En écoutant la Caz Retro sur Resident Evil, j'ai tout de suite pensé à Nightmare Creatures de Kalisto. Je me suis dit qu'une spéciale sur ces jeux serait fort sympathique. J'ai donc contacté un vieux pote, Cyrille Fontaine, qui a bossé dessus et a, accessoirement, vécu l'aventure Kalisto de bout en bout. J'étais parti pour glaner quelques anecdotes sur les 2 Nightmare Creatures, cependant, au fil de la discussion, il y avait tellement à dire que j'ai décidé d'en faire une (longue) interview divisée en 4 parties :

1. Présentation

2. Jeux en tout genre

3 .Nightmare Creatures

4. Nightmare Creatures II et divers

 

Je tiens à remercier MO5.com et Guillaume Verdin pour les photos de l'ITMC et du Dragon 32.

 

Peux-tu te présenter à nos ami(e)s Gameblogueuses et Gameblogueurs ?

La version courte: je suis Cyrille Fontaine, j'ai 40 ans (la version longue dure 40 ans, elle est un peu chiante). Je suis tombé dans le jeu vidéo très tôt. J'ai torché rapido des études minimales d'un ennui mortel pour bosser le plus vite possible dans ce qui était à peine une industrie. J'ai commencé à une époque où une personne faisait tout dans un jeu en quelques semaines: le code, les graphismes et le son. Pendant mes études j'ai fait l'indépendant sur des jeux d'aventure qui ne sortirons jamais pour des petites boites de l'époque (Ubi Soft, Infogrames), essentiellement du graphisme.
Mon premier emploi me fut donné par un grand passionné, Nicolas Gaume, qui montait sa première boite de dev de jeux: Atreid Concept, qui sera connu du grand public sous le nom de Kalisto. Là j'enchaine les jeux avec des gens incroyablement talentueux (et quelques sales cons aussi, il en faut): Fury of the Furries, Pac in Time, Nightmare Creatures, etc. Après Kalisto, en 2002 je travaille comme producer chez LSP, un petit éditeur marseillais où je publie des jeux pour jeunes. Puis je développe des jeux sur internet et en 2006 je rejoins Nicolas Gaume à nouveau pour se lancer dans des jeux sur téléphone. Aujourd'hui je travaille toujours avec lui au développement d'univers virtuels et en particulier sur Mamba Nation sur Facebook.

Quel fût ton premier contact avec les jeux vidéo et l'informatique ?

D'aussi loin que je me souvienne, c'était chez un ami que je squattais régulièrement. Je devais avoir 9 ans et son beau-frère venait de s'acheter un ZX-81. Il avait programmé un casse-briques dessus. Le choc fut violent. A l'époque il n'y avait pas réellement de différence entre jouer à un jeu vidéo et programmer le jeu. Il était même courant de ne pas pouvoir sauvegarder son jeu. Je ne parle pas de sauver sa partie, mais bien de conserver le jeu que l'on venait de programmer pour la fois suivante. Heureusement la mémoire de cette machine était limitée à 1Ko.
D'abord il y a eu une console de salon, une ITMC Telejeu SD 043.Une sorte de Pong à la maison avec un lightgun. Deux manettes avec un bouton. Oui un seul bouton sur chaque manette. Rapidement ce fut la folie des années 8bits et je jetais toutes mes économies (et celles de ma soeur) dans un Dragon32, un 8 bits qui faisait de la couleur (4), et une incroyable haute résolution monochrome de 256x192. Il avait aussi un langage de programmation intégré (basic), grand luxe à l'époque, intégré à sa ROM, fourni par une petite boite américaine qui déjà se la pétait grave: Microsoft. J'ai codé un nombre incroyable de jeux sur ce 8bits et même de la synthèse vocale. J'achetais des jeux par correspondance sur cassette, essentiellement des clones de jeux d'arcade. Car dans les années 80, la Mecque du jeu vidéo, c'était la salle d'arcade. J'y passais autant de temps que possible. C'était le racket: pour 1 Franc français nouveau (environ 1€ de maintenant) dans le monnayeur, je pouvais jouer à PacMan, RallyX, Galaga et des jeux incroyablement novateurs comme mon préféré: Time pilot (Konami 1982). Et toujours la question: mais comment c'est fait ?

 

Le ZX81,  la ITMC Telejeu SD 043 et le Dragon 32

Tu as eu, comme moi, une grosse période Atari ST. Des souvenirs mémorables ?

Comme tu le sais, ce sont pour une bonne partie des souvenirs communs. Une période plutôt cool où il était à la fois facile de bidouiller et de faire des petits jeux. J'ai beaucoup appris du game design sur cette machine, même si étonnamment je n'ai jamais sorti de jeux commerciaux dessus. C'était avant tout une machine accessible, son OS étant très simple et son hardware de qualité, et surtout, c'est une machine qui avait le même hardware dans le monde entier, à l'inverse d'un PC. C'était en fait très proche d'une console de jeux dans l'approche du développement.
C'était aussi l'âge d'or des démos et j'ai eu la chance de participer à certains gros titres, comme la Dark Side of the Spoon et d'autres. On faisait des exploits que seuls nous pouvions apprécier. Finalement on ne faisait pas de mal à grand monde.
Ca a été surtout l'occasion de rencontrer des gens formidable (une bonne partie sont les même que dans la première question) en participant à ces conventions internationales qui regroupaient les plus fous de la scène Atari. L'Atari c'était aussi des heures passées avec des amis à jouer à des jeux qui nous passionnaient, à échanger des jeux pas toujours achetés, à en parler des heures. Mais ça tu le sais.

