Il a été question, jusqu'à présent, des écrits de fiction (fanfictions en grande partie) rattachés à l'univers de Wakfu. L'étude des modes d'écriture permet de mieux cerner la gestation de ces productions. Mais qu'en est-il des contenus par rapport à la littérature ? Retrouve-t-on des genres connus des littéraires ? Des hybridations ? Des inventions ? Des pratiques textuelles renvoyant à certaines formes de création fictionnelle anciennes ?

Avant d'aborder la question des genres littéraires à travers les fanfictions de Wakfu, il semble intéressant de se pencher sur la question des anciennes formes de création de fiction. En effet, l'utilisation du texte par les fans, pour créer des fictions, ne se limite pas à la rédaction de fanfictions publiées sur Internet. On trouve également, au sein du jeu Wakfu, une utilisation importante du texte allant dans ce sens.

Petit théâtre

 

 

Il faut tout d'abord savoir qu'au sein du monde imaginaire de Wakfu, les joueurs communiquent entre eux via des bulles de texte. Ces bulles font penser aux phylactères des bandes dessinées qui expriment la parole, ou la pensée, d'un personnage précis. Ainsi, un joueur peut dialoguer avec d'autres personnages en écrivant du texte sur son clavier et lire la réponse de son interlocuteur en regardant la bulle qui lui répond. Sans rentrer dans trop de détails, on remarque qu'il existe plusieurs manières de dialoguer. Il s'agit toujours d'utiliser le texte mais ce texte peut-être partagé avec tous ou restreint à un groupe préalablement défini.

En jouant à Wakfu, j'ai pu découvrir que les fans qui écrivaient des fanfictions pouvaient également pratiquer ce que l'on nomme le « rôle-play ». Il s'agit de faire vivre son personnage en s'assimilant complètement à ce dernier le temps d'une partie. Le joueur prend la peine de construire un passé à son personnage, des traits de caractère et peut se lancer ainsi dans des événements qu'il scénarise lui-même, impliquant souvent plusieurs joueurs faisant également du rôle-play. Avant d'étudier plus en détail les pratiques littéraires anciennes que l'on peut retrouver dans cette pratique particulière du jeu de rôle en ligne, il semble important de proposer une synthèse de ce qu'est le rôle-play.

Tout d'abord, le rôle-play est une pratique possible du jeu. En effet, tous les joueurs au sein de Wakfu ne font pas de "rp" (abréviation utilisée entre initiés), certains préfèrent le "xp" (autrement dit, faire gagner à son personnage de l'expérience en menant des combats, donc augmenter le niveau son niveau d'évolution, ses statistiques, etc.). En se penchant sur la pratique du "rp", on découvre que cette pratique n'est pas que la manifestation d'une liberté absolue. En effet, une codification parfois importante structure ces échanges.

Classes de personnages dans Wakfu

 

La classe du personnage que le joueur choisit, avant de se lancer dans l'aventure, est déjà une détermination importante. En effet, chaque classe a sa psychologie et il serait incongru d'aller à l'encontre de cette base (sauf s'il s'agit de pratiquer le détournement volontaire). Par exemple, un personnage peut-être un Iop. Un Iop est un guerrier, il est réputé pour sa force, sa bravoure (son souhait le plus profond est de mourir en héros, d'entrer dans la légende pour reprendre quelques expressions de Tristepin, personnage Iop du dessin animé Wakfu), mais pas pour son intelligence. Une des moqueries récurrentes dans le dessin animé, à l'égard de Tristepin, mais que l'on retrouve également dans le jeu Wakfu (entre joueurs), est "cervelle de Iop".

Pratiquer le rôle-play, c'est se plier à des déterminations, c'est donc faire abstraction de notre monde, accepter la logique du monde imaginaire de Wakfu. En effet, si l'on pratique le rôle-play, on ne peut pas parler de bus ou de philosophie rousseauiste. Ces éléments de vie appartiennent à notre monde. Il convient donc d'être cohérent par rapport à la psychologie de notre classe, l'essence du personnage, mais également cohérent vis-à-vis de l'univers fictionnel dans lequel on évolue.

