Sur Evangelion, lire les excellents articles de l'excellent Snake_in_a_box, sur son blog qui ne l'est pas moins, ici et ici

 

 

1995.

 

Une date à marquer d'une pierre blanche dans l'histoire de l'animation nippone. Le public qui, depuis des mois, surveille les pages du mensuel Newtype pour ne manquer aucune info, aucun visuel inédit, attend avec fébrilité la diffusion du premier épisode de la nouvelle série d'Anno Hideaki, dont les précédentes productions (Honeamise no Tsubasa, Top Wo Nerae Gunbuster, Fushigi Umi no Nadia) ont fait l'unanimité critique. Ce qu'il ignore encore, c'est que cet animé, qui aurait pu n'être qu'un énième show de robots géants parmi d'autres, représentera une véritable révolution sur le fond comme la forme, et mettra un terme provisoire à la crise créative que connaît alors le pays. Car exception faite des travaux de Mamoru Oshii, jamais auparavant un dessin animé n'avait fait preuve d'autant de liberté, de sophistication - voire d'élitisme - que ce Neon Genesis Evangelion (Shin Seiki Evangelion), tant dans le traitement « clinique » de la psyché des protagonistes, dans les circonvolutions mystiques de l'intrigue ou dans les audaces de sa mise en scène minimaliste. Au-delà des traditionnelles (dans tous les sens du terme) orgies de tôles froissées pour « protéger la terre », c'est à une analyse sans concession des névroses qui empoisonnent les rapports entre les êtres que l'auteur tente de se livrer en détournant les codes, les habitudes, les stéréotypes associés à ce genre de programmes, et en multipliant les niveaux de lecture pour se faire un reflet fidèle de la réalité. Peut-être, au-delà : susciter la réflexion, la remise en cause. Une révélation, pour bien des auteurs, qui découvrent tardivement qu'on peut divertir tout en abordant de front des questions sociologiques ou philosophiques complexes, sans pour autant perdre les faveurs du spectateur. Bien au contraire : le succès colossal de la série semble traduire un besoin latent, et représenter un nouveau marché pour les investisseurs, ouvrant une brèche providentielle dans le carcan de leurs cahiers des charges... Il n'en faudra pas plus pour que les auteurs s'y engouffrent têtes baissées, par dizaines, avec plus ou moins de talent ou de sincérité.

 

 Aussi ne compte-t-on plus les œuvres qui, sans cet illustre précurseur, n'auraient vraisemblablement jamais existé : Serial Experiment Lain, Rahxephon, Zettai Shonen, Gasaraki, Interlude, Haibane Renmei, .//Hack Sign, Ergo Proxy, Haruhi Suzumiya, Mawaru Penguindrum, Puella Magi Madoka Magica, et tant d'autres encore... Rien de surprenant à ce que cette influence, encore perceptible aujourd'hui, se soit étendue à d'autres médias complémentaires, à commencer par le jeu vidéo avec des titres majeurs tels que Rebus, Xenogears ou  Chrono Cross (dans son dernier tiers)... mais surtout, surtout, avec ce qui sera appelé à devenir l'un des épisodes-phares d'une série d'ores et déjà légendaire : l'opus VII de la saga Final Fantasy, sorti deux ans plus tard sur la fringante Playstation 1. Lequel, plus encore que les titres mentionnés ci-avant, et à la manière d'un Rahxephon (mais avec ô combien plus d'adresse !), s'offre le luxe d'une réécriture mot-à-mot (ou peu s'en faut) de l'animé sus-mentionné, mais sans l'ombre d'un titan d'acier.

 

Pari risqué, comme nous nous proposons maintenant de le démontrer point par point.  

 

 

 

Tokyo 3, théâtre de marionnettes. Et au centre de la scène : Ayanami Rei, une poupée cassée, un pantin biologique dont on subodore qu'il est mi-humain, mi-« autre chose ». Clone d'une femme décédée, conçu en série, dépourvu d'ego, d'émotions, d'aspirations, prêt à être remplacé à la moindre défaillance ou à être sacrifié, encore, et encore, et encore, comme autant de pions à visage unique sur un échiquier d'apocalypse. Ceci, jusqu'à ce que fin de partie s'ensuive. Un réceptacle, destiné à devenir la Lilith nouvelle, la Mère Originelle vers laquelle l'humanité doit revenir pour pouvoir, à son tour, guérir de son incomplétude.

 

A l'image, ou peu s'en faut, de son homologue masculin, Nagisa Kaoru,  17ème Ange sous forme humaine, créé par la Seele pour contrecarrer les plans de la Nerv et réceptacle d'Adam, le Père. Reine blanche d'un côté, Roi noir de l'autre. L'avenir appartient à qui joue le dernier coup.

 

 

Poupée cassée, aussi, que ce Sephiroth dont la glorieuse existence n'est que mensonges et dont l'ADN, pareillement, n'est qu'en partie humain. Un enfant perdu prêt à tout pour retourner vers une Mère non-humaine, tombée du ciel, et pour transcender ainsi sa condition de mortel.

 

Et que penser de ces clones innombrables, copies imparfaites produites en laboratoire et n'existant que pour lui permettre de jouer sa propre partie, dans l'attente de cette Reunion par laquelle ils lui donneront leur substance et lui permettront d'accéder au rang d'entité supérieure ?

 

Roi noir d'un côté, Reine blanche de l'autre, en la personne d'Aerith Gainsborough, son antithèse, dont seul l'un des deux parents est humain et qui, par conséquent, ne l'est pas tout à fait elle-même.

 

On pense également à Cloud Strife, longtemps convaincu qu'il n'est qu'une enveloppe charnelle, un double, un pion sans volonté, sans libre arbitre, et qui se laisse ronger par ce vertige existentiel avant de se redécouvrir in extremis.

 

Ainsi qu'à pu le faire Rei avant lui.

