Bieber. Gosling. Poutine (le plat culinaire pas l'agent du KGB à la tête d'un Etat). Caribou. Tabernacle. C'est tout ce que je connais du Canada. Et aussi : "Vive le Québec libre" mais ça c'est mon côté vieille France qui reprend le dessus. Ou mon Gaullisme refoulé. Je travaille ça avec un psy (de gauche). Oui donc, Deus Ex est mort, vive Deus Ex et ce depuis la résurrecution, que dis-je, la Human Revolution de 2011. Nous sommes fin Aout et mon agenda m'indique que la suite de la licence ressuscitée d'entre les morts de Warren Spector accueille son 4ème épisode. Suite directe du reboot opéré par le studio nouvellement formé d'alors sur la Terre Promise du jeu vidéo (le Canada ; suivez bon sang de bonsoir, de quoi parle-t-on depuis le début !?) : Eidos Montreal.

17h50.


La Masterclass du Directeur Artistique Exécutif d'Eidos Montreal fut longuement teasée à l'avance. Il était déjà intervenu sur la Masterclass de David Hego (Rocksteady - Batman Arkham) en tant que questionneur surprise l'année passée. La lecture eut lieu début Juillet de mémoire. Comme indiquée sur l'affiche ci-dessus, il s'agit donc d'un canadien québécois à l'accent acceptable (pas eu besoin de transpondeur intergalactique pour le comprendre dans la langue de Molière ascendante Ribéry) dont l'identité est un brun mégalomane : Belletête. Vantard va. Jonathan Jacques-Belletête donc. Ou l'homme aux tatouages puisqu'il y en a près de 1400 (ou presque) rien que sur la partie haute du bras droit du bonhomme. Petite précision (qui n'a rien à voir). J'ai arrêté de prendre les photos moi-même pour privilégier la discrétion et le suivi de la conférence en ne prenant que le bonhomme de temps à autres. Donc la plupart des images d'illustration vient de YT.

Pour ma part, je ne connaissais pas Deus Ex avant l'officialisation de l'avis d'exhumation de la licence par Square Enix - propriétaire de celle-ci depuis le rachat de Eidos Interactive et ses affiliés en 2009 - à l'orée 2010. A l'époque, je ne commençais que récemment à m'intéresser globalement au JV et non plus seulement aux jeux qui sortaient. Je ne faisais que commencer à forger ma légende du joueur qui croit aujourd'hui savoir tout sur tout. Je me suis donc réapproprié l'oeuvre originelle en matant 2 ou 3 vidéos pour savoir de quoi il en retournait. Je crois même avoir lu les tests des 2 premiers. Des jeux novateurs pour l'époque, sanctifiés depuis, qu'est ce que je raconte, déifiés. Fin surtout le 1er me diront les fans. Human Revolution fut mon jeu fantasme de l'année 2010 puis 2011. Ce qui veut dire quand on fait la traduction du Neves vers le français, que c'est le jeu dont je me matais les trailers en boucle tellement j'étais hypé à l'époque. Donc non pas Skyrim ni U3 mais Deus Ex Human Revolution. Le cyberpunk, le style artistique comme le jeu, le thème de la cybernétique, bref, un jeu unique en son genre pour un univers lui aussi UESG sur le périmètre JV. Voilà pour mon "lien" très distendu avec la licence. 5 ans après et toujours bloqué au cru 2010, je ne l'ai toujours pas fait. Ceci témoignant de ma patience comme de mon retard abyssale. Mais bon, son heure viendra. Et mon heure viendra.

JJB vaut pour Jonathan Jacques-Belletête, vous voilà prévenu.

En aval de sa présentation par le maitre de cérémonie Oliver Balls, JJB ne peut s'empêcher de relever le nombre affriolant de spectateurs dans une salle une nouvelle fois comble. En effet, il se permet un "vous n'aimez pas le foot !?". En effet, en ce Mercredi 6 Juillet, c'est tout de même demi-finale d'Euro 2016 entre le Pays de Galles et le Portugal (#ilsnouslontvolé). Qu'importe, le jeu vidéo prévaut. Autre point de précision, JJB est fan du concept, il a regardé les autres Masterclass. C'est un fan. Comme nous. Premiers pas pour commencer donc. Un gamin très normal d'après ses dires, il a toujours été porté sur le dessin, la peinture, un fort penchant artistique. Et naturellement, il a très tôt été attiré par le jeu vidéo, le divertissement mais aussi la création. Côté background, social d'abord, JJB a grandi dans le quartier le plus pauvre de Montreal sans le savoir et sans manquer de quoi que ce soit. Famille ensuite, l'environnement est sportif pour ne pas dire compétitif chez les Jacques (la branche maternelle) avec des joueurs de hockey et de baseball au sein de la cousinerie. Lui par contre bloque. Le sport d'équipe, la cohésion, la stratégie, ça n'a jamais été intégré là-haut. Bien plus branché sur le sport de combat.

Le cousin met des pains !

Plus branché Rocky que les Visiteurs (Okay, bordel, revoyez vos refs)

Souhaitant clairement à termes s'orienter dans une carrière artistique et si possible vers le jeu vidéo, ses parents ne sont pas un obstacle à son ascension dans le milieu comme à son rêve de gosse, bien au contraire. En effet, ce sont des hippies donc la marginalité de l'industrie du JV à l'époque n'inquiète pas outre mesure les parents de JJB. Non en réalité, les seules herses dressées sur la piste toute tracée du canadien (c'est JO en ce moment) émanent de la famille étendue puisque pour les sportifs invétérés, il devient un petit peu le mouton noir du troupeau puisque choisissant une voie sensiblement différente des standards familiaux.

Côté JV, la plus grande claque du bonhomme se personnifie en Legends of Cage et "c'est pas le designer". Un titre paru sur NES mettant le joueur aux prises d'un Ninja sautant très haut. Il a pourtant été très tôt intrigué par le rendu de la Colévision ou de l'Atari ST cependant le rendu pixelatoire le dérangeait. La NES balayant ces atermoiements. Il considère d'ailleurs que la NES fut clairement la console préfigurant la société vidéoludique dans laquelle nous nous goinfrons aujourd'hui.

Une partie de la collection personnelle du bougre

Si JJB n'a jamais considéré compléter sa palette de talent en lorgnant du côté du coding, c'est tout simplement parce que la collection neuronale ne s'effectue pas lorsqu'il s'agit de cet "art". En conséquence, plutôt que de coder ses imaginations sur PC, il les a très tôt gribouillés sur papier. Son influence principale se matérialisant en la scène locomotive d'alors : les jap' et bien sûr Squaresoft. C'est ainsi qu'on retrouve dans ses archives personnelles des BDs illustrant la trame scénaristique et artistique de son jeu en chantier du moment. A 15 ans, il passe naturellement aux boobs. Puis, c'est à partir de 16 ans qu'il apprend réellement ses premières techniques fondamentales comme la gouache, les rimlights (lumière de côté) ou encore les marqueurs. Alors il peint, il dessine, à longueur de temps.