L'univers fictionnel du rôliste (celui qui pratique le rôle-play) dans Wakfu, c'est le background (l'arrière-plan, ici au sens d'histoire). Dans le cas de Wakfu, il s'agit du monde des douze. Cette contrainte veut donc dire que pour le rôliste, il faut respecter un cadre géographique (pour Wakfu, un monde partiellement englouti après le chaos de l'ogre Ogreste, ses pleurs noyèrent des terres), un cadre temporel (actuellement nous sommes en 970 dans Wakfu) et des particularités techniques et technologiques (pas de voitures, de bus mais des portails Zaap, des montures et...vos pieds).

Après ces quelques éléments, il convient de rentrer un peu plus dans le détail. J'évoquais plus haut la psychologie générale de la classe. La classe définit également des caractéristiques physiques. Par exemple, un Iop n'a pas d'iris. Il serait donc absurde, si je converse en "rp" avec un Iop, de lui dire « Regarde-moi dans les yeux ».

La pratique du "rp" se soumet donc à des contraintes variées. C'est également une pratique, fictionnelle et textuelle, qui peut s'exercer de diverses manières. Il est possible de ne faire que du "rp", certains joueurs croisés m'affirmèrent que ce personnage (ils en avaient plusieurs) était dédié au « rp ». D'autres par contre préfèrent pratiquer le "rp" de temps en temps. Pour baliser cet exercice singulier, les joueurs parlent de "séances RP". Sur Wakfu, le joueur Nalon m'avoua qu'il ne faisait pas d'xp le soir mais qu'il pratiquait le rôle-play. Il partageait ainsi son temps de jeu sur Wakfu de manière très distincte. Un temps pour se battre et un temps pour tenir un rôle et donc créer des histoires via ses actions et le texte (dialogues).

Mais comment débute un « rp » ? Il est possible de rentrer pleinement, de manière arbitraire, dans un échange. Ce fut plusieurs fois mon cas. J'observais par exemple Xremington, un joueur dont la classe est « brigand », à la taverne d'Astrub racontant des histoires sanglantes. J'ai écouté et suis intervenu à plusieurs reprises en faisant le Iop, donc la brute ("Ouais, du sang !!", "Encore de la baston").

Il est aussi possible de débuter grâce à des phrases vides de sens, qui ne servent qu'à établir une connexion, à montrer à son interlocuteur que l'on dialogue en tant que personnage et non en tant que joueur. En disant, par exemple à la taverne d'Astrub, « Bonjour, vous me servez à boire ? », l'autre joueur comprend qu'il ne s'agit pas d'un joueur ordinaire mais d'un rôliste. En tous les cas, les indices sont nombreux (vouvoiement, évocation d'une pratique virtuelle comme s'il s'agissait d'une pratique réelle, etc.). Mais où se pratique le rôle-play dans Wakfu ?

Le "rp" se pratique dans des lieux particuliers même si, au quotidien, il est possible de l'exercer où l'on veut. Bien souvent, dans Wakfu, c'est dans la taverne d'Astrub que les échangent naissent (carrefour des joueurs abonnés ou non, juste après l'initiation qui sert de tutoriel). Le fait qu'il s'agisse d'une taverne offre aux rôlistes des possibilités de mise en scène. S'asseoir sur un tabouret ou sur la table montre aux autres, sans rien dire, le caractère du personnage. Du respectueux au frondeur. Encore une fois, il s'agit d'indices pour une interprétation. Il existe des tavernes dans les autres nations mais elles sont souvent moins fréquentées.

Les caractéristiques de notre personnage, imposées par le jeu (la classe) ou par soi-même (l'histoire qu'on lui invente), guident les échanges. Par exemple, les sens physiques du personnage. Si j'incarnais un Ecoflip, j'aurais un odorat très fin. Je pourrais donc, dans certaines situations, inventer des dialogues en me basant sur cette donnée propre à ma classe et le cadre (à côté d'un Iop, je peux faire la grimace et me plaindre d'odeurs nauséabondes). Les sens psychiques correspondent eux principalement à l'histoire que j'imagine pour mon personnage. Son enfance, son passé. Si j'imagine une enfance difficile, je pourrais facilement jouer sur une émotivité forte.

