Troisième partie de l'interview de Cyrille Fontaine. Vous pouvez trouver les 2 premières ici et .


Passons au gros morceau : Nightmare Creatures

 

Tu peux nous parler de l'histoire ?

Houlà, c'est un peu loin tout ça. L'idée consistait à adosser tout ça au grand incendie de Londres du 5 septembre 1666, qui s'est réellement passé. Pour ceux qui l'ont fini le jeu se termine dans Westminster en flammes, incendie provoqué par les protagonistes de l'histoire. Bon ok, dans le vrai incendie de Londres, Westminster n'a pas brûlé, mais bon, ça avait de la gueule... Nous avons fait quelques emprunts à l'histoire par des références à des personnages réels, comme Samuel Pepys qui encodait son journal, donc pour nous contenait forcément des secrets occultes :). On s'appuie aussi sur la grand peste de Londres, qui fit un grand nombre de victimes, qui se trouvent être les victimes du jeu dont les morts sont expliquées par les expériences du maléfique Adam Crowley.

L'histoire elle même suit le destin d'Adam Crowley, grand méchant et véritable héros de cette série. Il utilise la confrérie d'Hécate qu'il a fondé pour créer et répandre dans la ville ses créatures, assemblées à partir de cadavres et par des méthodes que certains pensent être de la magie.

Quelles furent les inspirations pour ce jeu ?

Il y a eu plusieurs évolutions bien sûr. Tout au début ce fut la coïncidence de plusieurs envies totalement disparates. La lecture d'un roman (les Voies d'Anubis, de Tim Powers) nous donna l'envie de quelque chose de mystérieux, dans un Londres du XVIIeme siècle. L'envie de passer à la nouvelle génération de consoles, l'équipe quittait un projet SNES. La conviction que la 3D allait changer le jeu vidéo, et qu'il ne fallait pas rater ce train. Aussi un intérêt partagé pour les films d'horreur. Mais c'est surtout les créatures dessinées par Pascal Barret dès le début du projet, qui lui ont donné son identité. Il faisait des monstres cool, qui nous plaisaient, nous inventions le jeu autour.


Le développement a duré combien de temps ? Combien étiez-vous sur le coup ?

Nous avons commencé le projet en 1995 pour le finir vers septembre 1997. Donc environ 2 ans. Les versions PC et N64 sont arrivées après. Une équipe change beaucoup de taille au long d'un projet. Commencé à deux, il a réellement existé avec un cœur d'équipe de 4 à 5 personnes et je pense qu'il a eu une taille d'une petite douzaine sur la plupart de sa durée. Bien sûr sur la fin, la taille explose, on a plus de monde pour finir, des testeurs, et tout le toutim. Mais globalement c'était plutôt une petite équipe, même selon les standards de l'époque.


 

Quel était ton rôle dans le développement ?

houla, compliqué. On avait des titres ronflants, genre armée mexicaine, mais qui ne correspondaient pas vraiment à la réalité. Par exemple j'étais Directeur Artistique sur NC, alors que tous les artistes de l'équipe étaient bien plus talentueux que moi. De toute façon, à part quelques bidouilles (le niveau secret Portrait gallery) je n'ai pas mis beaucoup de pixels dans le jeu.

J'ai surtout eu la chance d'être à l'origine du jeu, avec Laurent Beauvalais, Alain Guyet et Pascal Barret. J'assumais au quotidien un rôle de chef d'équipe, mais aussi de designer. Cependant je mentirais en prétendant être LE designer de NC. Le contenu du jeu est avant tout le résultat d'une émulsion d'un petit groupe, on échangeait sur les idées, on s'engueulait,  on essayait, on décidait. Comme ça n'occupe pas toute la journée, j'ai aussi fait du level design, puis quand le jeu était assez avancé, j'ai passé pas mal d'efforts à l'équilibrer. C'était très artisanal mais j'ai adoré inventer des méthodes. Quand j'y rejoue maintenant... que ce jeu est difficile. A l'époque ça n'a choqué personne. Il faut croire que les standards ont changé.

Quand je dis chef d'équipe, cela ne consistait pas tant à dire aux membres de l'équipes ce qu'ils avaient à faire, il n'avaient pas besoin de moi pour ça. Je passais en fait le plus gros de mon énergie à négocier avec les producteurs. La situation était compliquée: Sony publiait le jeu en europe, au japon et dans quelques autres pays entourés de flotte. Aux Etats Unis, c'était Activision. Il y avait 3 producteurs à contenter (Japon USA et europe), mais un seul jeu unique à produire. Une sorte de Yalta permanent pour que chacun accepte nos idées ou les changements des 2 autres.

Les jaquettes française et japonaise


le cd de demo japonais

 

Le jeu s'est bien vendu ? Tu as une idée du budget de développement ?