Professionnellement pourtant, il ne destine pas du tout au jeu vidéo, ça ne reste qu'une utopie de derrière les fagots. D'ailleurs à l'époque, Montreal n'avait rien de ce qu'elle est devenue par la suite et suite à l'implantation d'Ubi dans la contrée : la Mecque du développement de jeu vidéo. Vive les aides de l'Etat Canadien. Vive le dumping. Non à l'époque, les Dieux de la discipline n'étaient ni américains ni européens, ni canadiens comme aujourd'hui, ils étaient japonais. Déficient du côté ingénieur que requiert la création d'un jeu, JJB se réfugie sous la jupe de son cousin lui qui jouit des 2 facettes : artistique et mathématique. Il occupe alors le rôle de Creative Game Entertainement (CGE) au sein de leur petite structure. Structure dont le projet aura été de concevoir un sorte de GTA avec des skaters et de la police mais avant GTA. Il soupçonne d'ailleurs Rockstar de vol puisqu'il s'est fait taxer sa tour avant d'avoir pu achever quoi que ce soit !

D'autant plus qu'à 19 ans, JJB est débauché de l'école par le studio d'animation phare du Canada à l'époque (qui n'existe plus aujourd'hui) : CiNAR. Et pourtant il se considère à l'époque nul en animation estimant qu'il leur a certainement fait perdre un gros paquet d'argent. Quoi qu'il en soit, à l'époque, l'homme aux tatouages finissait sa technique, une licence de 3 ans permettant d'acquérir des compétences dans l'illustration classique, le choix de couleur, l'hairbrush, la peinture. Et c'est à l'été de sa dernière année (1993) que CiNAR tombe sur le portfolio du bonhomme (bien aidée par sa copine de l'époque qui poussa gentiment et en sous-marin le dossier). Ces derniers décident alors de lui faire passer une batterie de tests qu'il réussit. Ainsi dans la mesure où l'obtention du diplôme de cette branche artistique ne garantit pas une prise de poste directe puisque nombre de ses prédécesseurs titubent à la recherche d'un emploi pendant des années, JJB opte pour la raison en acceptant formellement l'offre. Il travaille alors sur Caillou mais aussi Animal Crackers (à droite de Caillou sur l'image du dessus). Depuis son passage, CiNAR est mort et enterré. Sombre histoire d'appropriation frauduleuse de droits externes suivi de procès et meurtre sur la table de billard. Sale fairytale.

A gauche, la cousine et le cousin qui pose

Il quitte la boite et s'installe à son compte 2 ans durant. Kévin. Il s'embarque alors en free-lance pour la société d'édition au nom non révélé pendant cette Masterclass. Il se retrouve en charge d'illustrer une partie d'un livre d'entrainement d'exercices physiques pour les ados à l'aube des JO de Sydney. Nous sommes en 1998-1999. Une époque avant les caméras numériques (la mocap tout ça) - "avant d'aller sur Google pour voler des illustrations des gens" - où il fallait jouir de modèles posant (nus !?) pour les recréer virtuellement au moyen de photoshop ou illustrator. Ainsi grâce aux codes de dessin appris sur les bancs de la FAC puis du concourt de 2-3 cousins ainsi que des employés de la boite émettrice de la demande, JJB use de ses talents et même jusque sa personne pour réaliser la tâche, posant fièrement en tant que skieur de fond (en bas à droite de l'image - pour les aveugles).

En 1999, le rêve prend enfin vie. Il a l'opportunité de rentrer dans le milieu en intégrant Dyad (pas certain de l'orthographe), société de développement de jeu vidéo. Il l'intègre en tant que concept artist et découvre les joies de la Start-Up à l'époque où en être une est bien plus compliquée qu'aujourd'hui dans un monde où les canaux de distribution comme de communication ont explosé (la concurrence aussi donc le jugement ...). Il s'attèle ainsi au jeu PC Do Our Maze (orthographe à la one again) dont le concept repose sur les échecs et de a SF (???). Ca n'a pas fonctionné. Le studio se fait finalement racheté par Electronic Arts pour constituer la branche de développement mobile de ce dernier. L'entité n'existe plus en tant que telle aujourd'hui.

L'expérience reste très enrichissante pour lui malgré l'échec du projet auquel il participait. Il commence à comprendre qu'il a un rapport particulier avec le JV, il innove, il est force de proposition, il est source d'initiative au point de bouleverser les codes de fonctionnements de la boite vis à vis de la gestion de ces projets. C'est alors qu'il rejoint le studio 2AM, boite spécialisée dans la production de jeu de licence existante externe au média. Des projo essentiellement pour la Warner avec les Looney Toons, Monsters Inc. Lui est attelé à la console portable de Nintendo à l'écran non rétro-éclairé (petite devinette). Nous sommes en 2000 et c'est l'époque du pixel, il aime ça. Au point d'en faire un hobby une fois de retour chez lui après le boulot. Une époque qui lui fait dire que les japonais sont les meilleurs dans le domaine et l'ont toujours été même sur la génération PS360. Puisque ces derniers n'ont finalement fait que perpétuer les codes anciens sans spécialement chercher à embrasser la technique folle mise à disposition pour renouveler leur art.

Après la Game Boy Advance, il retourne sur des projets plus sérieux (lol). Scaler et WET, 2 titres inconnus à mon bataillon, font suite. Il n'assiste pas au lancement du second car il est débauché par les Bretons Indépendants avant la fin du projet. Il indique d'ailleurs que le jeu changera drastiquement après son départ en pleine full prod du bousin. WET permet d'incarner une héroïne à 2 flingues dans un NY enneigé et pris d'assaut par des extraterrestres gravissant des buildings comme l'Everest. Le jeu a un fort ton Sci-Fi qui fait peur à l'éditeur quant au potentiel commercial limité du courant. JJB de chuchoter : "ils se sont trompés". C'est à ce moment qu'il fait la rencontre de très grands artistes dont Jean François Mignon. Putain, les noms au Québec. Les mecs se sont pas fait iech quand il fallut choisir une fois débarqués de la Goélette. Tu t'appelles Belletête dorénavant et moi Mignon. Bref, retenez JFM, personnage central pour la suite. Sinon, pour en revenir au jeu, WET est bon mais WET n'a pas de marketing. Et c'est selon JJB l'un des principaux griefs du projet, les qualités du jeu ne sont pas assez vanté, le jeu se plante. C'est pour lui une règle d'or. Sans grosse machine marketing derrière, un jeu a une chance sur 100 de faire un carton au moins honorable. Minecraft par exemple.

JJB gravit les échelons au sein de 2AM au point de devenir l'assistant du Directeur Artistique. Un beau jour, Ubi sonne à la porte et lui offre un poste non pas d'assistant mais de DA. A cette époque, il n'est pas le seul à avoir des sollicitations et nombre de vieux briscards de la société souhaite convoler ailleurs, lassés par les jeux tirés de licences. C'est le cas de son mentor Thomas Wilson parti chez Beenox (les Spiderman pour Activision) et qui aujourd'hui en est le DG. C'est aussi le cas d'Alexandre Parisot qui a pris la tangente pour aller développer du Rainbow Six Vegas et qui est désormais le directeur d'Ubisoft Toronto. "Des gens qui avaient besoin d'un plafond plus haut" comme il dit. Concernant son opportunité, JJB est nerveux. Et pour cause, le jeu dont on lui pitche le propos se passe lors de la 3ème croisade, il est difficile de s'imaginer clairement ce à quoi on va être confronté. A l'époque, c'est encore un Prince of Persia. Pendant ses 2 semaines de vacances-réflexions, il se tape alors toute la liturgie sur les croisades tout en remettant sans cesse en question ce choix de rejoindre le "real deal" avec des pointures comme Pascal Blanchet, des mecs avec une vrai légitimité d'y être se dit-il ... Ubisoft, c'est sérieux. 'fin, à l'époque, c'était sérieux. Depuis, les Lapins Crétins sont avenus.

