u'il est difficile de terminer un jeu, parfois. Ça l'est d'autant plus lorsque le jeu en question fait partie de cette catégorie si chronophage et avide d'implication qu'est souvent le RPG. Les premières heures sont rarement déplaisantes, on découvre le monde, l'histoire, le système de jeu. Mais il arrive qu'ensuite, un vide dans la progression nous freine. D'un coup, on s'ennuie, on part dans tous les coins sans savoir pourquoi, ou simplement est-on pris d'une lassitude globale. Constatant cela, on guette le prochain point de sauvegarde, on pose la manette, puis on éteint la console, sans oublier de remettre ce disque d'ennui dans son petit boîtier douillet.
Mais à peine l'avons nous rangé sur la plus proche étagère, que d'amers regrets nous hantent déjà l'esprit...

 

Ce schéma classique, je ne l'ai pas connu qu'une seule fois pour Chrono Cross, ce RPG si singulier imprégné du label Squaresoft. Pour tout vous dire il m'aura fallu presque dix ans pour enfin voir une de mes nombreuses parties menée à son terme. Car si le jeu est difficile à terminer, ce n'est pas à cause de quelque adversaire redoutable ou d'une énigme insolvable, c'est en majeure partie dû à une narration irrégulière et à quelques lourdeurs dans les phases de jeu. Ainsi n'ai-je jamais eu le courage de passer le premier tiers du jeu si rédhibitoire en ce sens, malgré un revirement scénaristique pour le moins étonnant.

 

Bien sûr, j'aurais pu simplement abandonner et ne jamais y revenir. Après tout, pourquoi tant d'acharnement sur un simple RPG qui peine à me plaire ? Avoir entre-temps goûté puis dévoré Chrono Trigger, sa préquelle, est peut-être une infime partie de la réponse. Ressentir un besoin moral de terminer ce que beaucoup dépeignent comme un chef d'œuvre en est une autre. Mais la véritable raison n'est due qu'au talent immense d'un seul homme, qui signe là, à mon sens, l'OST le plus envoutant qu'il m'ait jamais été donné d'entendre. Cet homme, c'est Yasunori Mitsuda, et c'est grâce à lui si j'ai enfin pu me délecter de toutes les richesses que Chrono Cross détient au fond de sa besace.

 

La musique dans un RPG est, selon moi, un amplificateur servant à faire ressortir la quintessence des émotions véhiculées durant le jeu, plus que dans n'importe quel autre genre. J'ai longtemps écouté l'OST de Chrono Cross à part, sans être capable d'associer à certaines pistes, pourtant déjà magnifiques, les scènes ou images fortes que je n'avais jamais vues. Autant vous dire qu'après avoir comblé ce manque, j'ai pris quelques claques bien senties dans la face, si bien qu'une mélodie comme "People Seized with Life" me donne l'impression de la redécouvrir sous un autre angle.

Cette corrélation est donc plus qu'importante, elle est cruciale. Malgré ça, je me sentirais mal de ne pas vous faire profiter de quelques unes de ces pistes, alors voici un petit cadeau.

   

Toutefois, un amplificateur dépend de ce qui va être amplifié. Le néant amplifié sera toujours le néant, la faiblesse n'en sera que moins faible. Mais tout dans Chrono Cross n'est pas qu'histoire de musique, il serait réducteur de penser cela. Car si les oreilles ont de quoi être émerveillées, que dire des yeux ? Les décors intégralement en 2D sur lesquels on évolue sont d'une beauté rarissime, de véritables peintures aux ambiances diverses et aux couleurs chaleureuses, riches et variées. On a parfois l'impression de voyager dans un petit coin de paradis, où la nature règne en maîtresse absolue.

 

Mais là où Chrono Cross se montre également bluffant, c'est dans son scénario beaucoup plus complexe et profond que ce qu'il laisse paraître pendant, hélas, trop longtemps. Pourtant, la construction de l'intrigue dès les deux premières heures s'avère intéressante, et ne manque pas de dérouter le joueur dans le bon sens du terme. Mais passées ces quelques promesses alléchantes, l'intérêt retombe bien vite lorsque l'on est amené à infiltrer le Manoir Viper, qui s'avère être une expérience aussi éprouvante que lassante. S'ensuit presque un véritable chemin de croix pour finalement arriver à un nouveau temps fort, au bout de 10-15H. Hélas, le peu d'indications qui nous est donné par la suite a souvent été le coup de grâce qui achevait de me décourager, si bien que je n'avais jamais dépassé de plus d'une ou deux heures ce passage du jeu, avant ces dernières semaines de bravoure. Sans vouloir spoiler, la découverte de la Mer Morte (Dead Sea en version américaine) est un véritable tournant dans le jeu, si bien que l'on commence enfin à apercevoir toute l'immensité de ce qui nous attend, ainsi que les liens avec Chrono Trigger. Arrivé là, je jetais un œil au nombre d'heures jouées. Presque 20 heures. Quel dommage d'attendre si longtemps, mais bon sang, ça en valait la peine ! Les 15 heures qui suivirent furent un immense régal, conclues par une superbe fin et un dernier récital du maître Mistuda, un thème chanté d'une extrême beauté, qui justifie d'ailleurs à lui seul l'achat de l'OST.

 

 

Il me reste un aspect à aborder, bien entendu celui du système de jeu. Et c'est là que le bât blesse. D'une complexité parfois inutile malgré une profondeur intéressante, le maîtriser pleinement demande du temps et se montre rédhibitoire lorsqu'il s'agit d'enchaîner les affrontements. On attaque, on utilise quelques éléments, mais on a la désagréable sensation de ne pas tout comprendre. Et le comble, c'est que la seule piste vraiment ratée de cet OST... c'est justement la musique de combat ! Ou plus précisément, celle des combats standards, les autres étant plus faciles à écouter. Le comble du comble, c'est forcément qu'on l'entend plus souvent que n'importe quelle autre piste, s'écoutant telle une succession de fausses notes dans une symphonie parfaite.

 

Fort heureusement, il est possible d'éviter ses combats, qui d'ailleurs ne rapportent pas même un seul point d'expérience, la progression se faisant en affrontant les boss obligatoires du jeu. Les ennemis apparaissent en effet à l'écran ce qui permet de les contourner, et on ne remerciera jamais assez Squaresoft de ne pas nous avoir infligé des combats aléatoires tous les trois pas. Combattre ces adversaires facultatifs ne présente donc que peu d'intérêt, si ce n'est remplir un peu le porte-monnaie et récupérer quelques faibles bonus aléatoires tels que PV+1. Il faut cependant reconnaître que les affrontements contre les boss s'avèrent relativement plus intéressants, nécessitant un usage plus stratégique des éléments de gameplay. Mais ce ne ne sont là que quelques goûtes d'eau dans une mare de boue, elle-même perdue dans un océan de merveilles.

 

Doté d'une patte artistique unique, d'une bande-son d'exception et d'un scénario pantagruélique bien que difficile d'accès, Chrono Cross est un RPG qui s'apprécie à l'émotion, et non pas pour son gameplay exigeant. S'il partage bien des liens avec Chrono Trigger, il serait toutefois dommage de chercher à le comparer avec son illustre aîné, tant ces deux jeux sont marqués de qualités différentes mais tout aussi appréciables. Le 28 Juin 2011 restera une date que je ne suis pas près d'oublier, car c'est en ce jour si ensoleillé qu'un simple mot aura mis un terme à une décennie de galères. Un mot de trois lettres que je vous laisse deviner...

 

Et vous, avez-vous déjà mis plusieurs années pour terminer un jeu ?