définitivement américaine. Normalement, à cet instant, vous vous demandez que ce brave trio puisse bien avoir de près ou de loin avec notre crime. Tout. Puisque comme tout ado, Tony fait des conneries, et si se faire un peu d’argent en prêtant le véhicule retapé qu’il avait à charge de faire rouler à n’importe qui un soir de meurtre n’en est pas une grosse ... C’est donc à travers la lente perdition d’un ado qui n’avait pourtant rien pour se faire aspirer par la faille de la complicité que toute la famille revoit ses fondements et ses croyances remises en question (la police, la justice, l’éducation, la voie).

 

Reste à voir ce qu’il en est côté noir. Singulièrement, c’est une nouvelle fois à travers 2 points de vue que le spectateur doit composer. La vision des péripéties post-tragédie telles qu’elles sont perçues au sein de la communauté afro-américaine prend corps primairement par  l’intermédiaire du couple mixte blanc-noire/noir-blanc Carter Nix et Aubry Taylor. Il est noir. Elle est blanche. Un couple au combien passionnel (presque un euphémisme d’écrire ça …) très porté sur la drogue puisque ce ne sont ni plus ni moins que 2 junkies. Un amour fusionnel sans concession les consumant manifestement à petit feu, le duo s’enfonçant durablement dans leur réalité fantasmé cuite après cuite, pipe après pipe, dope après dope. Jusqu’à ce que la réalité bien réelle elle, ne les rattrape tel un boomerang en pleine poire. Car c’est là que fiction et réalité s’entrecroise pour ne faire plus qu’un, le jeune Carter se voyant mêlé à cette sordide histoire et donc, ce meurtre sauvage. Le développement de la séparation des deux inséparables prenant écho dans le soutien des 2 familles des amoureux. Un soutien à bien des égards divergent ; mais convergent cependant sur un point. Ma fille ne doit plus fréquenter votre frère. Mon frère ne doit plus s’accoquiner de votre fille.

 

Le second point de vue du côté de la communauté noire se personnifie par les traits de la sœur du second suspect principal Aliyah Shadeed, fraichement converti à l’Islam, elle milite contre l’abus policier et met rapidement en place une manifestation populaire visant à soutenir son frère, accusée à tort et sans preuve selon elle. Convaincue que son frère est entrainé par cette jeune blanche dépravée – effectivement Nix parait plus en contrôle que sa dulcinée – plus qu’autre chose, celle-ci va jouer sur 2 tableaux pour casser l’élan de cet amour visiblement bien trop puissant pour être défait sans consentir un maximum d’effort. De ce point de vue-là, la sœur du suspect et la famille d’Aubry se rejoigne. Ces derniers composés du père, de la mère et du frère représentent l’archétype type de la famille saine, équilibrée dont la seule faille provient de la tournure qu’a prise la vie de leur fille, émancipée, n’ayant pas suivi les balises semées par son modèle de frère. Les fréquentations … Dans un cas comme dans l’autre, ce sont les thèmes de l’âme en peine, de la sauvegarde de celle-ci ainsi que du soutien familiale qui sont esquissés, prenant à témoin le destin brisé d’un jeune couple sans véritable issue impliqué de près ou de loin

 

Bien entendu, tout ce petit monde qui ne se croise pas vraiment va confluer les existences des uns les autres pour finalement affecter de près ou de loin le sort de tout un chacun. Une belle réussite puisque même si aucune rencontre n’est actée sur la dizaine d’épisode que compose American Crime, le parallèle est constamment d’entremise entre ces destins chiadés - quel que soit leur communauté d’appartenance et couleur de peau - dont chacun gère la teneur selon sa propre personnalité et son propre environnement (social, familial, professionnel). Si la grande force du show se situe indéniablement dans son écriture, son tissu et ses raffermissements, il serait pour le coup criminel de ne pas rendre à l’imagerie ce qui appartient à l’imagerie. La mise en image est vraiment singulière, rarement, je n’ai dénoté de cette façon de filmer une série. Ça commence par le générique qui n’en est limite pas un (pourtant il y en a bien un) tant il va à contre-courant de ce qu’on a l’habitude de voir – c’est simple : pas d’images de synthèse, pas de casting en filigrane, pas de coupure entre celui-ci et le corpus – désarçonné par tant de brio, je fus. Tiens, je me mets à synthaxer comme Yoda.

 

Le ton général est très posé, très tranquille, tant dans la mise en scène que la composition musicale/sonore. Et n’allez pas croire que ce cocktail aboutisse à un résultat mou, effacé voire sans saveur. C’est en réalité tout le contraire. Les sentiments et émotions éprouvées sont décuplés et l’attention ne retombe pour ainsi dire jamais. Ne serait-ce que ne pas mettre de musique en fond sonore quand les dialogues ont lieu, la scène prend instamment sens et puissance. C’est fou ce que ça change par rapport aux autres séries. American Crime est bourré d’intentions comme de détails qui frisent le génie aussi bien dans le fond : les thèmes, les relations, les personnalités, l’intrigue ; que dans la forme : la mise en scène, la composition musicale, la photographie – cette luminosité bordel, la justesse du casting. Des qualités qui lui valent d’être MA série parmi les séries de 2015 (et ce malgré l’excellent True Detective) et de préfigurer la saison 2 - ne s’attachant non plus aux reliquats d’un crime racial mais aux embardées d’une agression sexuelle – comme l’évènement sériesque le plus attendu de l’année par votre honorable prestidigitateur. Formidable.

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