Comme c'est un nouveau et que les grands pontes de la boite française ne veulent pas délaissé la current gen d'alors (PS2, Xbox, GC), JJB est affecté au portage current gen du prochain PoP/AC. Il s'attèle ainsi à conserver la signature du projet next gen tout en lui conférant sa propre patte artistique. Assez fier du résultat, JJB ne peut pas se délecter de sa mise sur l'autel publique puisqu'Ubi annule le projet. Se rendant compte de la force du produit, Ubi en fait une nouvelle licence, renomme le jeu Assassin's Creed et en fait une exclusivité Next Gen afin de rendre le phénomène plus élitiste, plus balèze encore qu'il ne l'est déjà. Il poursuite son travail en prenant en charge la licence PoP. Ubi leur demande de proposer leur vision de Prince of Persia, malheureusement, aucune des propositions ne fait véritablement mouche. En dépit de la tonne de "cool stuff" jonchant les esquisses et concept mis en branle par l'équipe. Les "ça et là" de l'industrie.

Il enchaine alors avec la licence Far Cry, bossant sur Instincts et son stand alone Predators. A cette occasion, il rencontre Jean François Dugas. Je vous évite mon laïus sur les noms québécois à peine prétentieux, je vais m'énerver sinon. JFG dans la suite. Il bosse aussi avec André Vu. Tabernacle. A cette occasion, il découvre de plein pied la méthode de production Ubi. "C'était impressionnant le fonctionnement, 3000 personnes, c'est intense". Il rencontre une belle équipe de branquignole, d'artiste pardon et se confronte à la première vague de seconde génération (vous suivez ?). Une génération issue des bancs de l'école (la Centenade à Montreal spécialisée dans l'art, la 3D, la nimation) quand lui fait plutôt partie de la 1.5, hybride ayant suivi une formation scolaire mais l'ayant arrêtée pour taper dans la fourmilière et apprendre sur le tas.

Suite à Pleur Lointain, JJB passe 1 an à réfléchir à sa destinée. Une superbe époque où il planche sur des concepts avec JF Dugas, le "higlight de sa carrière". Ils sont 4 avec Bertrand Illias (producteur de Far Cry) et Yanis Mallat à imaginer l'extension du portfolio de licences de la marque Ubisoft. Ou plutôt 5 puisque Pierre Yves Savant (lui c'est un Québécois, c'est certain) se joint aux troupes pour brainstormer en mode carte blanche. J'ai compris. En fait ils sont 3 à réfléchir (JJB, JFD et PYS) et 2 à décider (BI et YM). Leur manière de procéder pour composer un projet de jeu est le suivant : réalisation de 30 concepts, sélection de 10 approfondis puis réduction à 4 magnifiés avant présentation powerpoint. L'exercice permet ainsi aux 3 bougres d'échanger sur tous les aspects du jeu, de la DA au système. Tout ça aux frais de la Princesse. Installé comme des Rois dans le premier batiment situé à l'extérieur de l'infrastructure montréalaise historique d'Ubi, il jouisse d'un espace gigantesque pour se la couler douce toute la journée et faire semblant de travailler. Une nouvelle fois, la démarche n'aboutit pas, aucun projet n'est retenu. Cependant, JJB voit en cette association une future fructueuse collaboration avec JFD, les 2 se remémorant à l'occasion les bonnes idées esquissées lors de cette année de réflexion.

Simplement, pour continuer à vivre, il faut manger. Et pour manger, il faut travailler. Ou hériter. Mais ce n'est pas le sujet du jour. Il passe alors DA sur Avatar The Game. JFD quand à lui passe sur Rainbow Six Patriots qui sortira sous le nom de SIEGE 8 ans plus tard. Il est très excité par le projet parce qu'il sait que le film est un très gros projet. En plus, il est prévu pour lui de rencontrer James Cameron qui certes est réputé pour être froid mais est quand même un réalisateur de génie avec Alien ou Terminator à son actif. Bref, tout cela est palpitant. Jusqu'à la lecture du script. Du film. Celui du jeu sera réécrit. Il se demande comment on peut avoir pondu un scénar aussi nul. Et on se le demande tous encore, 7 ans après le crime. Le jeu lui se veut différent dans son intrigue et son évolution. Le développement est entouré d'un zeste de secret pour ne pas dire paranoïa puisqu'Ubi va même jusqu'à confiner l'équipe derrière un SAS dans une section privée du studio pour prévenir les fuites avec reconnaissance oculaire, jusque disposer d'un intranet dans l'intranet. Flippant. Comme de coutume, JJB lui, prend la poudre d'escampette avant que le projet n'est réellement commencé à se terminer. Au final, le jeu sorti sera très différent de ce sur quoi il a bossé. Et ce qu'ils avaient promis en décrochant l'appel d'offre initial.

En 2007 des bruits courent. JJB apprends qu'un nouveau studio va se former en ville et qu'il est en charge de la reprise de la licence Deus Ex. Eidos Montreal nait. Son directeur général, David Anfoniso espère garnir les rangs en débauchant JF Dugas. Ce dernier accepte à la condition sinequanone d'embarquer dans ses valises JJB. David consent mais ce sont les 2 qui balancent et contrebalancent. En effet, leurs situations respectives sont plutôt confortables, pourquoi se risquer dans pareille aventure alors que je suis grassement payé chez Ubi ? De plus JFG était le 7ème employé d'Ubi Toronto. De quoi se prévaloir d'un large réseau comme d'un imposant cercle d'influence chez les Bretons. 11 ans de boite tout de même. Pendant un mois, ils soufflent à tour de rôle le chaud et le froid pour finalement se jeter dans la gueule du loup. Les pieds joints. Et ficelés. La tête en avant.

A droite, l'aquarium où la pré-prod du jeu tourne à plein régime

Enfermé dedans pendant 3 mois les pauvres ...

Bien évidemment, l'ami est un énorme fan du premier Deus Ex. Sinon, ils n'auraient pas accepté le pari. A ce propos, il a d'ailleurs une anecdote. A l'époque, son PC ne faisait pas tourner le jeu de Warren Spector. Il a alors décidé de l'installer sur le PC au bureau dans les locaux de 2AM. Il a lancé le jeu à midi approximativement et "a cligné" des yeux seulement la nuit tombée. Soufflé près de 8 heures durant par ce qu'il découvrait à l'écran : technique, liberté d'action, les réactions de l'IA. "Dans la boite de nuit, quand tu rentres dans les toilettes des dames, il y a une réplique !!". "On a avait jamais vu ça dans un jeu vidéo à l'époque".