 

Ainsi que le fera Cait Sith, le robot espion télécommandé, quand les circonstances l'y pousseront et qu'il n'aura plus d'autre choix que de regarder sa réalité en face.

 

Ainsi que le fera, enfin, le ténébreux Vincent Valentine, quand il réalisera que les monstres emprisonnés dans sa chair ne sont pas une malédiction, mais une déclaration d'amour.

 

 

 

 

Entre les lignes d'Evangelion, partout, derrière chaque réplique, chaque silence: le dilemme du hérisson, qui veut que plus celui-ci se rapproche de ses semblables, plus il se pique à leurs épines, de sorte qu'il ne peut trouver ni chaleur, ni tendresse auprès de ceux-ci. Métaphore évidente du rapport à l'autre au sein de nos sociétés modernes, où prédominent crainte de l'attachement, repli sur soi, défiance, mise à distance, dans un ballet attraction-répulsion à en perdre tout repère. Le désir - le besoin, même ! - d'être aimé d'une part, la peur de souffrir de l'autre. Et à équidistance, l'individu, écartelé, incapable de renoncer à l'un, incapable de se défaire de l'autre. C'est ce dilemme, avant toute chose, qui conditionne les actes et les paroles des protagonistes de cette psychanalyse grimée en œuvre SF, et qui se voit personnifié par le personnage d'Ikari Shinji, cet enfant rejeté, solitaire, renfermé, terrifié à l'idée de décevoir ce père qu'il prétend haïr plus que tout au monde, et dont il n'a de cesse de quémander l'affection. Shinji, qui ne met sa vie en jeu et ne tue que pour être aimé en retour, parce que c'est, croit-il, ce qu'on attend de lui, parce qu'il se conçoit moins comme un individu que comme un objet, un outil, apprécié aussi longtemps qu'il saura se rendre indispensable. Mais pas au-delà. Sous ses dehors de divertissement calibré pour vendre de la figurine en plastique, la série propose de montrer comment cet archétype de l'otaku prend sa place dans le monde, sans s'en apercevoir, dans la douleur, et comment il finit par remplir ce vide intérieur qui est tout à la fois son baume et son poison, sa geôle et son refuge, par le biais de ce mystérieux « Plan de Complémentarité » à travers lequel il comprend que ces autres, qu'il le veuille ou non, sont partie intégrante de sa personne. Ceux qui dépendent de lui comme ceux dont il dépend. Et tout particulièrement : Rei, qu'il désire protéger, Asuka, qui le pousse à se surpasser, Kaji, qui lui sert de modèle, Misato, qui joue pour lui le rôle qu'il a décidé de jouer pour Rei...

 

C'est ce dilemme du hérisson qui fait aussi de Cloud ce qu'il est quand le joueur prends ses commandes : un individu mutique, sombre, taciturne, appliqué à ne rien dévoiler de ce qu'il ressent, ou à se persuader qu'il ne ressent rien, que rien ne peut l'atteindre - ne peut plus l'atteindre, le cas échéant. Une façade, qui ne laisse aucune prise et derrière laquelle il cache ses traumas, sa honte, sa culpabilité. Il n'est plus ce soldat d'élite raté qui n'a su empêcher ni le massacre des habitants de son village natal, ni le meurtre de sa mère, ni celui du père de la jeune femme qu'il aimait - ni, plus tard, l'exécution de son protecteur par sa faute. Sa vérité, il l'a enfermée au plus profond de son subconscient, au point d'aller s'inventer un passé plus conforme à ses rêves d'enfant (ou plutôt : au point d'aller s'approprier celui de l'homme à qui il doit cette vie nouvelle), doublé d'un grade imaginaire (cette fois, celui de l'homme qu'il admirait et qui lui a tout enlevé). Incapable de faire face à ses démons, il fuit dans le mensonge, dans le combat, dans une vengeance dont il a oublié la vraie nature, sans laisser personne s'approcher de lui ni faire de premier pas, jamais. Sa rencontre avec Aerith, en définitive, c'est la rencontre de Shinji avec Rei : plus qu'une caricature d'histoire d'amour, c'est sa chance, son opportunité à lui de se réconcilier avec le véritable Cloud, de l'absoudre, de le reconstruire en revêtant la cape d'un héros prêt à tout pour protéger celle qui, à ses yeux, n'est qu'innocence et vulnérabilité. Ainsi prouvera-t-il, se prouvera-t-il, qu'il mérite d'être aimé. Qu'il n'est ni le lâche, ni l'usurpateur, ni l'être détestable qu'il voit en lui-même. C'est précisément ici que commence un long et périlleux voyage, abstrait autant que concret, qui l'entraînera au fond du précipice pour mieux lui permettre de renaître à terme, alors qu'il n'avait plus aucun espoir d'y parvenir. Car dans ces conditions, comment le décès dramatique de celle dont il a fait, à tort (car égoïstement), l'instrument de sa guérison aurait-elle pu ne pas précipiter sa perte, ajouter à sa déchéance avec un nom de plus, sur la liste des personnes qui sont mortes par sa faute.

 

Ces considérations posées, sur un plan plus trivial, on ne manquera pas de sourire en se demandant si l'improbable coiffure « hérissonne » qu'il arbore ne symbolise pas, au regard de celles-ci, les failles et les contradictions du personnage...

 

 

 

  

Si Cloud fait d'Aerith le nouveau soleil de son ciel - au risque de s'y brûler les ailes -, sa bonne étoile, celle qui veille sur lui et à qui il devra sa vie neuve, à la fin du périple, c'est l'amie, l'amour d'enfance, Tifa Lockheart, qui l'accompagne comme son ombre, en retrait, sans jamais s'imposer ni jamais s'effacer non plus. Toujours là pour l'encourager, lorsqu'il doute. Toujours là pour l'aider à se relever, lorsqu'il tombe. Toujours là pour le ramener à la raison, lorsqu'il s'apitoie sur son sort. Dévouée à lui, autant qu'il se dévoue à sa rivale de cœur, sans jamais mettre ses sentiments ou ses blessures intimes dans la balance. A la manière d'une Katsuragi Misato, officier supérieur de la Nerv, lorsqu'elle prend la décision de laisser entrer Shinji chez elle - et plus que chez elle, dans son existence -, et qui va devenir pour lui tout à la fois une mère, une grande sœur, une amie, voire... un premier émoi ?