Il faut noter, même si cela semble une évidence, que le "rp" doit être voulu par tous les personnages en contact. Je vis un soir une scène illustrant une rupture de ce contrat tacite. Xremington était à la taverne d'Astrub, toujours provoquant il posa son personnage sur une estrade, devant un autre joueur (Pisio) dont le personnage était une femme. La surplombant, Xremington commença à tenir un propos volontairement outrancier en demandant à Pisio s'il voulait vendre son corps contre quelques Kamas (monnaie du jeu). Pisio, au lieu de rentrer dans le jeu, en s'offusquant ou non, rompit toute volonté de rôle-play en affirmant qu'il était "un gars". Xremington jouait un rôle, Pisio refusa de rentrer dans l'échange. Il parla en tant que joueur et non en tant que personnage. Le rôle-play est une pratique fictionnelle comprenant des contraintes mais cette création de fiction au sein du jeu passe-t-elle exclusivement par le texte ?

Dans Wakfu, le "rp" peut utiliser différents canaux. A côté des dialogues écrits, et visibles via des bulles, il existe en effet des émoticônes. Ils sont nombreux et permettent, si l'on clique sur l'un d'entre eux, de faire agir notre personnage. On y trouve une matérialisation de la colère, le fait de pointer du doigt voire de lâcher une flatulence.

Voici un exemple d'une utilisation pour le rôle-play de ces émoticônes. Un soir, je découvris un joueur, Kills Heal, à la taverne d'Astrub. Ce dernier ne parlait pas mais son comportement relevait du rôle-play. En effet, son personnage lisait la gazette de Wakfu. Seulement, au lieu de laisser son personnage seul, sans mise en scène, il l'avait laissé à une table, assis sur un tabouret, un journal à la main. L'avatar reproduisait la pratique réelle du joueur, ce qui n'était pas obligatoire si Kills Heal voulait lire la gazette en tant que joueur sur son ordinateur.

D'autres outils sont proposés par les développeurs pour favoriser les rôlistes à vivre leurs histoires. Par exemple, en utilisant « ** » au début de son message, notre texte prendra la forme d'une bulle de songe.

Seulement, à côté de cela, on note l'émergence de conventions d'écriture inventées par les rôlistes. La pratique du rôle-play a entériné certains codes. Par exemple, en entourant son texte de « * », le joueur signale une action comme : *frappe le Iop*. On ne verra rien à l'écran, mais le rôliste palie l'absence de possibilités physiques offertes par les développeurs en rédigeant du texte. Certaines actions ne peuvent se faire via les émoticônes, ainsi les rôlistes rusent.

Avec une telle synthèse, on cernera plus facilement ce qu'est le rôle-play. Une question demeure : quel(s) lien(s) peut entretenir cette pratique majoritairement textuelle, cherchant à créer des fictions, avec la littérature ?

En assistant à plusieurs sessions de rôle-play, on se rend compte tout d'abord qu'il s'agit d'une pratique de groupe. Puis, d'une pratique orale, improvisée ou non, retranscrite par du texte dans le jeu. Par la volonté de fictionnaliser le propos, de créer des fictions à plusieurs en racontant des histoires ou en incarnant des histoires (personnage avec un passif imaginé), on se rend compte que le rôle-play est une pratique qui s'éloigne du simple chat (IRC : Internet Relay Chat) (1).

Chat IRC

En regardant cette pratique dans une perspective littéraire, on perçoit plusieurs analogies avec des pratiques littéraires anciennes marquées par l'oralité. En effet, la littérature n'a pas toujours été le fait de l'écrit, pas exclusivement. Même si l'écrit de fiction a connu une expansion forte grâce à la popularisation de supports (des écrits égyptiens sur ardoise ou papyrus à la massification via l'imprimé sortant des imprimeries à caractères mobiles type Gutenberg, voire aujourd'hui le numérique), il y a toujours eu en parallèle l'existence d'une littérature orale.