François travaille sur le système de combat, assis en tailleur

Il intègre le studio en 2007. L'équipe n'est constituée que de 4 personnes. Il faut embaucher. Ca parait évident mais à l'heure de l'indéraldo à gogo, je préfère préciser. At the time, le studio est en rénovation, ils sont au 10ème étage quand leurs locaux en réfection sont au 6ème. Et la dame qui crie tout le temps la nuit (avec son mari à bout de souffle), elle est au 8ème. C'était vraiment très intéressant. Oui donc, ils sont dans leur aquarium à réfléchir toute la journée sans rien réellement créer, on appelle cela de la pré-prod ou pré-conception. Les trublions inscrivent ainsi leurs idées sur des grandes feuilles créant une gigantesque fresque pour en ressortir quelques mois plus tard avec une ligne directrice concernant le système de jeu, le scénar' de l'intrigue et la patte artistique. Le jeu est lancé sur ses rails. Comme le train fantôme. 

La première année est magique. Je vous laisse deviner ce que ça sous-entend pour les autres. Ensuite la réalité rattrape la virtualité. Les budgets comme les délais deviennent des points de désaccords. Les gens changent et deviennent soit cons soit chiants. Comme dans la vraie vie. JJB est en vert sur la tof de gauche pour ceux qui ne voient vraiment pas clair. Consultez.

L'ensemble de l'équipe dirigeante du studio a passé un temps faramineux à jouer et décoder les préceptes du premier Deus Ex paru en 2000 dans toutes les librairies. Décortiquer pour en saisir l'essence et en extraire la substantielle moelle. Pourtant, il a toujours du mal à répondre à la question posée : "qu'est ce qui caractérise la direction artistique du soft ?". Parce que Deus Ex n'en a pas. Ou disons qu'elle est rustre et qu'elle frustre (ça vaut pas un combo ce genre de phrase !? Putain, je tourne à plein régime et même pas vous sourcillez ! Bande de radins). De son propre aveu, la DA de Deus Ex est impersonnelle, ambiance "faisons de beaux graphismes et surtout des gros flingues". Tendance de l'époque. Aujourd'hui, c'est les selphies, c'est vous dire si le monde part pas en couille ma bonne dame. Vous dites ? Bref, "c'est bleu". JJB a du mal à en parler sans dénigrer l'aspect graphique d'un jeu qu'il adule pourtant. Reste que de ce côté-là, ils n'ont pas gardé grand-chose. Il n'y a qu'à voir le violent transitionnel entre Deus Ex et Deus HR. Pas besoin d'un chat apolitique pour s'en convaincre. L'équipe est ainsi partie un peu beaucoup d'une page blanche. Bon, ils savaient qu'ils voulaient un perso' principal doté d'un trench coat et de verres fumés. Côté ambiance, atmosphère de l'univers, indubitablement : Blade Runner, Akira, Ghost in the Shell, Battle Angel, Matrix reviennent. Même Metal Gear Solid qui est Cyberpunk dont la garniture robotique se ressent dans Human Revolution.

Locaux d'IO Interactive, développeurs-créateur d'Hitman, premier (et seul) superhéro (Hit puis man) full jeu vidéo sans collants.

Après quelques mois de réflexions, concertations, échanges et définitions du prochain Deus Ex, Eidos Montreal accède à la douloureuse tâche de soumission des travaux du projet de jeu à l'éditeur Squaresoft. Poisson d'Avril ! SquareEnix évidemment. L'illustre Squaresoft est mort et enterré à 6 pieds sous terre. On a hérité de SE, rappelez vous. Vous noterez que chaque partie a fait mi-chemin (IO, c'est danois donc c'est au Danemark). Québecois et japonais se rencontrent en Europe. Eidos Montreal n'est d'ailleurs pas le seul à en être au jalon de l'approbation par la hiérarchie, d'autres studios de la corporation sont présents dont IO pour soumettre Kane&Lynch2. L'épreuve est très stressante pour le jeune studio qui doit montrer ses preuves et prouver que les décideurs ne sont pas trompés de personne en qui faire confiance et remettre les clés du chantier Deus Ex. C'est le bon temps des voyages interstudios pour JJB, il y rencontrent ses idoles parmi les partenaires de Square Enix. Il visite le studio Crystal Dynamics à San Francisco, les géniteurs de Tomb Raider. A l'époque, SE n'a pas encore racheté Eidos Interactive, détenteur de la myriade de studios occidentaux (IO, CD, Eidos Montreal) mais en est l'éditeur/distributeur exclusif.

Attention, achtung, attenzione. Cours improvisé de québécois.

Crinquer à 11 : se dit d'un type à la casquette à l'envers qui est tellement fort qu'il arrive à mettre le volume à 11 quand celui-ci s'arrête en théorie à 10.

SWAG t'as vu !? Poutine, bien ??

JJB et son équipe sont confiants de la présentation qu'ils ont concoctée pour les pontes de l'édition. Cependant ils savent qu'un bon projet sur papier (ou diapo plus exactement) ne fait pas automatiquement un bon jeu derrière. Ainsi, la première tech démo comportait des éléments de CyberRenaissance et le system de cover qui simulait tout simplement celui de Rainbow Six Vegas (le précédent projet de JF Dugas), le meilleur pour un FPS. C'était la matérialisation de la grande force de son compère JFD ; son habileté à fixer à cap et à ne jamais s'y déroger. Recréer le cover system de RS:V et le customiser à gré par la suite. Le moteur du jeu est défini à ce stade du projet, il s'agit du CDC de Tomb Raider, légèrement customisé pour la Next current GEN (PS360). Leur présentation se passe bien et le projo est validé, ils peuvent continuer. Il n'en est pas de même pour Kane&Lynch2 qui suivait cette journée de GreenLight (feu vert en bon français de France) dont JJB estimait pourtant qu'il "crinquait à 11" : comprendre qu'il tabassait sévèrement sa race avec son filtre granuleux, l'action en mode caméra à l'épaule et le filtre des caméscopes (REC, point rouge, date, etc.), la fusillade dans le bar à Shangai. Les costards-cravates eux étaient plutôt en mode facepalm, voyez-vous ... Un visionnaire ce JJB !

"il ne faut rien attendre d'original d'un écho", Pablo Picasso

Très rapidement, le thème du jeu (le cyberpunk, c'est bien, mais c'est un courant, ce n'est pas un thème) s'oriente vers le transhumanisme. Dès lors, JJB emmagasine un nombre incalculable (238 en fait) de documents sur le sujet allant même jusqu'à couper au katana le bras droit de sa femme pour voir si ça repousse (dans un premier temps) et y greffer une prothèse androïde de dernière génération et de technologie alien une fois le processus de cicatrisation conso... Nan, là, j'ai trop fumé. Il passe ses journées à lire et mater des films sur le sujet pour se forger un "précédent", une culture du domaine. Et contrairement à ce qu'on pourrait croire, 2 films le matin et 3 films l'après-midi, c'est long, c'est chiant, c'est une corvée plus que du plaisir. Selon lui. Et je confirme. La fête du cinéma, c'est pareil. Des places pas cher, un enchainement de films pour au final ne rien retenir et trouver ça indigeste. Mais comme JJB est moins con que moi, lui, il prend des notes. (faut dire, j'avais aucun intérêt à prendre des notes aussi ...). Puis, il fait des rapports sur Excel même s'il s'estime moins assidu que les autres. C'est en écoutant (j'insiste, en québécois, on écoute des films, on ne les regarde pas, à se demander comment ils ont fait pour The Artist) AI de Steven Spielberg et en réalisant que ce n'est ni plus ni moins que Pinocchio (à l'instar d'Avatar qui n'est un qu'un excrément batard de Pocahantas. Voilà, c'est dit) que JJB comprend qu'il lui faut trouver une fable. Il appelle alors Peter Molyneux.