 

Misato, Tifa : même combativité, même énergie communicative, même désinvolture affectée, même distance raisonnable, même force de caractère, même refus de la complaisance. Mais aussi, et peut-être avant tout, même tendance à chercher, sans le savoir, comme Cloud et comme Shinji, son salut dans cet « autre » qui, au fond, ne lui ressemble que trop.

 

 

 

 

 

Qu'il s'agisse de dresser une barrière invisible entre le monde et soi, ou de se servir de ceux qui le peuplent pour fuir ce que l'on est, les solutions ainsi envisagées ne sont que des mirages. Une façon, au contraire, d'entretenir le mal en croyant œuvrer à sa guérison, au point que les efforts demandés sont toujours toujours plus violents, plus futiles, plus désespérés, et que les satisfactions à court terme annoncent autant de frustrations futures, de manques à satisfaire.

 

Dans Final Fantasy VII autant que dans Evangelion, seul celui ou celle qui fait face peut reconstituer le puzzle de son ego brisé - ce à quoi il ne se résout, la plupart du temps, que contraint et forcé. Car pour cet être meurtri, cela implique de se confronter sciemment à des traumatismes qu'il n'a jusqu'ici pas été capable de surmonter... ce qui, dans les formes, se transforme en chemin de croix au long duquel l'individu part à la rencontre de lui-même, au sens littéral de l'expression, dans des univers chimériques construits à partir de ses souvenirs, de ses fantasmes ou de ses ressentis, et dont il ne peut sortir que plus fort... ou anéanti, physiquement autant que psychologiquement.

 

Plus fort : Shinji, après avoir manqué de fusionner avec l'appareil qu'il pilote et y avoir senti, fugitivement, la présence de sa défunte mère, victime d'un accident similaire en son temps (épisode 20).  

 

Anéantie : Asuka, après que l'Ange Arael se soit infiltré dans son esprit et l'y ait mise à nu,  l'obligeant à revivre ce passé tragique dont elle porte les stigmates en silence (épisode 22).

 

Anéanti, également : Cloud, après une première chute dans le lifestream, incapable de poursuivre une quête en laquelle il ne croit plus, persuadé à tort de n'être qu'une marionnette.

 

Plus forts, enfin : ce même Cloud, et Tifa, après un double rendez-vous onirique avec ce qu'ils étaient jadis (ce qu'ils n'ont jamais cessé d'être), affleurant à l'âme de Gaia par cette résurrection commune.

 

Alors et alors seulement sont-ils en mesure de reprendre les rênes de leur destin, en mesure d'agir pour de bon...  En mesure d'affronter leur adversaire, aussi.

Soit, plus explicitement : de s'ancrer dans l'instant présent et, pour la première fois, d'envisager l'avenir pour ce qu'il est - un infini de possibilités et d'horizons ouverts, offerts, à conquérir. 

 

 

 

 

 

 

Dans les deux œuvres, « Je » est un autre. La guérison est une aventure intérieure. Les introspections se succèdent au fil des monologues, tantôt muets, tantôt surréalistes, toujours bavards et pourtant, elliptiques, nourris de cauchemars, de doutes, de réminiscences,  d'estime de soi à l'agonie... jusqu'à s'afficher en toutes lettres, blanc sur noir, et remplacer jusqu'au monde et au personnage, réduits à des plaintes et à des vertiges dont seuls les échos habillent encore le néant. 

 

 

On s'y interroge, on s'y interprète, on s'y met en abyme avec candeur, grandiloquence, chacun dans son propre cachot, chacun prisonnier de ses propres chaînes. Si bien que dans les deux œuvres, pareillement, c'est quand l'autre prend la place de ce « je » narcissique que l'individu accède enfin à la plénitude, qu'il peut renoncer à « se dire » pour se contenter de « se vivre ». Les mots, ensuite, ne sont plus nécessaires. 

 

 

 

 

 

 

 

Jamais auparavant, la famille n'avait occupée une place si prépondérante et si ambiguë au sein d'un Final Fantasy. On y a bien croisé, ça et là, des frères ennemis, des orphelins livrés aux vents de la fortune, des veufs inconsolables, des princes en froid avec leur héritage, mais la plupart du temps, ceux-ci n'étaient que des cas isolés, des procédés stylistiques, des artifices incarnés dans des corps de pixels. Considérations en regard desquelles l'épisode VII marque une rupture : non seulement la famille s'y fait omniprésente, mais c'est paradoxalement par l'absence, subie ou volontaire (voire, parfois, par l'opposition), qu'elle occupe l'espace du récit. Jamais elle n'est ce cocon protecteur ou ce refuge auquel on l'associe spontanément.

 

De la même façon, dans Evangelion, Shinji n'est pas le seul à avoir des comptes à régler avec l'image du père. Misato n'a pas pardonné au sien d'avoir fait passer son travail avant ceux qu'il aimait  - et ceci, bien qu'il soit mort pour la protéger. Asuka doit au sien la folie qui a transformé sa mère en monstre - et la silhouette de cette dernière, inerte, pendue dans le salon, pour noircir un peu plus ses rêves les plus cruels. Ritsuko n'éprouve quant à elle que condescendance et dédain envers celle qui lui a donné le jour,  dont la faiblesse morale l'a toujours dégoûtée. Foyers déchirés, conflictuels, rongés par le deuil, par la frustration, par l'incompréhension, dont on trouve un reflet fidèle une fois la manette à la main.