On constate encore aujourd'hui, par exemple, la pratique de spectacles de conteurs, pour un public d'enfants ou pour adultes. La pratique du rôle-play dans Wakfu ne fait au fond que poursuivre cette pratique orale de la littérature. Il y a une véritable filiation, consciente ou non (ce qui reste à déterminer), qui existe entre ces sessions dans le jeu et des manifestations orales de l'antiquité.

Au temps de la Grèce antique, les grandes cités organisaient de nombreux concours artistiques comme le rappelle Jean-Charles Moretti dans son livre Théâtre et société dans la Grèce antique (2).

Les rhapsodes par exemple étaient des spécialistes de la déclamation de poèmes sans accompagnement musical (3). Artisan de la déclamation, le rhapsode choisissait un poème qu'il psalmodiait en public et participait parfois à des concours artistiques (4).

Les adeptes du rôle-play dans Wakfu aiment à créer des événements (« events »). Ces évènements consistent bien souvent en une réunion de plusieurs personnes afin de créer une histoire, élaborer un concours, etc.
Pour étudier ces filiations, on se focalisera sur le forum officiel de Wakfu, ce dernier possède une rubrique nommée « Évènements entre joueurs » (5). En consultant plusieurs pages de cette rubrique, via diverses recherches par mots-clés (« poésie », « concours », « poèmes », « théâtre », etc.), on tient la preuve que les rôlistes de Wakfu réactivent plusieurs pratiques antiques de la littérature. Mais de quelles manières ?

Jean-Charles Moretti parlait de concours artistiques. On retrouve des concours du même type sur Wakfu. Un phénomène récurrent reste le concours de poésie. Certains rôlistes emploient des termes très techniques, comme « barde » (6), ou encore des références littéraires (comme Cyrano de Bergerac (7)) ce qui semble signaler une culture littéraire. Ce point sera étudié plus en profondeur dans le dernier chapitre de cette première grande partie lorsqu'il sera question de la sociologie des auteurs.

Grâce à l'existence de ce monde imaginaire qu'est Wakfu, et grâce à la marge de manœuvre allouée par les développeurs, il est tout à fait possible de créer des réunions artistiques au sein du jeu. Certains concours sont parfois le fait des développeurs. Un bon exemple ici avec le concours Une note de tendresse (8) où le but était de déclamer son amour aux membres de Clan. On observera plus en détail ces rapports entre l'officieux et l'officiel dans la dernière partie de ce mémoire. Pour le moment concentrons-nous sur les concours créés et organisés par les fans eux-mêmes. Afin de comparer intelligemment ces concours à ceux de l'Antiquité, il serait intéressant de se demander comment se déroule ce type de réunion poétique.

Le concours poétique qui se déroula en mars 2012, rapportée par Bananeblonde (9) nous renseigne sur plusieurs éléments. Tout d'abord, le concours se déroula sur une estrade à Sufokia (une des nations de Wakfu), « J'arrive sur l'estrade de l'artère sans arrêtes accompagnée par certains participants de ma réunion » écrit Bananeblonde. Dans chaque état, les développeurs ont pris la peine de proposer des estrades. On observe là une appropriation du matériel du monde imaginaire de Wakfu par les fans. Ils décident, cette fois-ci, d'en faire le lieu d'un concours poétique.

Le message, annonçant le concours, est véhiculé par des « tofus voyageur » (créature de Wakfu ressemblant à des poussins), « portant des affiches ». On apprend également que le concours se solde par une récompense en Kamas (la monnaie du jeu). Bananeblonde explique, « Un lot de 30 Kamas sera donner au vainqueur, un Lot de 10 Kamas au second et 5 kamas au troisième...Plus ! Une bourse de 5 Kamas pur un prix...Spécial ! ».

Le déroulement du concours fut particulièrement simple. Les participants, une dizaine, passèrent les uns à la suite des autres sur l'estrade pour déclamer leur poème. Le jury, dont le gouverneur de l'Etat organisant ce concours, décerna les prix. Les poèmes sont retranscrits dans le sujet dédié à ce concours sur le forum officiel de Wakfu. On trouve également dans le sujet la liste des participants.

