On ne va pas vous mentir : dans la tête de François Amoretti, c'est un joyeux bazar. 

 

Qu'on se rassure toutefois, pas un bazar au sens clinique du terme, rien à exorciser, à psychanalyser ou à évacuer à coups de pilules tue-l'imaginaire, c'est même tout le contraire : de ces bouillonnements, ces effervescences, ces tornades créatives qui transportent - il y a des précédents - les pauvres filles du Kansas dans des contrées lointaines, quitte à y écraser une ou deux sorcières en chemin (dommages collatéraux), en balayant toute la morosité et la banalité du monde sur leur passage.

 

 

ça y chuchote, ça y fredonne, ça y crie, ça y rit, ça y sanglote - et tant pis pour la créativité aseptisée des majors de l'édition : il y en aura pour tous les goûts. Des pin-up aux formes affolantes, toutes griffes dehors, qui se déhanchent au rythme des coups qu'elles rendent avec les intérêts, des créatures grotesques et des monstres de cauchemar, des loubards au grand coeur avec la guitare dans la peau, des tatouages qui dansent, ou s'animent, ou respirent, des passions qui transpirent, des froufrous de soie rare, de la musique qui sonne et des sentiments qui résonnent, le tout dans un écrin d'audace et d'élégance que l'on jurerait d'un autre siècle, plus noble, plus pur et plus sensé - jusque dans son chaos, sa violence ou sa rage. 

 

 

 

 

Peut-être, d'ailleurs, êtes-vous de ces heureux élus qui connaissent déjà le bonhomme (et qui l'apprécient forcément - ce n'est pas négociable) pour ses oeuvres à contre-courant publiées chez Soleil (Gothic Lolita : Princesses d'Aujourd'hui, Alice au Pays des Merveilles, le Petit Chaperon Rouge), Ankama (Burlesque Girrrl) et Comix Buro (Sketchbook Amoretti)? !

 

Sans doute, alors, avez-vous été séduits par son sens inné du contraste à-la-mode-gravure-fin-de-siècle, la finesse organique de son encrage, son talent pictural, sa générosité d'auteur, sa sensibilité d'Humain (avec le H majuscule de rigueur) et la ferveur sincère, idéaliste, avec laquelle il s'est fait porte-parole de mouvements culturels marginaux (au sens statistique du terme) tels que le Gothic Lolita, le Burlesque ou le Rockabilly (quitte à s'y brûler les ailes, parfois, la réalité n'étant hélas pas toujours à la hauteur de sa légende).

Autant dire qu'il en a, des choses à raconter, le François. Sans doute n'aurait-il pas assez d'une vie. Alors d'un éditeur, vous pensez bien… surtout qu'on le sait bien, on ne le sait même que trop (lui le premier, et non sans déchirements), cette époque n'est pas tendre avec ceux qui ont la saine arrogance de tracer leurs propres sentiers, d'arpenter leurs propres territoires fantasmatiques. 

Tendre avec eux, le marché l'est encore moins. 

Dans un milieu plus que jamais sclérosé par le copinage et le mercantilisme - et sur lequel règnent les resucées, les adaptations de commande, les colorisations digitales à la chaîne et des scénaristes souvent indigents -, pour faire entendre sa voix et délier son trait, il n'y a pas trente six solutions : le crowdfunding et l'auto-financement sont de rigueur.

 

 

 

Voilà précisément comment, pourquoi et dans quel état d'esprit les Destructeurs ont débarqué sur Ulule, sans pertes et avec grand fracas, prêts à conquérir internet et à ravager quelques porte-monnaies électroniques - mais non sans promettre quelques alléchantes contreparties à qui osera signer leur pacte numérique (contreparties qui vont de l'ex-libris à la planche originale au format raisin).

 

La Saleté,  les Imbéciles, la Maladie et l’Etroitesse d’Esprit, ils sont tous là, sans exception, et ils sont décidés à casser la baraque, avec ou sans votre aide (seulement sachez-le bien, si vous n'êtes pas avec eux, vous êtes contre eux, ces mecs ne rigolent pas). Dans leur sillage, ils ont embarqué la sculpturale Shauna Bubblebottom, Buffy Lovecraftéenne dont les courbes affolantes n'auraient pas déparé sur le fuselage d'un Mustang P-51.

 

Au programme : tout ce qu'on aime. Du fantastique (noir), de l'humour (décalé), de l'action (dantesque), servis par une narration expérimentale tantôt intimiste - à l'européenne -, tantôt grandiloquente façon comics U.S., étirés sur rien moins que 96 pages, 100% personnelles, soignées dans leurs moindres détails et débordant d'amour pour les fables, contes et mythes auxquels elles rendent hommage. 
 

Un projet pharaonique, porté à bout de bras par un dessinateur fatigué des "oui mais" ou des compromissions, et augmenté de séances photo featuring (en anglais dans le texte, s'il vous plaît) la pin-up - on écrira "muse" ? - Nella Fragola, elles-mêmes augmentées encore de vidéoclips maison pour donner chair et os à son héroïne de papier. C'est dire s'il y croit, le François, c'est dire s'il s'investit - et c'est dire si vous devriez en faire autant.
CQFD. 

Pour peu que vous soyez amateur de belles choses (belles images, beaux livres, belles nanas, belles abominations tentaculaires), ou que vous soyez lassés des albums interchangeables au goût de réchauffé, vous seriez inspirés d'oser donner sa chance à cet ouvrage intemporel. 

Vous pourrez même y découvrir, entre les cases, une espèce en voie de disparition : un artiste en liberté.

Profitez-en.

 

Vous n'en reverrez pas de sitôt.

 

 

Diagnostic Psychiatrique : 9 weirdo / 10

 

 

 

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En savoir plus :

 

 

Les Destructeurs sur Ulule

 

Le Blog de François Amoretti

 

L'interview vérité