 

Car dans Final Fantasy VII, comme on l'a écrit en préambule, la famille est partout et nulle part à la fois. A quelques rares exceptions près, elle n'est affaire que de souvenirs, bons ou mauvais. Les parents d'Aerith : abattus par les troupes de la Shinra. Les parents de Tifa : une mère qui meurt quand elle n'a que 8 ans, un père autoritaire, tué lors du massacre de Nibelheim. Les parents de Cloud : un père qui meurt alors qu'il n'est qu'un jeune garçon, une mère aimante, tuée lors du massacre de Nibelheim. Les parents de Marlene : abattus par les troupes de la Shinra. Des cicatrices qui restent douloureuses, malgré les années, quand elles ne démangent pas, quand elles ne conduisent pas à la colère. Celle de Red XIII / Nanaki, convaincu d'avoir été abandonné par ce père qui, au contraire, s'est sacrifié pour lui. Celle de Sephiroth, découvrant qu'il n'est pas de divine ascendance. Ou encore le mépris d'un Rufus Shinra pour ce géniteur qu'il exècre et dont il aurait sans doute commandité l'assassinat, un jour ou l'autre, si les circonstances ne lui avaient pas été tristement favorables. Ou encore, même, la révolte adolescente d'une Yuffie, vis-à-vis de ces traditions qui lui gâchent l'existence, et de ce chef de famille auquel elle ne veut pas ressembler.

 

 

 

 

Ne manque qu'une figure au tableau de ces familles dysfonctionnelles. Une figure emblématique, cela va sans dire : pour Evangelion, ce sera Gendo, père biologique de Shinji et leader de la Nerv, qui va jusqu'à cacher le moindre de ses sourires derrière le rempart de ses gants. Pour Final Fantasy VII, ce sera Hojo, père biologique de Sephiroth et chef de la section « Sciences et Recherche » de la Shinra, qui ne se donne même pas la peine de feindre des émotions.

 

Deux scientifiques aux caractères égotistes, nombrilistes, équivoques, obsessionnels. Deux personnes dépourvues d'intégrité, d'humanité, d'éthique, de compassion. Deux pères qui n'ont jamais témoigné d'amour à leurs fils, traités en étrangers et en rats de laboratoire. Deux veufs dont on se demande s'ils ont aimé ou s'ils ont été aimés un jour. Deux hommes prêts à toutes les trahisons, à toutes les compromissions afin d'atteindre leurs objectifs... et oui, quels objectifs ! 

 

Car alors que le premier ne semble obéir aux ordres de la Seele que pour mieux pouvoir la doubler, le moment venu, et accomplir ce qu'elle tente d'empêcher (ou vice versa ?), le second n'est pas plus loyal envers la Shinra, dont il utilise les moyens pour poursuivre des recherches à la moralité douteuse.

 

Qu'il s'agisse de son fils, du clone de sa défunte épouse, de ses collègues, de ses amis - voire  de l'humanité entière -, Gendo n'a aucun scrupule à manipuler tous ceux qui peuvent lui permettre d'exaucer son vœu : unir ses semblables, devenir un dieu et, ainsi, retrouver la femme sans qui il n'est qu'une moitié d'individu. Pour lui, par lui, Shinji est placé aux commandes de l'EVA 01 et endure mille souffrances, corporelles autant que mentales, devenant tour à tour victime et bourreau malgré lui, sans bientôt plus pouvoir distinguer l'un de l'autre. Pour lui, par lui, le code génétique de sa femme est associé à celui d'une entité d'origine inconnue, afin d'en concevoir des répliques en série.

 

Sephiroth n'est pas en reste, en la matière : il n'est pas encore venu au monde que déjà, son concepteur (aucun substantif ne saurait mieux convenir) mêle son ADN à celui d'une créature extraterrestre qu'il prend à tort pour le dernier représentant d'une espèce supérieure, dans le but avoué de créer un surhomme. Un dieu, une fois de plus. Le premier représentant d'une armée indestructible, qu'il laissera livré à lui-même et aux bons soins de la Shinra - mais dont il épousera la cause, plus tard, quand le but de ce dernier aura rejoint ses propres ambitions.

 

Sans Gendo, pas de Nerv. Sans Hojo, pas de SOLDIER. A chacun sa souillure. Seule différence, mais significative : Gendo, on le découvre trop tard, n'agit que par amour. Du moins, par l'idée faussée qu'il s'en fait. Il n'a abandonné Shinji que pour le protéger - cherche-t-il à se persuader -, et ce sont ses sentiments pour Yui qui guident ses actes, là où son homologue n'est mû que par la curiosité scientifique. Laquelle, bien évidemment, finit par entraîner sa perte. Et sur ce plan comme sur tant d'autres, tous deux sont logés à la même enseigne.

 

 

 

 

 Impossible d'évoquer Gendo et Hojo sans évoquer, en prolongement, leurs pendants féminins, la lumière dans leurs ombres : Ikari Yui, Lucrecia Crescent, deux personnages exceptionnels, deux scientifiques de renom au centre d'un triangle amoureux auquel elles mettent un terme en choisissant, l'une comme l'autre, le mauvais garçon plutôt que le bon, pour le meilleur et pour le pire. L'une par amour. L'autre, par culpabilité. Toujours est-il que c'est de leur plein gré qu'elles serviront de cobayes pour leurs estimés partenaires.

 

C'est ainsi que Yui disparaîtra, corps et âme, dans le cockpit de l'Eva 01, lors d'une expérience de contact prématurée, en laissant derrière elle fils et mari, incapables de communiquer, de vivre ensemble - avec le poids du monde sur leurs épaules, et aucune raison de le supporter.