Une limite est à relever, celle de l'accord de tous les participants. En effet, comme ce genre de concours est organisé par quelques-uns, qui attendent la participation, et la bonne volonté, d'autres joueurs, rien n'empêche l'intrusion de joueurs refusant de « faire semblant ». Bananeblonde rapporte ainsi « dommage que certain ne cherche pas à jouer le jeu ». A côté de ces ruptures de contrat, en se basant sur cet exemple, et après avoir expliqué les concours artistiques de l'Antiquité, quelles analogies relève-t-on entre ces deux pratiques ?

Tout d'abord, l'organisation de l'événement est rattachée à un lieu précis. Ici, une estrade. En parcourant plusieurs sujets relatifs à des concours poétiques du même type, j'ai pu constaté que les joueurs privilégiaient souvent le havresac. Il s'agit là d'un sac magique que possède chaque joueur. Il est possible de rentrer dedans et d'aménager son espace comme une maison (qui grandit avec l'expérience du personnage). Le fait que ce lieu soit privé, et ressemble à une maison, est propice au calme et à la création de café-théâtre (10). Je n'ai par contre pas relevé l'existence de théâtres comme durant l'Antiquité, au mieux des havresacs aménagés comme des tavernes (11).

On trouve également, comme au temps de la Grèce antique, l'existence de prix en or. Chaque concours trouvé sur le forum officiel de Wakfu proposait comme récompenses des lots plus ou moins conséquents d'argent. Néanmoins, malgré ces analogies, on ne retrouve pas la richesse des concours artistiques de l'Antiquité dans ces initiatives au sein de Wakfu.

Par exemple, on ne retrouve pas d'utilisation d'instruments comme la cithare, de costumes (masques, vêtements), de mécènes type chorège ou agonothète, etc. Il est possible que ces absences tiennent aux limitations techniques. Les joueurs pratiquent le rôle-play avec les outils fournis par les développeurs. Même s'il est possible d'en détourner certains, de se les approprier comme les estrades, très rapidement les joueurs vont buter sur les limites des matériaux disponibles. De ce fait, un concours artistique prendra le plus souvent la forme d'une réunion entre personnages parlant chacun leur tour dans un lieu précis (souvent isolé, pour le calme, tel un havresac aménagé). Mais les joueurs utilisent-ils forcément toutes les possibilités offertes, déjà, par les développeurs ?

Il semble difficile d'être tout à fait affirmatif, d'annoncer que les rôlistes utilisent tous les moyens possibles et réclament toujours plus de facilités. Par exemple, le jeu permet de faire agir de différentes manières son personnage, via les émoticônes évoquées plus haut. Il est possible, si encore on possède ces actions, de faire chanter pendant quelques secondes notre personnage, ou de lui faire jouer de la guitare. Alors que les développeurs proposent de telles opportunités, je n'ai pas assisté, ni lu dans un compte-rendu, à l'utilisation de ces actions prédéfinies dans le cadre d'un concours de poésie. Ce qui contribue à simplifier les concours poétiques par rapport aux concours ou pratiques fictionnelles du passé, comme par exemple les troubadours du Moyen Age utilisant des instruments (12). A noter tout de même, pour les émoticônes, que des discussions peuvent naître sur le sujet, voire des demandes (13), malheureusement ce phénomène reste marginal.

En se référant au travail de Jean-Charles Moretti, on peut dire que les concours poétiques organisés dans Wakfu sont surtout d'ordre chrèmatique (non sacrées, avec récompenses numéraires) et les participants s'apparentent essentiellement à des rhapsodes (déclamation d'un texte sans accompagnement musical).

Plan d'un théâtre type de la Grèce antique

Comme ces concours se restreignent le plus souvent à la déclamation d'un texte, il n'est pas rare de voir également naître ce genre d'initiatives sur le forum de Wakfu. Certains sujets sont spécialement créés pour cela, il ne s'agit plus de compte-rendu d'un événement qui se déroula dans le jeu mais d'un événement imaginé spécialement pour le forum (14).