JJB propose à ses collaborateurs d'opter pour le médical ainsi que le transhumanisme. Ces derniers sont partants. Renaissance, Da Vinci, les trucs qu'il a vaguement étudiés à l'école ressortent sous un nouvel angle. Pendant un mois, il s'abreuve de ce type de recherche. C'est alors qu'il propose de mêler du Cyber et de la Renaissance, au grand désespoir de l'équipe d'artistes concepteurs qui ne voient pas bien comment se dépêtrer de ce mash-up à première vue ingrat ou disgracieux. C'est d'ailleurs JJB qui s'y colle pour montrer la voie et les premières itérations sont tout bonnement dégueulasses ma bonne dame. C'est un réel chemin de croix pour lui, des moments de frictions ibracadabrabrantesques (compliqué à écrire cui-là) émergent inévitablement. Les mutins prennent en otage la cafèt'. C'est le pire moment de la carrière de JJB, le projet n'avance pas, il stagne voire recule. Et pour cause, ce melting pot n'existe pas à l'époque, ou alors dans les livres (mais bon, on sait tous que les livres et les images, c'est un peu délicat), tout est à créer. L'humeur de JJB change, il devient réac' (gauchiste diront certains), dépité, voire même dépressif. Il se lance à corps perdu dans l'entreprise et chaque jour qui passe est une goutte de plusieurs mètres cube de plus dans le moulin des sceptiques. La fosse est pleine. Le fossé se creuse plutôt. J'en perds mon latin à écrire québécois. Il le dit lui-même, à sa place, il se serait viré et il a eu de la chance d'avoir pu compter sur une hiérarchie qui croyait fermement en lui. Ils l'ont laissés très longtemps faire des trucs qui ne marchent pas. Or ne rien créer au fil du temps alors que frais de fonctionnement, eux, ne s'arrêtent jamais, la situation est critique. Mais elle finit par se débloquer. Moralité, ne jamais abandonner.

Julien Merceron a déjà fait l'objet d'une Masterclass.

Intervention hilarante ! Très rencontre du 3ème type !! Troy Baker a du souci à se faire °_°

A très précisément 1:08:07, E-NORME.

Première intervention surprise de la Masterclass donc. La question est la suivante : "quand tu créés des pers, où vas tu puiser ton inspi et comment t'y prends tu pour leur insuffler la vie ?". Avant de répondre, JJB lance que "c'est un génie ce mec !". Chose facilement vérifiable par le simple fait que le bonhomme parle japonais alors qu'il n'est pas japonais. Le test d'eugénisme est passé avec brio. C'est d'ailleurs en buvant un verre suite à sa propre masterclass que Merceron a ardemment exigé de pouvoir poser une question à jayajaybee. La réponse de JJB est à la hauteur du paranormal de la mise en scène de la question puisqu'elle est aussi vive que cinglante : "je sais pas". C'est à ce moment-là que le flanc s'affaisse. Pour JJB, c'est de la pure inspiration même s'il croit que "Distinction creates desire". Il en veut pour preuve les Ipod d'Apple qui ont mis un grand coup aux culs des géants du milieu en proposant un design attirant et à contre-courant. C'est certainement pour lui ce qui caractérise Adam Jensen dans une industrie d'alors marquée par la chauve attitude selon ses dires (Batman Arkham en premier lieu mais aussi Uncharted, Tomb Raider dont les héros n'ont pas de shampoings notamment #?????). Plus prosaïquement, JJB n'a pas de méthodes pour parvenir à ses fins, il ne dispose pas de recette ou de mode d'emploi. Créer un héros badass, c'est pour lui long, répétitif, chiant et acharné. Il n'y a pas l'option start puis affichage de la map, on navigue à vue.

Artistiquement parlant, son regret principal est le rendu des visages des personnages de Deus EX qui est assez dégueulasse, concédons-le. Autant la stylisation radicale des costumes est réussie, autant les visages crémeux sont ratés. JJB l'avoue, le résultat est de son fait : "je pensais que je comprenais comment ça fonctionnait mais en fait non". Honnête. Par contre il est fier d'avoir instauré une mode en quelque sorte. La prise de pose des personnages. Effectivement, outre sa badassitude avérée, Adam Jensen est aussi connu pour adopter des poses toutes plus classieuses et fashion que les autres. Une tendance reprise depuis sur les artworks comme les jaquettes. Il n'y a qu'à reluquer celle d'U4 pour se convaincre de l'héritage encore présent aujourd'hui. Bref, JJB prône la non censure et l'ouverture d'esprit totale, ces 2 codes lui ayant permis avec succès de concevoir l'un des héros les plus charismatiques de la dernière génération.

Plus précisément, la conception d'Adam Jensen ne s'est pas fait simplement sur le critère classe ou mystérieux. JF Dugas avait donné 3 lignes directrices imbriquées. Jensen se devait d'avoir l'être de pouvoir être infiltré derrière les lignes ennemis avec son apparat (ça élimine le combo tongue + chemise hawaïenne), qu'il puisse s'assoir à un resto sans que cela fasse tâche et qu'on voit ses augmentation en tout temps. Pas simple. Comme on le voit sur l'image précédente, les premières itérations sont loin du résultat final, Adam faisant quelque peu beauf (ou douchebag) avec son linge de fillette. Ils ont mis le temps mais au bout de 2 ans, ils avaient la doublette. Le manteau "commando" paramilitaire et celui de ville. Jensen trouvait son identité. Vestimentaire tout du moins. Dans l'esprit, ils voulaient créer quelqu'un qui peut se battre la journée et rentrer lire un bon livre le soir. Franck Ribéry !? Ils se sont plus inspirés de Vincent Cassel niveau gueule. Le prénom Adam vient de Mary à ce propos, une histoire de Genèse. Lui aurait plutôt vu Jakob ou Eli, du biblique. Jensen signifierait la miséricorde de Dieu.