 

C'est ainsi que Lucrecia donnera naissance à l'enfant par lequel tout arrive, cet ange qui ne tarde pas à succomber au démon qui l'habite et qui va œuvrer à détruire le monde pour devenir un dieu. Fatalité génétique à laquelle sa mère biologique aurait, peut-être, pu s'opposer, si elle était restée à ses côtés. Mais quand Vincent, son garde du corps et véritable amour, est mortellement blessé par son époux, ses péchés la rattrapent, son reflet lui devient insupportable : elle veut mourir, mais elle ne le peut pas. Les cellules de Jenova qui lui ont été injectées au cours de sa grossesse ne le lui permettent plus ; en conséquence de quoi disparaît-elle de son propre gré, s'enfermant pour l'éternité dans une gangue d'énergie Mako pour y expier ses fautes. Laissant, hélas, à l'instar de Yui, son fils grandir loin de sa bienveillance, pour le résultat que l'on sait.

 

 

 

 

Au-delà de ces prestigieux jeux de miroir, on pourra encore trouver de réjouissantes similitudes entre Asuka, la jeune prodige de Tokyo 3, et Yuffie, la fille chérie du Wutai, égales en arrogance, excès et débordements infantiles. Toutes deux tenues à l'excellence par leurs histoires personnelles respectives, elles partagent un goût similaire pour les titres honorifiques (réels ou imaginaires - n'hésitant pas à s'en inventer à l'envi), ainsi qu'une confiance en elles similaire, jusque dans son caractère factice. 

 

De Kaji, l'agent triple et tombeur de ces dames, Cid conserve le magnétisme animal, la nonchalance virile et la désinvolture adulescente, tous deux aussi peu soucieux des apparences que de la correction de leur langage. Mais c'est surtout dans leurs histoires d'amour entre parenthèses, et les innombrables actes manqués qui vont de paire, que ces deux bad boys se rejoignent à la croisée des temps perdus. L'un est repoussé sans relâche pour de mauvaises raisons (l'image d'un père absent, toujours). L'autre repousse sans guère plus de légitimité. Mais pour l'un comme pour l'autre, les événements seront le vecteur du pardon, de la réconciliation et de la seconde chance.

 

Clin d'œil, enfin, sur un plan de pure forme : Cait Sith, qui apporte au jeu sa touche décalée façon Pen-Pen, le mystérieux pingouin d'eau chaude logé dans le frigo de Misato. Une mascotte 100% kawaii dont il adopte le gabarit comme les couleurs : du noir et du blanc pour un corps hérité de l'épisode VI, du jaune flamboyant pour la couronne, du rouge vermillon pour la cape, rappelant respectivement le bec et les sourcils de son probable inspirateur.

 

 

 

  

On le sait ou on le devine (pour peu qu'on ne soit pas familier de l'œuvre), l'architecture narrative d'Evangelion fait la part belle à un ressort scénaristique classique, certes, mais qui a fait ses preuves. En l'occurrence : une toile de fond aux mailles inextricables faite d'organismes aux dénominations absconses, de références sibyllines, de conspirations en poupées gigognes, d'intérêts divergents, de secrets sinistres, de buts effroyables ou d'imprévisibles trahisons. Panorama paranoïaque dans le décryptage duquel le spectateur va se perdre avec délices, recherchant pistes, indices ou preuves selon l'avancée de ses théories.

 

Nerv, Gehirn, Seele : autant de silhouettes informes, indistinctes, menaçantes, dont on sait qu'elles tirent ou ont tiré leurs propres ficelles, sans qu'on sache dans quel but ni pour quel résultat. Et au sein de celles-ci, bien sûr : des individus aux motivations troubles, aux identités floues, aux jeux de dupe à de multiples niveaux et aux intérêts à tiroir. Keele, Gendo, Kaji et tous les autres : bien malin serait celui qui pourrait se prononcer sur qui sert qui, et pourquoi, avant l'accès aux révélations finales.

 

Ce qu'on retrouve, dans une mesure moindre, à l'arrière-plan d'un Final Fantasy VII qui, de son côté, n'est pas avare en Shinra, en Turks, en sous-divisions et départements occultes, au sein desquelles les collusions et les rivalités semblent être monnaie courante, et où les traîtres ne sont pas nécessairement ceux qu'on croit. Qui, par exemple, aurait parié sur Reeve en début de partie ?

 

Nerv ou Shinra, les logotypes eux-mêmes présentent d'ailleurs de troublants points communs, dès lors qu'on s'y attarde : dominance du rouge et du noir, importance de la diagonale dans la composition, acronymes courts, construits autour d'une voyelle identique...  Autant de coïncidences qui, aussi bien, n'en sont pas.  

 

 

 

 

 

Il est arrivé à maintes reprises, au cours de l'histoire des Final Fantasy, que leurs concepteurs puisent dans des substrats culturels étrangers pour en tirer des noms de villes ou de protagonistes (ainsi, inévitablement, que pour grossir les rangs de ses bestiaires), sans que cela n'ait de signification pour autant. A titre d'exemple, les mots Midgar ou Nibelheim renvoient tous deux aux Eddas de la mythologie Nordique et contribuent à installer, pour les fins connaisseurs, un climat de Ragna Rok (comprendre : de fin de monde) dès les premières minutes de jeu.

 

Mais entre tous, c'est le terme Sephiroth qui attire l'attention de par la récurrence de ce symbole mystique dans la série d'Anno, laquelle a grandement contribué à le faire connaître du public des non-initiés. Présent dès les premières secondes du générique d'introduction, l'Arbre de Vie de la Kabbale (ou arbre des Sephiroth) s'affiche au sol et au plafond du bureau de Gendo, au cœur du Geofront... quand il ne se dessine pas dans le ciel en caractères ardents.

 

A l'extrémité de chaque branche de ce qui est souvent considéré, aussi, comme un chemin, bourgeonne l'une des dix Sephiroth censées représenter un attribut divin, mais si les interprétations de l'ensemble restent multiples, c'est sur l'une d'elle qu'il convient ici de nous attarder. En l'occurrence : celle qui veut que cet arbre trace la voie par laquelle l'homme peut atteindre la transcendance, le plus haut degré de la spiritualité. En d'autres termes : « devenir plus qu'humain », ce qui correspond plutôt bien au personnage éponyme.