Même si l'on ne retrouve pas la complexité des concours artistiques de l'Antiquité, il n'empêche que les rôlistes de Wakfu tentent plusieurs projets consistant à réactiver d'anciennes pratiques littéraires. A côté des poésies mentionnées plus haut, on observe également des concours d'écriture de contes (15) qui se déroulent essentiellement sur le forum. Malgré une recherche approfondie par mots-clés dans les événements entre joueurs sur le site de Wakfu, je n'ai pas relevé de session de rôle-play s'apparentant à une veillée de contes dans le jeu.

Ces concours de contes ressemblent surtout à des concours d'écriture classique. Il s'agit de proposer son texte, souvent avec un nombre de signes déterminé, sur un thème précis, et d'attendre le jugement du jury qui décidera des vainqueurs et des récompenses.

Enfin, on relève également une autre pratique artistique ancienne dans ces événements de rôle-play dans le jeu : le théâtre de rue. Sur le forum, certains rôlistes cherchent à engager des volontaires pour créer des pièces de théâtre (16). Ce théâtre peut-être improvisé et fait parfois l'objet de captations vidéos (17).

Les rôlistes peuvent choisir de se cacher des autres pour créer leur propre histoire, qui sera montée par la suite et postée sur Internet. Mais le rôle-play théâtral peut également prendre la forme d'une improvisation collective.

En se baladant dans les tavernes des différents lieux de Wakfu, il n'est pas rare de rencontrer des personnes pratiquant du rôle-play au regard de tous. J'ai personnellement assisté à plusieurs reprises à des échanges, souvent dramatiques (il était le plus souvent question de troubles amoureux), entre personnages à la taverne d'Astrub.

Bien souvent, les autres joueurs se posent à côté des rôlistes, les regardent, voire interviennent à certains moments (de façon délicate ou non). C'est ainsi que cette pratique fictionnelle peut émerger un peu partout dans le monde de Wakfu. Il suffit que deux rôlistes qui se connaissent se rencontrent pour que naissent un échange théâtral improvisé.

Ainsi, on observe une plus grande flexibilité dans cette reprise de pratiques artistiques anciennes. Là où l'Antiquité gagnait en complexité, avec des costumes, des décors, des concours de différents types (sacrés ou non), le monde imaginaire de Wakfu gagne en spontanéité.

Il n'est plus question de mécénat, de lieux spécifiques (même s'ils peuvent exister de manière temporaire), mais plus d'un état d'esprit qui peut éclore un peu partout. Au fil des rencontres, les rôlistes, ces amoureux du verbe et de la fiction, peuvent créer des histoires en échangeant entre eux. La part d'improvisation est difficile à cerner tant ces personnes peuvent se retrouver ailleurs (sur le forum, dans la vraie vie) et élaborer des embryons d'intrigue.

Il n'en demeure pas moins, que cette spontanéité est constatée et peut-être éprouvée à tout moment, à toute échelle. J'ai moi-même joué le jeu à plusieurs reprises. Me baladant dans la taverne d'Amkana ou d'Astrub, j'ai à plusieurs moments joué un rôle, celui d'une brute épaisse, afin d'enrôler d'autres amateurs de théâtre improvisé. Cette invitation fut le plus souvent bien reçue et entraina quelques joutes verbales, voire quelques veillées (de contes, de poèmes). La seule restriction à cette spontanéité reste l'accord des autres, l'acceptation de jouer un rôle un temps donné.

A côté de ces pratiques littéraires anciennes, et après avoir étudié le processus d'écriture des fictions, qu'en est-il du contenu de ces écrits fictionnels au regard de l'héritage littéraire ? Les fictions, fanfictions ou autres écrits fictionnels, de Wakfu s'appuient-elles sur des genres littéraires établis ? Partent-elles du legs de certains courants littéraires ?


(1) C'est l'informaticien Jarko Oikarinen qui décrira en premier le principe même du chat sur Internet, échanges textuels : https://tools.ietf.org/html/rfc1459, page consultée le 20/01/2013

(2) « Les Grecs distinguaient deux types de concours. Les uns, qualifiés de sacrés offraient comme principale récompense aux vainqueurs des couronnes de feuillage, d'où leur nom de « stéphanites », stéphanos désignant, en grec ancien, la couronne. Les autres mettaient en jeu des objets de valeur ou des espèces numéraires ; ils étaient dits « chrèmatiques », « chrèmatiques », « thématiques » ou « thématites », adjectifs dérivés de deux termes désignant des sommes d'argent. », p.41, Moretti, Jean-Charles, Théâtre et société dans la Grèce antique, Paris, Livre de poche, LGF, 321 p.