La preuve par l'exemple : la stylisation

JJB a lui-même posé pour que le concept artist réalise l'artwork

Le Cyberpunk, pour ceux qui ne savent pas, c'est de l'anticipation sur 40 ans grand max. Cela permet d'avoir de nombreux points de références et d'ancrage pour imaginer en 2007-2011 ce que pourrait être une version de la société de 2027. Contrairement à la SF où il faut réaliser l'exercice de projection dans le futur sur plusieurs dizaines voire centaine d'années. Le Cyberpunk leur permet d'ailleurs de faire de HR une préquelle de Deus Ex qui lui se passe en 2057. Grâce à l'existant, l'équipe a pu jouir de nombreux points de départs, ils n'ont rien créé à partir de rien, prenant ici et là des infrastructures, sculptures ou tout simplement objet du quotidien pour imaginer et customiser ces derniers. Ce ne sont pas des architectes, des graphistes ou des urbanistes, ils ne créent pas ex-nihilo. C'est la raison pour laquelle ils ont toujours voulu partir d'une base du monde réel d'il y a 10 ans. D'ailleurs, pour eux, le plus difficile n'a pas été de créer les environnements - un jeu d'enfant - mais d'y intégrer les personnages pour que l'ensemble soit raccord. Et composer avec ce miroir entre vieillerie et renouveau que sous-tend le courant Cyberpunk avec notamment les gratte-ciels flamboyants et avant-gardistes cotoyant les crasses de ces rats de bidonville.

L'insouciance permet de faire de grande chose. (elle est de moi celle-là). JJB et sa team ne mesure pas tellement l'étendu de la pression qui leur incombe suite à la reprise d'une licence aussi vénérée que surveillée. Il le concède, ils étaient naïfs à l'époque. Et le jeu reflète cette naïveté. Cette croyance que les augmentations sont le salut vertueux d'une société mutilée, ça aussi, c'est de la naïveté. Quoi qu'il en soit, personne ne croyait en eux, à part eux (encore heureux). Les anciens collègues d'Ubi leur donnait 6 mois avant de ré-accourir chez les bretons canadiens. JJB ne leur en veut pas car il sait très bien qu'ils auraient pu avoir raison tant la tâche n'est pas aisée. Mais la pression, pour JJB, c'était surtout de faire un bon jeu. De la suite logique, découlerait un bon Deus Ex. C'est désormais mission accomplie qu'il se rend compte des propos de son pair Warren Spector : "Deus Ex, c'est ma vie, je pense Deus Ex, je mange Deus Ex, je dors Deus Ex". Puisque maintenant, c'est son cas.

La pression des fans est inconsidérée, JJB obligé d'actionner les gambettes de la dame pour qu'elle se mette en mouvement. Je le répète. Inconsidéré.

Deus Ex jouit d'une communauté de fan acharné. Acharné au point de faire frapper des bottines à l'effigie de la licence. Des frapadingues je vous dis ! Reste que pour JJB, la plus grande consécration - outre le chèque à 6 chiffres tous les 31 du mois - ce sont les Cosplays. Ou plus généralement, l'appropriation des personnages par les fans. Signes incontestables d'un chara design réussi. Vous voulez mon avis ? Non !? Je vais vous le donner quand même. J'ai vu un demi-millier de cosplays de Lightning (FFXIII) différents au Japon la semaine dernière. Qu'est ce que ça signifie au juste !? Naturellement satisfait d'un tel retour pour Adam Jensen, notre JJB concède grand seigneur qu'il n'y a pas de science, pas d'apprentissage d'un tel succès. Créer un personnage iconique, c'est un concourt de circonstance mais surtout beaucoup de taff, bien des itérations avant de parvenir au Saint Graal.

Deus Ex Mankind Divided maintenant. La suite de Human Revolution fait passer le courant du jeu de la CyberRenaissance au Féodalisme Corporatisme. Comme dit précédemment, Deus Ex constitue le projet naïf d'une équipe naïve. Avec MD, le monde ne se voile plus la face de bon sentiment. Le transhumanisme cause des dégâts et cristallise l'opinion contre lui. La société sait qu'elle a fait trop de laisser allez et qu'elle a permis l'expression de cette technologie à trop de gens. Mankind Divided, "c'est le lendemain de veille". Le retour de la peur, de la parano. "C'est comme les anglais qui s'en vont". J'aurais plutôt dit, c'est comme Sarkosy qui revient. (Officiel aujourd'hui).

On le voit clairement, les gratte-ciels se sont parés de protections en tout genre, la menace est belle et bien fantôme.

Et justement, l'époque féodale c'est ça. Ce sont les grands châteaux forts avec les meurtrières et les coulées d'huiles brulantes. L'instinct animal, la suspicion. Dans MD, cela se personnifie par l'apartheid mécanique, la ségrégation des augmentées, la création de tranchées entre les gens. Comme au Moyen-Âge où on se retranchait derrière des palissades ou des remparts (Saint Malo, Carcassonne). Côté arty, l'inspiration vient du mouvement brutaliste (ça ne s'invente pas) qui fait intervenir matériaux nobles et pures comme le béton, le bois, la pierre. Niveau coloration, le black&gold laisse sa place à un bleu froid virant au gris brun rappelant étrangement Deus Ex même si JJB se garde du parallélisme au combien tentant à opérer entre les 2 softs.

La confiance a changé de camp. Adam Jensen prend confiance et conscience de ce qu'il est. Human Revolution imposait le crédo suivait à son rejeton : "I never asked for this". Maintenant, il accepte ce qu'il est devenu, une arme personnifiée pour combattre les Illuminatis ou whatever le groupe de franc-maçons qui se cache derrière la pomme d'Adam. Dans HR, Jensen était le chien de garde de David, personnage en qui il avait entière confiance et dénouement, désormais il bosse pour le compte de la Task Force 29 (28 mortes si je comprends bien ...),  unité d'enquête d'Interpol, il est plus libre de ces agissements même si bien sûr il reçoit des ordres. Il se laisse d'autant plus amadouer par ses nouvelles obligations qu'il compte bien courber l'échine des desseins de l'entité policière pour que cela corresponde à ses propres perspectives. Faire tomber Justin Bieber de son putain de pied d'estal. Et à termes, rayonner sur le RAP français.

Deuxième surprise de la soirée. Michel Koch, homologue de JJB et roulant sa cabosse pour Dontnod (Remember Me, Life is Strange), s'y colle. Michel est particulièrement intrigué par les derniers artworks exfiltrés d'Eidos Montreal, il s'interroge sur ce qu'il vient de voir : les derniers concepts de l'appartement de Jensen. En effet, il a remarqué un fourmillement de plein de petits détails qui ont tous l'air de raconter quelque chose, il souhaite connaitre son approche de la narration environnementale dans ses projets, tout particulièrement dans l'univers aussi riche de Deus Ex. C'est une très bonne question et pour JJB, c'est un cauchemar d'y répondre ! Bon, déjà, ils ne se sont pas fait iech à tout refaire depuis le début en important plus de 1200 objets de HR qu'ils ont nextgénisé (ce néologisme n'est pas de moi pour le coup même si j'approuve totalement) pour la nextgen (cela va de soi).

L'idée pour créer une narration environnemental, des lieux et décors qui racontent un passé ou un présent, c'est le concept du - tenez-vous bien, l'oxymore est proche - bordel organisé. L'environnement doit par ce micmac parler de lui-même, sans ligne de dialogue (les murs écoutent, ils ne parlent pas), c'est le Shadow Tale. Et à ce propos, les différents appart' de Jensen très caustiques pour ce type de narration sont appelés les musées d'Adam. Dans un musée, les objets exposés sont les témoins du passé comme du présent. C'est la même idée. Les cartons non déballés, les plantes qui se meurt, les cartes de stationnement périmées. Le boulot est - vous l'aurez compris - titanesque, la tâche demandant minutie et détail sur fond de fonds sans fond. Ca coute très cher d'implémenter tout ça. Le temps, c'est de l'argent. Et c'est pour ça qu'à Bioshock près, peu de jeu vont aussi loin sur ce terrain.

