Quand on entend raisonner au loin les premières notes frissonnantes de The Last of Us, nos poils s’hérissent automatiquement. Cette licence, pourtant si jeune, porte en elle beaucoup d’attentes et d’espoirs. Mais on a tendance à oublier que faire suite à un chef-d’œuvre peut parfois être de l’ordre du fardeau…

Il était une fois The Last of Us…

Avant d’aborder les raisons qui font de The Last of Us Part II une suite dangereuse, il me semble essentiel de revenir sur le parcours du premier volet.

Fin 2011, Naughty Dog annonce travailler sur une nouvelle licence du nom de The Last of Us. Oui, les derniers d‘entre nous. C’est clair et facile à retenir. Mais ce n’est qu’en juin 2013 que le jeu sortira sur PS3, puis un an plus tard sur PS4. A l’époque, il était impossible d’estimer le potentiel immense de ce jeu qui prenait un très grand risque avec son scénario. Effectivement, traiter d’un virus qui transforme les gens en espèce de zombies dans un monde post-apocalyptique, c’est du vu et du déjà-vu. Cela avait donc de quoi potentiellement nous inquiéter sur la redondance du titre à venir. Mais on ne sait comment, Naughty Dog est parvenu à propulser le jeu au Panthéon vidéo-ludique. En effet, leur jeu s’est avéré être un chef-d’œuvre, maîtrisé de bout en bout, et ce, sur plusieurs critères : graphismes somptueux, direction artistique travaillée, bande-son exceptionnelle… De nombreux points qui font de The Last of Us un inoubliable. Et pourtant, les deux atouts majeurs du titre n’ont pas encore été cités.

Quand narration rime avec émotion

Un autre point pouvait particulièrement nous inquiéter avant la sortie du titre. En effet, Naughty Dog c’est aussi la licence Uncharted et il me semble important de faire le lien entre les deux jeux. Nathan Drake, en dehors d’Uncharted 4, était un héros certes charismatique, mais dépourvu d’âme, parfois trop bourrin et qui tuait sans aucune motivation réelle et justifiée. C’était cela dit en lien avec le genre de la licence et ça fonctionnait très bien. Mais avec The Last of Us, ça devait être différent. Le jeu vidéo, dans le genre horreur en l’occurrence, nous a beaucoup habitués à des personnages stéréotypés, qui éliminent un nombre incalculable d’ennemis à la minute. Je sais que quand on connait le jeu aujourd’hui, ça peut paraitre risible de dire ça. Mais n’oublions pas que ces craintes avaient lieu d’exister lors de son annonce jusqu’au moment de sa sortie. De plus, Naughty Dog prend un risque supplémentaire en choisissant de centrer l’histoire sur non pas un, mais deux personnages principaux. En plus d’être un choix à double tranchant, c’était une décision qui posait de nombreuses interrogations. Un scénario misant sur deux personnages centraux est toujours complexe à mettre en œuvre, surtout lorsque tous les séparent. Il fallait donc réussir à proposer une relation cohérente entre un homme d’une cinquantaine d’années et une jeune fille de 14 ans, qui ne se connaissent pas et qui vont devoir, malgré tout, évoluer ensemble. Dit comme ça, le cahier des charges semble impossible à remplir et pourtant, The Last of Us va nous prendre à contre-pied puisqu’il est allé au-delà de ce qu’on attendait de lui, ce qui n’était pas gagné d’avance, loin de là. Donc assez tourné en rond. La principale force du titre, ce sont ses personnages. Joël et Ellie sont les créateurs de cette histoire et non pas l’inverse comme c’est majoritairement le cas, dans le jeu vidéo mais aussi dans le cinéma. J’ai beau eu refaire le jeu plusieurs fois, je n’ai jamais cerné le moment précis où la relation entre les deux protagonistes évolue, tellement elle se fait de façon naturelle sur toute la durée du jeu. Alors je n’ai pas peur de le dire : je n’avais jamais pensé ça possible avec un jeu vidéo avant de me plonger dans l’histoire de The Last of Us, à une exception près…

Telltale, une source d’inspiration narrative ?

Dans le jeu vidéo, comme dans d’autres domaines, l’inspiration est quelque chose de normal. Elle n’est en rien synonyme de plagiat ou de quoi que ce soit d’autre. C’est une façon d’approfondir une œuvre et parfois même de trouver un élément qui va faire naître une idée. Je me suis donc posé une question après avoir terminé The Last of Us plusieurs fois. Je me suis demandé s’il n’avait pas pioché quelques-unes de ses idées dans le titre de Telltale, The Walking Dead : la première saison. Je ne fais bien évidemment pas mention de l’univers qu’ils partagent mais plutôt de la façon dont ils ont en commun de traiter les personnages. Et je le précise, cela ne reste que mon avis, il ne s’agit pas d’une révélation faîte par le studio. Pas à ma connaissance du moins. 