Un petit mot sur les Atari Falcon, je sais que tu appréciais beaucoup cette machine.

Le Falcon était une machine très particulière. Pas seulement une évolution de l'Atari ST, il possédait des innovations techniques très audacieuses pour l'époque dans une machine grand public. Malheureusement le monde du jeu vidéo avait changé, les super-NES et autres Megadrive avaient créé un marché grand public du jeux-vidéo, avec des dizaines de titres ambitieux qui sortaient tous les mois. Et Atari était encore dans le marché des années 80, avec cette croyance que si la machine est bonne, les gens l'adopteront. Pour l'informatique personnelle, le PC était passé par là. Des machines vulgaires, improgrammables (de la mémoire paginée, un hardware changeant, des fréquences improbables...), dénuées d'élégances, mais d'une puissance qui augmentait chaque semestre. De plus c'était la machine que tout le monde savait utiliser car le PC avait conquis le monde de l'entreprise. Plus de place pour une machine de bidouilleur, aussi intéressante soit-elle.
Je pense que c'est ce manque de vision du marketing qui a nuit le plus au Falcon. Pour comparer avec ce qui se fait aujourd'hui, imagine que le Falcon est sorti sans le moindre jeu publié par Atari, ou par un autre éditeur. Aucun line-up. Pas non plus de suite bureautique, de player de media ni d'OS évolué. La Jaguar n'a pas été beaucoup mieux lotie.
Par contre je garde du Falcon 030 d'excellents souvenirs. A moi cette machine convenait parfaitement, et si j'y ai peu joué, j'y ai beaucoup développé.

 

L'Atari 520 STf et le Falcon 030

Étais-tu adepte des consoles 8 et 16 bits ?

Pour des raisons financières, essentiellement, j'ai raté la période 8bits. Il faut se souvenir qu'une cartouche NES coûtait une véritable fortune, dans les 500F de l'époque. Un peu comme un jeu qui coûterait aujourd'hui 250€. Donc je jouais chez les amis, mais les jeux commençaient à demander un véritable investissement en temps, et être un joueur de passage, ce n'était pas la même chose. J'ai passé au total beaucoup plus de temps sur la Master System de Sega que sur la NES. J'ai eu une Gameboy aussi qui a été un grand plaisir, mais au bout d'un moment les jeux se ressemblaient tous, mais j'ai toujours eu un faible pour les écrans LCD matriciels monochromes. J'ai même participé à un jeu sur Gameboy, publié par Namco et Nintendo himself : Pac in time, l'adaptation d'un jeu à licence Pac-Man que j'avais designé sur SNES à l'origine, en 93.
A la période 16 bits, j'avais déjà commencé à bosser comme salarié dans le jeu vidéo, et développant sur SNES et sur MegaDrive, j'appréciais assez peu la SNES. Je vais faire hurler les fans, mais je l'ai toujours considérée comme une machine sans élégance. Elle était bâtie sur une stratégie que Nintendo poursuivra jusqu'à la Wii: assembler du hardware dépassé, dans une architecture obsolète et ajouter un élément très visible pour rendre l'ensemble sexy. On appelait ça une naine à gros seins (méchanceté gratuite que nous accompagnions alors d'une imitation qui déformait nos vêtements). Son processeur, un 65c816 n'était pas trop mal, il avait fait les beaux jours de l'Apple II GS, autre machine mythique, mais il datait déjà pas mal. On était loin du confort d'un 68000 - qui équipait la Megadrive- mais il coûtait 6 fois moins cher. Par contre il ne pouvait pas travailler en même temps que le chip graphique. Ce pauvre CPU ne pouvait déployer ses 3,58Mhz (1 millième d'un processeur de PC actuel) que pendant le temps que l'écran balayait les zones noires de l'image. Vous savez maintenant pourquoi il y avait souvent des grosses bandes noires en haut et en bas de l'écran de vos jeux SNES... Donc pour faire simple, la SNES avait la puissance de calcul d'un parpaing. Son blitter graphique (ancètre des cartes vidéos, chargé de déplacer les éléments à l'écran) ne la ramenait pas non plus : 10 sprites par ligne, après ça clignote. Il fallait donc ruser pour qu'il n'y ait jamais plus de 10 sprites simultanément sur la même ligne horizontale. Sympa pour faire des shoot'em up... Sa mémoire était assortie et ne permettait pas des animations très détaillées. Par contre, Nintendo a eu le génie d'ajouter 2 fonctionnalités: le célèbre mode7 qui permet d'afficher un plan en perspective, en zoom ou en rotation (F-Zero, tous les gros boss de Mario, Mario Kart...) et le plan de transparence. Ce plan - les décors étaient fait de superpositions de plans de blocs de taille fixes- était translucide et pouvait teinter ce qui était derrière lui. Cela parait banal maintenant, mais à l'époque, effet Wahou garanti. Résultat: un nombre de couleurs visibles à l'écran, des effets d'ombre ou d'eau, qui donnent cette impression de richesse.
Alors bien sûr Mario est un jeu fabuleux, et j'ai transpiré sur pas mal de cartouches. Mais franchement la Megadrive avait aussi des jeux mémorables, mais aura rarement été exploitée à fond.

La seconde partie est consacrée aux jeux sur lesquels Cyrille a travaillé.