(3) « Les rhapsodes étaient spécialisés dans la déclamation de poèmes sans accompagnement musical. Ion d'Ephèse, l'un des plus illustres représentants de la profession à l'époque classique, limitait son répertoire aux poèmes homériques. », p.31, Moretti, Jean-Charles, Théâtre et société dans la Grèce antique, Paris, Livre de poche, LGF, 321 p.

(4) « Dans les concours chaque rhapsode devait choisir dans un poème, un passage de quelques centaines de vers ayant une unité thématique. Tout son art consistait à l'apprendre par cœur et à le psalmodier devant un publier qui en connaissait souvent le texte. », p.31, Moretti, Jean-Charles, Théâtre et société dans la Grèce antique, Paris, Livre de poche, LGF, 321 p.

(5) https://www.wakfu.com/fr/forum/64-evenements-joueurs, page consultée le 15/01/2013

(6) https://www.wakfu.com/fr/forum/64-evenements-joueurs/220878-sufokia-concour-poemes, page consultée le 15/01/2013

(7) https://www.wakfu.com/fr/forum/64-evenements-joueurs/227224-hrp-duel-rime-rixme, page consultée le 15/01/2013

(8) Le texte d'introduction explique : « Sortez vos plus belles plumes, les plus émouvants, drôles ou charmeurs d'entre vous pourraient se voir récompensés de leur dévotion », https://www.wakfu.com/fr/mmorpg/communaute/news/272649-concours-note-tendresse, page consultée le 12/01/2012

(9) https://www.wakfu.com/fr/forum/64-evenements-joueurs/220878-sufokia-concour-poemes, page consultée le 15/01/2013

(10) L'Auberge du Moskito est un bon exemple d'un lieu créé spécifiquement pour le rôle-play, ici axé sur le théâtre. Néanmoins, cette création tient plus du fourre-tout que du théâtre antique avec ces codes et sa complexité : https://www.wakfu.com/fr/forum/64-evenements-joueurs/31676-auberge-moskito

(11) Ici le havre-sac taverne sur Emelka, https://www.wakfu.com/fr/forum/64-evenements-joueurs/57353-havre-sac-taverne-emelka, ou la taverne du Dragon Chantant : https://www.wakfu.com/fr/forum/137-histoires-jeu-role/87903-taverne-dragon-chantant

(12) Lire à ce sujet l'étude d'Henri-Irénée Marrou pour une première approche des troubadours, Les Troubadours, Paris, Seuil, 187 p.

(13)  www.wakfu.com/fr/forum/69-autres/35395-nouveau-systeme-emotes, page consultée le 15/01/2013

(14) https://www.wakfu.com/fr/forum/137-auberge-bouftou-croustillant/219998-aggro-poemes-betises, page consultée le 15/01/2013

(15) Le texte introductif est particulièrement clair, il s'agit d'écrire des « conte(s) pour enfants », https://www.wakfu.com/fr/forum/64-evenements-joueurs/231526-event-sufokia-raconte-histoire`, page consultée le 15/01/2013

(16) https://www.wakfu.com/fr/forum/64-evenements-joueurs/96598-bonta-inscriptions-pieces-theatre, page consultée le 15/01/2013

(17) Quelques exemples : https://www.youtube.com/watch?v=q3_YzqOlMBI, https://www.youtube.com/watch?v=hMEEDXuif74&feature=relmfu, https://www.youtube.com/watch?v=2dQMK8imSYM&feature=relmfu, pages consultées le 15/01/2013

 

Lien d'origine : https://levelfive.fr/index.php?option=com_content&view=article&id=256:reflexions-journal-dun-memoire-pratiques-litteraires-le-role-play-et-les-formes-anciennes-de-fictionnalisation&catid=35:reflexions&Itemid=29

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