 

En prolongement, il est possible, cela n'aura échappé à personne, d'entendre en «Jenova » une retranscription volontairement imparfaite de « Jehovah », le nom (hébreu, encore) du Dieu unique, dont elle est pourtant l'antithèse. Quel sens donner à cet emprunt, alors ? Aucun. Ou simplement une hypothèse, qui vaudra ce qu'elle vaut : celle d'une opposition conceptuelle un rien naïve entre un monothéisme peint comme dévastateur et un panthéisme « naturel », plus en accord avec l'essence du monde. Ce qui, du reste, se ferait l'écho du militantisme écologique servant de noyau à cet épisode.

 

 

 

  

On ne s'étonnera pas de choix aux connotations si ésotériques. Dans Final Fantasy VII comme dans Evangelion, ce sont les origines de l'espèce humaine que l'on questionne à mots couverts,  et ce sont vers ces origines que l'on retourne, pas à pas, au fil des rebondissements, des hypothèses, des révélations, de tous les sous-entendus et toutes les contradictions qui mènent de l'un à l'autre.

 

L'homme est-il né de cet Adam gigantesque, venu d'ailleurs, dont il ne subsiste qu'un embryon mal en point ? Ou bien de Lilith, son premier enfant ? Et que sont-ils tous deux, eux qui étaient jadis à notre image, et qui ont traversé l'espace pour ensemencer cette planète que nous avons fait nôtre ?

 

Descend-il des Cetra, cette énigmatique civilisation issue de Gaia, que la venue de Jenova a presque entièrement réduite à néant ? Ou bien n'est-il qu'une nouvelle espèce parmi d'autres ?

 

Des questions que ces deux œuvres posent, autour desquelles elles s'articulent mais auxquelles elles ne répondent pas. Ou, en tout cas, jamais explicitement, de manière à laisser de son charme au mystère et à permettre au public, s'il le désire, de prolonger ce questionnement hors de son cadre formel, de se l'approprier, voire... d'y trouver un reflet des siens et d'en faire, par-là même, un trait d'union inattendu entre fiction et réalité.

 

 

 

 

 

Géants surgis des entrailles de Gaia pour servir de dernier rempart entre elle et l'anéantissement, les Armes ont cela de commun avec les Anges d'Evangelion (ou, du moins, la plupart d'entre eux) leur gigantisme, l'incompréhensible diversité de leurs apparences, leur intelligence « différente », leur formidable puissance de destruction et leur marche implacable vers ce qu'ils identifient comme « leur but ».

 

Pour les Anges, ce sera retourner vers Adam et provoquer la fin d'une humanité qui n'était pas censée exister, afin de rendre à la planète sa pureté biologique originelle et permettre à ce même Adam, peut-être, d'ensemencer celle-ci comme il était prévu.

 

Pour les Armes, il s'agira de mettre un terme à toute agression subie par Gaia, dont elles constituent le système immunitaire, afin de rétablir l'équilibre au sein du lifestream et de préserver le cycle de la vie. Raison pour laquelle ces créatures titanesques, initialement conçues pour combattre Jenova, se retournent contre l'espèce humaine dont la soif d'énergie Mako apparaît tout aussi dangereuse.

 

Et comme les Anges, nés d'Adam, sont les cousins de l'homme, né de Lilith, Armes et humains sont nés du même lifestream et sont donc liés par nature.

 

Quant au cœur des Anges, la koa (core), sphère écarlate dont ils tirent leurs pouvoirs et où est enchâssée leur âme, quatre Armes en arborent une copie conforme. Ce qui ne manquera pas d'évoquer, à une autre échelle, les Materia, ces cristaux d'énergie renfermant une partie de l'âme de la planète et qui octroient à leurs bienheureux possesseurs des facultés hors du commun.

 

 

 

  

Evangelion, Final Fantasy VII, deux trames distinctes, deux crises à l'échelle planétaire, mais un seul déclencheur par lequel tout arrive : une simple, mais regrettable méprise, dont les implications et répercutions excèdent les limites de l'entendement humain.

 

Méprise des Anges, convaincus que c'est la présence d'Adam, qu'ils ressentent, au cœur du Terminal Dogma, ce qui les pousse à attaquer ce dernier sans relâche.

 

Méprise de la Shinra, convaincue que le corps découvert dans le cratère du Nord est celui d'un Cetra, et qu'elle pourra l'utiliser pour créer des surhommes.

 

Dans un cas comme dans l'autre, les apparences sont trompeuses, comme le découvre Kaoru/Tabris avec amertume, à la fin de l'épisode 24 : ce colosse empalé, crucifié, estropié, qui a servi de base à l'élaboration de l'EVA 01 et dont la blessure ne cesse de suinter du LCL (celui-là même que la Nerv utilise pour synchroniser ses pilotes avec ses monstres) n'est pas Adam, mais Lilith, sa première fille qui, plusieurs millions d'années plus tôt, a percuté la terre par accident et y a donné naissance, de sa propre initiative, au 18ème Ange, Lilim, l'Humanité. Cette Lilith que les textes sacrés présentent comme la première femme, avant Eve, bannie des cieux pour avoir refusé de se soumettre à l'autorité de son compagnon et dont on dit qu'elle a, ensuite, engendré les démons qui peuplent l'Enfer.

 

Des démons, Jenova n'en a enfanté qu'un seul, mais il amène l'Enfer partout où ses pas le conduisent. Arrivée sur Gaia quelques deux mille années plus tôt (le nombre n'a rien d'anodin), cette entité vagabonde décide de se l'approprier et d'en faire le vaisseau qui la mènera vers d'autres terres de conquête. Vaincue in extremis par ses dernières victimes, elle est ensevelie et oubliée... jusqu'à ce que ses restes mutilés soient exhumés, puis conservés par la Shinra, qui se sert de son ADN pour créer le corps d'élite du SOLDIER.