Mankind Divided s'accompagne d'un partenariat très spécial. Eidos Montreal s'est encoquiné de la société britannique Open Bionix spécialisée dans l'élaboration de prothèse pour personne amputée (j'ai demandé la greffe d'un 3ème bras pour rentrer le bois de la cheminée, on m'a dit non). Leur truc est de créer des prothèses fonctionnelles, jolies et abordables dont les plans sont téléchargeables et utilisables open source. Il faut savoir que de tels prothèses (potentiellement plus élaborées je pense) coute jusque 200 000 dollars américains sur le marché même si les imprimantes 3D risquent de bouleverser l'éco-système prothèsificatoire. Un vrai travail de champion pour JJB, il en profite d'ailleurs pour saluer ses compères qui ont tout fait (lui, n'est pas impliqué personnellement dans le projet) : André Vu, René, Sacha, Nivan Shantera qui a conçu le bras et Laura Gallagher qui s'est elle occupée du modèle 3D.

Pour en revenir à ce que fait Jonathan Jacques-Belletête, il n'est pas Directeur Artistique, il est DAE. Le E vaut pour Exécutif. Comprendre décisionnaire. Il lui incombe en fait de superviser l'univers étendu de Deus Ex. Pas simplement les produits qui comptent comme HR et MD mais aussi ceux qui ne comptent pas comme Deus Ex GO sur mobile (d'ailleurs Pokémon GO a piqué l'appellation à Square Enix. Tomb Raider Go, Hitman GO), les BDs, le linge (??? puis "ah les fringues !!! Farceur ces québécois ...), les télé-séries (on dit série en France), les films. Le but est de s'assurer que les Lapins Crétins ne viennent pas semer la pagaille comme ça a pu être le cas avec Rayman par exemple. Il faut s'assurer de la cohérence visuelle, peu importe le produit considéré. Au final, Mankind Divided a reçu le soutien de JJB mais il a son propre Directeur Artistique : Martin Dubois. JJB l'a assisté et soutenu au début mais en fait il conduit le carrosse tout seul depuis des années. Un détachement certain de Tatooman même si il participe à la réalisation se sentir pleinement impliqué et pour garder les mains dans le cambouis comme vous dites.

Dernière sucrerie de la soirée, l'intervention de Scott Sinclair qui a bossé en tant que DA chez Irrational Games. Sa question porte sur l'importance de créer des mondes vivants, crédibles où le joueur se sent immerger dans l'endroit. Ce n'était que la première. La seconde question interroge sur l'influence du design et de la narration sur les créations artistiques, les décors et la mise en scène. La troisième s'attache à l'importance de la collaboration entre ces différents métiers (art, système de jeu, écriture). Enfin, la quatrième invite JJB à nous en dire plus sur le dilemme entre vision unifiée et personnalisation de l'expérience par le joueur : la Deus Ex Machina. Tout d'abord, JJB est véritablement honoré parce qu'il ne pensait pas que SS (étonnantes initiales) savait qu'il existait.

D'autant plus que pour lui, les Bioshock sont les références de la narration visuelle. Comprend toujours pas comment ils ont pu obtenir la green card de Take Two pour sauter le caisson de cette friche du jeu vidéo. Il en profite pour remercier Mary DeMarle, la Directrice Narrative qui a su adapté l'histoire à ses concepts farfelus. Lui se contente de diriger la création des lieux, ainsi il n'intervient pas sur la mise en place de l'intrigue mais bouleverse parfois son évolution en créant des concepts tellement badass qu'ils font modifier le cours des évènements pour que le joueur puisse les arpentés naturellement. Ainsi, elle aurait pu refuser le médical ou certaines installations puisque la Road Map initiale était figée dans le sable. Enfin pour lui, le visuel, c'est raconter une histoire avant d'être beau. "Soit beau et tais-toi", ça ne l'intéresse pas.

Le futur du studio. Eidos Montreal va fêter ses 10 ans l'année prochaine. L'occasion de rappeler que certes des studios ferment et quand c'est le cas, ça fait grand bruit mais bon, combien se forment, ça fait moins de bruits et pourtant. Ca permet de relativiser sur les commodités du Capitalisme qui au contraire du Communisme ne garantissent pas la pérénnité de l'emploi. Je digresse ? La boite comporte 450 collaborateurs désormais. Ca me parait beaucoup mais bon, CD Projekt Red, développeur de petits jeux en a 400 aussi, du coup, c'est bien possible. Les gardiens du Temple - présents au début - sont toujours là et sont les garants d'un certain esprit, d'une certaine culture d'entreprise au gré des vas et vient du personnel. Le jeu récent dont la DA l'a le plus marqué est Bloodborne. Et pourtant, il n'a jamais apprécié le XIXème siècle plus que ça. Parce que même si l'époque est intemporelle, Bloodborne se cadre tout de même dans les carcans du Victorien, du Lovecraft (XXième), de Beny Oui-Oui, d'Edgar Allan Poe, de Peany Dreadfull. JJB de conclure : "ils prenaient de la drogue ces gens-là". Sympa. Pour lui, le plus gros chantier de l'industrie, c'est de "prendre la créativité des indés et la foutre dans les AAA". De conclure que sa plus grande fierté, c'est Deus Ex Human Revolution, l'absence de regrets malgré les embuches et la satisfaction d'avoir gardé le cap malgré les vents tourbillonnants (les critiques).

Dernière partie, la séance de questions/réponses avec le public. Est-ce que le transhumanisme te fait peur ou t'encourages ? Lui, ce qui lui fait peur, c'est surtout le côté philosophique ou sectaire qu'on veut lui donner. Pour lui, le transhumanisme est inévitable et déjà en marche. NDN : je pense que JJB bosse en réalité pour Sarif Industries. C'est un illuminati ! Il y a ce propos une conférence en Aout à NY sur le sujet : le Human by Design HXD. Les grands pensants se réunissent pour élaborer une charte de l'exploitation du transhumanisme. JJB pense qu'il va y avoir des erreurs, des atrocités puis le progrès. Les rats bioniques arrivent ! Mais il pense qu'il faut surveiller de près tout ça, un peu comme l'arme atomique, on en a lâché 2, on a contemplé les dégâts et depuis on a arrêté les conneries. Bon, sauf les nord-co. Le black&gold est une colorimétrie très marquée, que penses-tu de l'apport de l'esthétique de Mirror's Edge (le jeu de la GEN, juste admettez-le, et taisez-vous) et sa connivence avec la peinture d'un système asservi par les corporations (comme dans Deus Ex) ? JJB confesse n'avoir jouer à Mirror's Edge qu'uniquement dans un but professionnel ; pour en analyser la DA. A ce propos, il met en garde à une assemblée d'élève d'école de jeu vidéo (à moi près) : "allez pas dans le JV, sinon vous n'allez pas apprécier les jeux, parce qu'une fois dedans, on analyse tout le temps". Euh, je crois que c'est trop tard Jonathan ^^. Pour Mirror's Edge, il avait vu les premiers screenshots et il pensait avoir affaire aux premiers rendus, pensait pas que c'était la version finale, un monde blanc avec quelques teintes de couleurs très marquées. Trouve ça très bien cette différenciation radicale de ME, ça aide à faire avancer l'industrie. C'est comme Another World qui était un UFO à l'époque. Bon, vous le remarquez, malheureusement JJB n'a pas trop répondu à cette question forte intéressante.

