Les jeux vidéo occupent aujourd'hui une place prépondérante dans la société. Les frontières entre « hardcore gamer », « casual gamer », et « gamer » se floutent à mesure que les développeurs tentent de s'aligner sur les nouveaux publics cibles. A coups de lancements en grande pompe de Call of Duty avenue des Champs-Elysées, de énième mouture Fifa ultra-réaliste, mais désormais également de prolifération de Farmville-like ou d'envols d'oiseaux particulièrement fâchés, le jeu vidéo a su se trouver une place dans la vie de (presque) tout un chacun. « Le jeu vidéo a déjà gagné mais il ne le sait pas encore » disait un certain JulienC.

Seulement voilà:« Il n'y a pas que les jeux dans la vie ». Poussons cela un peu plus loin...et si il n'y avait jamais eu de jeux vidéo dans la vie? Dans votre vie? Où seriez-vous aujourd'hui et que seriez-vous devenu?

Sans cette passion commune, exit toutes les soirées LAN où toute la nuit durant nous nous battions lors de duels fratricides à , ou côte à côte contre des légions de monstres . Chacun apportait sa manette fétiche-à-moi-tout-seul et on n'osait l'avouer, mais on tentait toujours de peaufiner notre skill chez soi en cachette, entre deux sessions. Ces moments partagés de compétition, de railleries, de défis, de sanglots (?) font partie intégrante des histoires que l'on ressortira dans vingt ans, autour d'un verre ou d'une dinde, après s'être plaints de ne « plus avoir le temps de jouer ». A la place, on se serait assis en rond, à se raconter des histoires de fantôme devant une bougie, ou un plateau de Scrabble.

Mais les jeux vidéo, ce sont aussi des expériences personnelles qui nous marquent et nous façonnent. A la manière de livres ou de films, ils nous transportent d'un univers à un autre et nous permettent l'espace d'un instant de nous immiscer dans la vie de personnages fictifs, et d'y participer. Nous n'aurions jamais connu cette attente interminable qui précède la sortie de notre jeu préféré, attente qu'on essaie de réduire en se gavant du moindre petit screenshot disponible ou de la plus farfelue des rumeurs qui circule. Disparu aussi ce mélange de fébrilité, d'anticipation et de sentiment de « ça y est, je l'ai enfin », quand le jour J arrive. Les premières heures de découverte, d'immersion, d'essais, les premières morts, les premiers exploits, les premiers lancers de manette...

Car c'est là la grande force des jeux, l'interactivité. Quel lecteur peut se targuer d'avoir « réussi à battre » le premier chapitre d'un livre comme on se défait d'un boss? Quel spectateur a du s'employer corps et âme pour sauver une princesse d'un donjon? Comment oublier aussi que les jeux vidéo représentent le premier médium grâce auquel on peut influer sur le cours des événements. On ressort de chaque jeu avec un petit plus mais on y apporte également une part de nous, de notre style, et il est toujours amusant de se rendre compte comment les expériences vécues diffèrent d'un joueur à l'autre.

Et même empiler sans fin et sans raison diverses formes polygonales les unes sur les autres, pour ensuite les faire disparaître ligne par ligne nous remplit de satisfaction. Je vois mal de hauts dignitaires en costume trois pièces s'amuser à lancer des oiseaux sur des cochons dans le métro, ou ramener des billes pour les aligner par groupe de trois de la même couleur. Pire, aurait-on été les témoins d'une recrudescence chez la ménagère des tricots à faire soi-même et à emporter partout avec soi(pour faire le super pull DIY qu'on reçoit à Noël)?

Sans les jeux, ce sont tous ces souvenirs qui s'effacent et bien des destins qui se voient changés. En effet, Shigeru Miyamoto auait sûrement terminé minier ou spéléologue voire troglodyte, obsédé par son désir d'exploration de cavernes et de sous-terrains. Hideo Kojima, cinéaste semi-refoulé, aurait représenté la new wave japonaise au festival de Cannes avant de se faire conspuer par ses fans et la critique pour avoir décidé de changer son héros charismatique par un inconnu gringalet, androgyne. Michel Ancel aurait continué sur sa voie artistique mais aurait reçu la fâcheuse étiquette d' « artiste incompris » suite à la faute de style suivante: celui de ne jamais vouloir dessiner les membres inférieurs et supérieurs de ses personnages. Trop avant-gardiste sûrement.

Vous l'aurez compris ce sont davantage des moments de plaisir et d'instants de frustration intense dont je me souviens. Des souvenirs émotionnels qui sans le jeu vidéo n'auraient pas pu exister. Pas de MGS ni de BGE, et donc pas de découverte de cette envie d'en créer moi-même. Etant en école de jeux vidéo, je ne sais même pas où je me situerais professionnellement parlant à l'heure actuelle, je n'aurais même pas pu écrire ce billet! Plus fourbe...quid de tous ces enfants de couples qui se sont formés dans des salles de jeux dans les années Pong et Space Invaders (voire Dance Dance Revolution), et qui finissaient dans l'arrière boutique ou sur le comptoir pour quelques minutes de se-

En tous cas, à l'heure où les jeux vidéo parviennent enfin à sortir la tête de l'eau et de se défaire de quelques clichés coriaces sur la violence, l'addiction, l'isolation, etc...on peut se rappeler que dans le fond, on est quand même bien contents qu'ils soient là.

Et vous, que seriez-vous devenu sans le jeu vidéo?