 

Lilith, Jenova : deux créatures extraterrestres que le hasard à conduit l'une sur terre, l'autre sur Gaia, deux démiurges (tels que la Gnose le conçoit), deux mensonges de divinité, deux mères contre-natures réveillées par l'espèce humaine dont elles vont, chacune à leur manière, précipiter la fin ( ?).

 

 

 

 

 

 

 

Assaut sur Tokyo 3. Alors que les protections du Geofront sont percées les unes après les autres, que tous les voyants d'alarme virent au rouge et qu'aucune arme, aussi perfectionnée soit-elle, ne semble capable d'ouvrir une brèche dans le bouclier de l'envahisseur, le danger contraint Misato à jouer notre survie sur un coup de poker (épisode 6) : l'opération Yashima (qui inspirera plus tard d'autres opérations éponymes, mais cette fois bien réelles). Sa dernière carte ? L'Eva 01, armée d'un canon à positron expérimental, et toute l'électricité du Japon, canalisée, concentrée en un tir dévastateur - deux tout au plus.

 

Situation désespérée qui n'est pas sans rappeler celle que connaît Midgar lorsque l'Arme de Diamant s'arrache à l'océan, et qu'elle se dirige vers ses réacteurs Mako pour mettre un terme à ce pillage en règle. Rufus Shinra n'a alors d'autre choix que de transférer toute l'énergie de la cité dans le Sister Ray, canon géant développé sur le site de Junon mais rapatrié dans l'urgence vers le siège principal de l'organisation. Un seul tir à peine puissance, c'est tout ce que l'arme sera susceptible de supporter, ce qui suffira cependant à abattre l'adversaire et à atteindre l'objectif initial : dissiper le champ de force qui entoure le cratère du Nord, où Sephiroth attend son heure.

 

Reste en persistance rétinienne l'image surréaliste de deux mégalopoles plongées dans des ténèbres qui n'auraient jamais dû ne serait-ce que les effleurer.

 

 

 

 

Devoir y renoncer. Peut-on imaginer plus cruelle façon de réaliser que l'on possède une âme  quand on a cru, sa vie durant, n'être qu'un contenant dépourvu de contenu, une mécanique de chair impersonnelle, artificielle, dénuée de valeur ? Mais peut-on imaginer façon plus objective de prouver l'existence de cette étincelle intérieure, que de la sacrifier pour une cause ou un être cher qui nous sont plus précieux encore ?

 

C'est en tout cas ce que fera Rei, à l'issue du combat qui l'oppose à Armisael (épisode 23) et alors qu'elle vient d'ouvrir les yeux sur ce qu'elle est devenue, sans s'en rendre compte, en fréquentant Shinji. Loin du clone qu'elle est par nature ou de l'outil qu'elle s'applique à être par devoir : une personne authentique, dotée de sa sensibilité, de sa persona, de son libre arbitre. Une jeune fille qui, comme toutes ses camarades, ressent, rêve, aime, tremble, pleure, et dont la survie est conditionnée par le désir plutôt que par l'instinct. Avant tout : un bourgeon de femme, prête à mourir pour permettre à celui qu'elle aime d'échapper à un sort funeste. En conséquence de quoi n'a-t-elle pas d'autre choix que de s'auto-détruire avec l'unité qu'elle pilote, remportant l'affrontement au prix de ce qu'elle venait de se découvrir. Acte d'autant plus douloureux pour le spectateur qu'elle est aussitôt remplacée par une nouvelle poupée, aussi vide et indifférente qu'elle pouvait l'être elle-même à l'arrivée du 3rd Children. Seul subsiste l'accessoire, l'apparence, l'illusion. Rei a beau exister en dizaine d'exemplaires, elle n'est plus qu'un souvenir dans le cœur de ceux qui l'ont côtoyée.

 

Des souvenirs, c'est aussi ce que Cait Sith laissera derrière lui, après avoir accompli cette mission-suicide pour laquelle il s'est porté volontaire. Extraire la materia noire du Temple des Anciens sonnera le glas de celui ou celle qui s'y risque. Une tâche sur mesure, pour un pantin au cœur de métal et à la chair de tissu : il suffirait d'un ordre, un seul, donné à distance, et pourtant... Pourtant, cette décision lui appartient. Car s'il aurait dû n'être qu'un matricule sur une chaîne de montage, rien qu'un gadget sophistiqué, ses pérégrinations aux côtés de ceux qui, petit à petit, lui ont enseigné la bravoure ont contribué à le transformer, à le réveiller, à lui façonner une identité, unique, précieuse, indépendante de celle qui le contrôle. Un autre modèle prendra sa place, ensuite, annonce-t-il avec détachement : aucune raison d'être attristé par sa disparition. Mais en ce cas, pourquoi les adieux s'avèrent-ils si déchirants, et pourquoi insiste-t-il pour pouvoir, une dernière fois, tirer les cartes à ses compagnons de fortune ? L'arrivée de son substitut confirme ce que le joueur pressentait, et redoutait en proportion : il s'agit bien du même Cait Sith, jusque dans la couronne ou dans les facéties clownesques. Et pourtant, non, ce n'est plus Cait Sith - comme la Rei de remplacement n'est plus Rei.

 

Ce qui, en filigrane, revient à proposer une égale définition de l'identité : non pas comme produit d'un code génétique ou d'une donnée innée, écrite ou immuable mais a contrario, un ensemble de potentialités en constante évolution, une architecture intérieure complexe qui se construit, se matérialise au contact d'autrui. Autrui sans lequel, par conséquent, nous n'existons pas.