Joël et Ellie, Lee et Clémentine... Un duo de personnages, un homme, une jeune fille, une rencontre dans un contexte proche et qui a lieu après le début d’une infection. Bien-sûr, même parmi ces points il existe des divergences entre les deux jeux. Je tiens juste à souligner que cette mise en avant d’un duo de personnages qui prime sur l’histoire et qui va même jusqu’à la créer, n’est à mon sens pas qu’une coïncidence. Et c’est une bonne chose car la première saison de The Walking Dead est un exemple en matière de narration. Un autre point commun qui ressort, c’est cette paternité de substitution vis-à-vis de la jeune fille qui est à la fois prédominante et subtile. Cela dit, c’est parfois l’enfant qui devra protéger l’adulte, et cette vision-là, les deux titres la partagent aussi. Mais si je fais le rapprochement entre ces deux jeux, c’est pour une raison bien particulière et forcément subjective. Telltale, avec The Walking Dead, a créé une deuxième, puis une troisième saison, pas encore achevée. Et même si l’œuvre reste globalement de qualité, je constate une régression narrative. Cette maîtrise des personnages que le studio Telltale maîtrisait se perd au fil du temps, à l’exception du personnage de Clémentine. Un exemple parfait qui montre que vouloir faire évoluer un jeu au travers d’une suite est parfois au détriment de l’image que l’on se fait d’un jeu, et parfois même d’un studio, à tort ou à raison. Je ne sais pas si Naughty Dog s’est véritablement inspiré des travaux de Telltale mais une chose est sûre, The Last of Us a porté les Dogs dans une autre dimension vidéo-ludique. 

The Last of Us Part II – Entre craintes et attentes

Je crois qu’avec tous les éléments que je viens de citer, on peut clairement dire que faire une suite à ce jeu serait risqué tellement les enjeux sont nombreux. On perdrait en quelque sorte ce sentiment de rareté qui fait le sel du premier volet. Cela pourrait même le dénaturer si la suite n’est pas à la hauteur. Pourtant, décembre 2016, The Last of Us Part II est annoncé à travers une somptueuse bande-annonce. Je n’ai pas pu retenir ma joie, évidemment. Mais cette joie cache aussi des craintes. Des craintes non pas liées à la confiance que je porte au studio mais des craintes liées à la possibilité de faire perdre l'âme du titre original.

On sait donc que c’est Ellie que le joueur contrôlera tout au long du jeu et non plus Joël comme dans le premier volet. On retrouve une Ellie un peu plus âgée et elle est même devenue une jeune femme. On peut donc imaginer que le relais transmis entre les deux personnages lors du DLC "Left Behind" n’était pas un simple hasard. De mon point de vue, qui est celui d’un joueur et non d’un développeur, une difficulté s’impose assez vite : celle d’expliquer l’évolution du comportement de chacun, lié à la fois à la relation entre les deux personnages mais aussi lié au passage à l’âge adulte en ce qui concerne Ellie. Car ne l’oublions pas, The Last of Us c’est aussi des sujets sérieux de la vie qui sont traités : la perte d’un être proche ou encore les moments difficiles de l’adolescence. Afin de ne pas spoiler, je ne citerai pas d’autres sujets traités, notamment un, dans Left Behind, qui est d’une rare intelligence de par sa façon de l’aborder. Comprendront ceux qui y auront joué. Enfin bref, dans les faits tout cela est très complexe à mettre en œuvre. Mais ce n’est pas tout : comment faire une suite à un jeu qui se suffisait déjà à lui-même ? Comment justifier un deuxième volet alors que beaucoup de sommets avaient déjà été atteints ? Bien-sûr que le jeu n’est pas parfait : le rythme parfois linéaire, une intelligence artificielle imparfaite ou encore un gameplay qui repose sur des classiques sans véritable prise de risque, oui le premier avait ses imperfections, si on peut ainsi les nommer. Mais est-ce pour autant qu’il a besoin d’une suite ? Je ne pense pas. Alors oui, on peut facilement imaginer des mécanismes plus poussées d’un point de vue gameplay, mais d’un point de vue scénaristique et émotionnel, j’ai du mal à imaginer comment les développeurs vont s’y prendre. Alors Naughty Dog, si vous tombez malencontreusement sur cet article : surprenez-nous !

Le verdict :

Doit-on redouter l’arrivée de The Last of Us Part II ? Bien-sûr que non, réjouissons-nous-en. Pour autant, c’est un pari risqué que Naughty Dog lance aux joueurs. Le studio semble aimer les challenges, et c’est tout à son honneur. Ce sont des risques dont le jeu vidéo a besoin pour continuer à se développer. Pourtant, cela n’enlève rien au fait que je reste intrigué à l’égard de ce titre qui, je l’espère, parviendra à égaler voire même surpasser son aîné. Si vous voulez mon avis, ce n’est pas encore gagné.