Ah ah, une photo perso', ça change.

Comment ton rôle a évolué de la pré-prod au développement à plein régime ? Il a participé aux brainstorming et benchmarking pour dessiner le projet. Au début, le design est très dilué pour devenir laser focus au fil du temps. Lorsque la voie est trouvée, son rôle évolue, il n'est plus en suite que le Gardien de la Révolution. Avec ses deux chats. Afin que le titre conserve sa ligne de conduite, sa trajectoire initiale. Rôle corollaire aux chimpanzés de la NASA quand ils envoient des pétards dans l'espace en fait. Il faut s'assurer que le jeu devienne ce que le DA à en tête. Pour lui, il faut que les concepts arts soient reproduits à l'identique par les modeleurs 3D dans le jeu. Donc, le rôle finit par devenir complètement managérial avec des journées passées en réunions à parlementer et trancher. Puisqu'il n'y a pas que les graphistes, il faut que les ressources puissent être dispatchées à qui de droit. Ainsi parfois, il faut en laisser pour avoir une IA pas trop conne. Oui, ça arrive. Métaphoriquement, c'est au début une pâte à modeler qui devient un bloc de légo à placer au bon endroit dans la structure. Un premier jeu est savamment analysé, une suite permet de corriger les erreurs. Qu'est ce qui change entre HR et MD ? C'est clairement la technique qui a changé. HR soufflait et transpirait comme un obèse assis sur un banc de Central Park un jour d'Hiver Nucléaire. Le moteur de HR n'était pas dans l'ère du temps à l'époque et même s'il est fier du rendu artistique, l'esthétique ne prend pas seulement en compte ce point-là. Il faut pouvoir soutenir ses ambitions. Mankind Divided en est la pleine démonstration. En résulte une version plus sophistiquée, plus détaillée, sans pour autant chercher à atteindre le photoréalisme impersonnel. Le coup de crayon, la stylisation est un peu mieux réussie que pour HR concède le bonhomme.

La BO de HR est très marquante. Gérée en interne ou en externe ? Comment gérer musicalement le fait que MD se passe dans un univers plus mature ? Ils ont un Directeur Audio : Steve Szezcauszky. Mike McCann a créé la trame audio de Deus Ex HR. Il fut assisté de Sasha Dick pour faire celle de MD. Par contre, ils bossent dans leur propre studio à l'extérieur d'Eidos Montreal. Ils ont une équipe de 7-8 personnes qui se chargent donc d'intégrer les pistes aux phases de gameplay comme aux cutscenes. Les bruitages sont créés en studio. Bien évidemment, la signature sonore se doit de correspondre aux thèmes du jeu. Il est plus sombre pour MD. Finit l'innocence, finit la naïveté. Quelles contraintes ont posé les gamedesigners sur l'artistiques du soft ? Les demandes et problématiques principales étaient liées au système de cover. JJB estime qu'ils disposent du meilleur system de cover jamais réalisé car il marche tout le temps. Ils sont très pointilleux et ce dernier est régi par des règles très strictes. Le code de Harry. Ainsi pour que le joueur puisse se couvrir et se découvrir efficacement, il fallait disposer minutieusement les éléments de décors, les objets pour ne pas gêner le cover. Un jeu vidéo, c'est d'abord la conception d'un système de jeu et ensuite de l'habillage visuel. Il est normal pour lui de composer avec des contraintes.

Envisagez-vous de faire autre chose que du Deus Ex en boucle (y a que 2 faces sur un Vinyle) ? "Merci d'être venu et j'espère que tu as passé une bonne soirée". Pas le droit d'en parler mais ne serait pas contre le fait de continuer. Cette expérience virtuelle lui en amène d'autres biens réelles comme des étudiants ou personnes à mobilité réduite qui lui envoient des lettres lui signifiant qu'ils ont trouvé leur voie dans la cybernétique. La licence mérite d'être poursuivie mais il y a d'autres perspectives qui l'intéressent dans la vie. Que pense Warren Spector de la reprise de la licence par leurs soins ? Il l'a rencontré quelques fois, il est venu au studio et ils l'ont fait jouer à HR. Il n'aurait pas faire la vue à la troisième personne mais en dehors de ça, il estime qu'ils ont bien compris l'essence, l'ADN de Deus Ex. Le gros artbook paraissant en même temps que le jeu en dit plus. Ce billet comporte un placement de produit. Comment choisir les couleurs dominant le ton d'un jeu ? Comment les prendre en compte sur les artworks ? Pour lui, il y en avait trop sur HR du black&gold. Ca aussi, c'était de la naïveté. Les tableaux de Vermer et Rembrandt ont influencé sa vision de la Renaissance et du jeu. L'idée, ça a surtout été de créer sa propre fantaisie (le déclic après le visionnage d'AI, rappelez-vous). Comme Gladiator qui emprunte à plusieurs siècles d'époque romaine et qui incorpore des armes qui n'ont pas réellement existées. Le problème de la palette noir et or, c'est que quand ça vire au caramel, ça donne dans le dégueulasse. Le code couleur était tout bêtement celui du film The Fountain. Campagne promotionnelle fictive de Sarif Industries, les prothèses OpenBionics maintenant. Pourquoi mêler le vrai et le faux ? Manière originale de communiquer sur le jeu (l'importance du marketing). Ils sont aussi devenus des porte-voix quelque part en donnant vie à des élucubrations de comptoirs entre philosophes du futur.

Quinzième Masterclass et huitième de présence pour moi. Consécutivement depuis celle d'Alex Evans, cofondateur de Media Molecule (les peluches chez Sony). Ca remonte maintenant à Septembre 2014 et c'est toujours autant un plaisir de mettre un nom mais surtout un visage (et des tatouages si affinité) derrière des jeux que j'adule ou adulerai dans le cas de Deux Ex HR. Encore faut-il le faire. C'est prévu. Bref, le concept de Masterclass est toujours autant génial. Ma grammaire est toujours aussi tribale. Mais je vais quand même râler. Comme je me considère plus royaliste que le Roi, je ne comprends pas pourquoi ce n'est pas moi qui m'assoid au premier rang. Je ne comprends pas non plus pourquoi je n'ai toujours pas reçu de carton d'invitation pour réaliser ma propre masterclass. Je ne crois pas que le fait que le développement du jeu vidéo me soit étranger soit une raison valable. Bon, à quand Kojima et Myamoto (et en même temps siouplait) sur le fauteuil ?

Sayonara.

 

2014-2016 Time Neves, C'est dans la poche Reserved.