 

 

 

 

 

Difficile, en assistant au Third Impact qui clôt Evangelion - cette fin de monde par lesquelles les consciences humaines fusionnent à travers Lilith pour ne faire plus qu'une -, de ne pas penser à la Reunion souhaitée par Sephiroth, ou aux dernières minutes du dénouement cinématique, ne serait-ce que par le choix des couleurs utilisées et le contraste qui en découle : un rouge brasier, crépusculaire, opposé à l'éclat d'un vert luminescent, porteur d'espoir. Mêmes prémices, même aboutissement. La fin, le renouveau. La nécessaire transition entre l'un et l'autre. Et tandis que dans la série d'Anno, l'humanité accède au salut en redevenant ce Tout qu'elle n'a jamais véritablement cessé d'être, c'est ce même Tout, cette « Terre Promise » (nouvelle référence religieuse, nouvelle passerelle) guidée par l'esprit d'Aerith, qui permet aux effets de la materia blanche de faire obstacle au météore invoqué par Sephiroth. Qu'importe, au bout du compte, si Final Fantasy va plus loin qu'Evangelion en intégrant tant les animaux que les végétaux dans l'équation de cet ensemble vital : dans les deux œuvres, c'est au moment où les parties retrouvent le lien qui les unit par-delà la matière, et où elles communient par-delà les individualismes qu'elles accèdent à la possibilité d'un avenir radieux. Dont elles se font, ainsi, les premiers artisans.

 

 

 

 

 

 

 

Alors que les deux derniers épisodes d'Evangelion rompent le fil de la narration en imposant au spectateur une ellipse radicale en forme de puzzle à reconstituer, laissant planer le doute sur le sens de cette fin qui aura fait couler tant d'encre, Final Fantasy VII ne peut qu'opter pour une conclusion plus conventionnelle, plus respectueuses des attentes de ses joueurs. Pour autant, il se garde bien de leur proposer le traditionnel happy ending de rigueur, et ne va pas sans poser son lot de questions. Car si l'on sait que grâce aux efforts conjugués des protagonistes, de la rivière de la vie, de la materia blanche et d'Aerith, la catastrophe a pu être évitée, on ignore tout du prix de cette victoire. L'ultime séquence présente la ville de Midgar en ruines, plusieurs siècles en aval, mais à l'exception d'un Red XIII encore vert pour son âge et de sa juvénile progéniture ( ?), rien ne permet de deviner avec exactitude comment le rideau est tombé. L'humanité a-t-elle survécu à la chute du météore, ou seule la planète a-t-elle été préservée ? L'état de la cité est-il dû au passage du temps, ou au cataclysme ? Le peuple de Nanaki a-t-il remplacé le nôtre à la surface de Gaia ? Et qu'est-il advenu de ceux qui se sont battus en son nom ? Chacun est libre d'imaginer la fin qu'il préférera ou qui lui semblera la plus sensée. Ou de s'interroger sans... fin. Sûrement est-ce d'ailleurs là l'une des grandes forces de ce dénouement ouvert qui, lui aussi, s'achève sur un nouveau départ. S'achève sans s'achever, en somme.

 

 

 

 

Evangelion, Final Fantasy VII, une seule et même histoire...  Canular ou réalité ? C'est à la marge du Gold Saucer qu'est détenue la clé de cette double lecture. Et plus précisément : dans le musée personnel de Dio, où l'observateur attentif aura tôt fait de repérer, au fond à droite, un scaphandre ressemblant à s'y méprendre à la combinaison portée par l'Eva 02 pour affronter l'Ange Sandalphon (épisode 10). Et si, en effet, rien ne ressemble plus à un scaphandre qu'un autre scaphandre, la mention « D Type Equipement » ne laisse pas de place à la controverse : c'est au mot près celle qu'on peut lire sur le prototype de la Nerv, et l'élément objectif dont nous avions besoin pour entériner ce qui précède.

 

 

 

 

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Faut-il ne voir en Final Fantasy VII qu'un plagiat, dans ces conditions ? Une escroquerie, et rien de plus ?  

 

Ce serait faire bien peu de cas du colossal travail de réécriture auquel cet ingénieux copié-collé a donné lieu, car si se fendre d'un scénario original demande plus de talent qu'on ne se l'imagine, il en faut autant, si ce n'est plus, pour s'approprier de la sorte un matériau si populaire, sans que le public ne se sente lésé ni n'ait conscience du procédé.

 

Ce serait oublier un peu vite, de la même façon, tout ce que les scénaristes ont pu apporter de personnel à ces emprunts : tous les ajouts, les prolongements, les à-côtés qui donnent son relief à cette aventure. On ne manquera pas de mentionner, notamment, la richesse du background des personnages, ainsi que l'intelligence narrative avec laquelle celle-ci est exploitée - jusqu'à ce Cloud Strife qui relève du tour de force, de par l'habileté avec laquelle il évite l'écueil du héros amnésique, dont il conserve pourtant les principaux attraits. On saluera aussi le souffle épique de cette transposition dans un cadre fantastique plus libre, plus vaste, plus exotique, affranchi des contraintes formelles de notre réalité : rebondissements feuilletonesques, légèreté de ton, humour, apartés romanesques, petits moments de grâce ne viennent que renforcer encore la gravité des instants dramatiques... Et comment ne pas louer le coup de génie de ce prologue anxiogène en vase clôt, quand les horizons s'ouvrent après une course de moto échevelée ? Autant de qualités (et tellement plus encore !) qui sont propres à ce titre exceptionnel et sont à imputer au crédit de ses créateurs. Lesquels, non content d'offrir à la saga l'un de ses épisodes les plus flamboyants, rendent également un bel hommage vidéoludique à leur inspirateur. C'est plus que n'en a jamais fait BanDai, l'éditeur officiel de la licence, qui la cantonne depuis quinze ans aux visual novels, au Pachinko et aux jeux d'action 3D au rabais.

 

Un comble. 

 

 

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