Même si on l'a ignoré pendant les premiers mois, le jeu s'est extrêmement bien vendu. Toutes versions confondues, sur tous les territoires - il y a même une version chinoise dont le livret est en bois - je crois qu'on a largement passé les 2 millions. Pour un développeur français, indépendant, on était plutôt fiers.
Je ne me souviens pas du budget, c'était il y a longtemps et dans une autre monnaie. Tous les chiffres que je pourrais donner paraîtraient ridiculement bas au vu des standards actuels.

Ignatius et Nadia sont les deux héros du jeu, te souviens-tu d'où viennent leurs noms ?

Non pas du tout. La création des héros était le travail de Laurent Beauvalais et Pascal Barret. Je me souviens que Nadia s'appelait Shirley à l'origine. Mais notre producer de Sony, David Bowry (aucun rapport avec le chanteur vairon) nous a expliqué que ce n'était un prénom ni de l'époque, ni très glamour au XXéme siècle. L'équivalent de Simone un quelque sorte (Désolé Simone). Je pense que c'est lui qui nous a peut-être suggéré Nadia.

Ah mais, magie de l'internet, Pascal Barret rafraichit ma mémoire dans le tchat, et en exclusivité pour vous, voici la liste des personnages initialement prévu dans Nightmare Creatures, que personne n'a jamais connue.

C'est une bande qui s'appelle "les compagnons de l'aube" qui comprend :

- Gareth le templier
- Heather l'acrobate celtique
- Ignacius le combatant de Dieu
- Elisa l'aventurière américaine
- Shi-ryu le gentleman samouraï
- Ky'or le monstre renégat

Les réalités du développement et surtout de la mémoire de la Playstation nous ont forcées à dépouiller un peu la brochette originale.

Je précise que l'histoire a été reficelée après par une équipe en charge des Univers à Kalisto. Des érudits qui ont fait un boulot de qualité, et qui avaient sur leur carte de visite "Créateurs d'univers". La classe.

 

Quelle est la personne qui a inspiré Adam Crowley ? Personnellement, j'y vois une certaine ressemblance avec Fred Motte, le musicos de Kalisto. J'ai bon ?

La ressemblance est tout à fait fortuite (pitié, je travaille encore avec Fred Motte, ne vas pas nous le vexer). Il avait en plus à l'époque les cheveux 2 fois plus longs qu'Adam Crowley, rien à voir :)
En fait, Crowley est la créature de Pascal. C'est un mélange de Dr Jeckyl, du Dracula de Coppola et Alceister Crowley, célèbre tueur en série américain dont il tire le nom de famille et avec lequel il laisse supposer une parenté. C'est un personnage plus épais que ce que l'on peut en voir dans NC et j'espère qu'un jour il aura toute la latitude pour s'exprimer.

Fred "El Mobo" Motte, connu alors dans la scène Amiga sous le nom de Moby, a fait plus que servir de doublure cheveux au méchant du jeu. Ses musique "hard rock" de NC ont énormément contribué à l'ambiance. Sony était franchement réticent à l'idée de mettre du métal dans un jeu. Ils trouvaient ça idiot. Nicolas Gaume a fait le forcing en leur expliquant que c'était aussi idiot que de la musique classique dans un film de science fiction. Merci Yoda, la musique est restée.

Vidéo du kit de presse de Sony Japon

Y a-il des différences entre versions occidentales et japonaise ?

Assez peu. La doc est très différente, les illustrations ont été refaites en style japonais. Sony a en effet pas mal brouillé les cartes sur l'origine du jeu. A l'époque les jeux occidentaux avaient énormément de mal à percer sur le marché japonais, et la version japonaise pouvait laisser croire qu'il s'agissait d'un jeu fait par Sony Japon (SCEI).
Sur le jeu lui même, pas de changement. Le jeu y est plus sombre, très sombre parfois, mais on s'est aperçu après coup que cela provenait des Playstation japonaises dont les couleurs sombres étaient beaucoup plus sombres que sur les consoles européennes.

On s'est beaucoup battu sur un sujet: SCEI avait du mal avec la découpe de membres, et surtout de têtes, qui est pourtant le point fort du jeu. On pouvait facilement arracher une tête et la faire atterrir empalée sur une grille ou une palissade. Pas de bol, en même temps, un tueur sévissait au Japon. Il décapitait ses victimes et empalait la tête sur des grilles, ou un truc joyeux du même tonneau. Mais je crois que l'on a tout de même conservé cette fonction.
La version allemande avait le sang noir, et de toute façon son (-18) Verbotten nous a valu de n'être vendu que dans les sex-shops.

Direction la quatrième et dernière partie :)