Lors de la Gamescon 2012 (1), David Cage a livré, une nouvelle fois, une critique de l'industrie du jeu vidéo. Selon lui, la production vidéoludique actuelle est trop immature car centrée sur la violence, réfractaire à aborder des sujets matures et pudibonde sur la question du sexe. C'est le dernier aspect de cette critique, je ne reprends ici que les grands éléments récurrents des propos de Cage, qui sera analysé dans ce billet. Pour cela, le jeu Yesterday de Pendulo Studio sera étudié en parallèle des productions du créateur français. En effet, tous ces jeux abordent la question de la sexualité mais de manière différente. Une occasion de tester cette maturité qui semble faire défaut à la production du moment. Dans les jeux de David Cage et dans ceux d'autres créateurs.

Nomad Soul (PC)

 

 

La sexualité visuelle de Cage

David Cage a proposé à plusieurs reprises, dans tous ses jeux, un traitement de la sexualité. Cage a raison en parlant d'une relative absence du sujet dans les productions vidéoludiques. Il est rare de montrer une scène de sexe, ou d'en parler, dans des productions AAA, grand public. En effet, il en va tout autrement dans les jeux érotiques, ou pornographiques, nippons comme The Street of violence (véritable mise en scène d'un viol). Il s'agit là d'un marché de niche misant tout sur ces fameuses scènes. Il ne s'agit plus d'inclure dans un ensemble une prestation sexuelle mais de tisser un jeu, une histoire, autour de la relation.

Dès Nomad Soul (3), David Cage propose la possibilité, et non l'obligation, d'une scène de sexe. Le héros, Kay'l, a la possibilité, dans son appartement, de coucher avec une jeune femme brune. La scène est cinématique et est finalement très elliptique. En choisissant de s'allonger sur le lit, le joueur déclenche la scène qui montre la compagne du héros se mettant à califourchon sur Kay'l, lui allongé sur le dos. Un fondu au noir arrive et il ne s'agit plus ensuite que d'un cauchemar. La scène reste très prude et finalement très proche de la pudibonderie hollywoodienne. On est en droit de se poser en quoi une ellipse et le fait qu'une jeune femme chevauche, habillée, le héros est mature ?

Dans Fahrenheit, jeu suivant, David Cage re-propose des scènes de sexe. La scène finale, entre Lukas (le héros traqué) et la jeune policière hispanique qui le pourchasse durant tout le jeu est à nouveau une scène cinématique. On évacue encore toute la question du gameplay pour ne reproduire d'un gimmick de film. Plus explicite que dans Nomad Soul, il n'y a plus de fondu au noir mais une caméra qui tournoie autour du couple en action, les deux protagonistes s'étreignent dans un train désaffecté, nus. L'évolution, par rapport au jeu précédent, repose sur le fait de montrer plus crument l'acte.

Fahrenheit (PC)

Une autre scène de sexe (4) existe dans Fahrenheit, dans l'appartement de Lukas. Celle-ci est non obligatoire, contrairement à celle mentionnée ci-dessus. Pour le coup, un gameplay est visible. Il s'agit de tourner les joysticks de la manette vers le haut, le plus souvent, pour simuler un coït (style position du missionnaire). A part le gameplay, qui s'ajoute, la scène est finalement très proche (hormis les positions) de la première évoquée plus haut. David Cage montre mais ne fait au fond que montrer avec la certitude d'obtenir ses gallons de jeu mature.

Heavy Rain exploite lui aussi le filon des scènes de sexe. Contrairement à Fahrenheit, qui usait de la cinématique et de la scène active, toutes les parties sexuelles du jeu sont liées à un gameplay. Le joueur va devoir bouger la manette vers le haut, le bas, enfoncer des boutons...autant de symbolisations de l'acte sexuel.

Heavy Rain (PS3)

Que constate-t-on ? Cage dit qu'il s'agit de montrer, pour Heavy Rain (mais ce qui vaut aussi pour ses autres productions) "ce que font des adultes quand ils tombent amoureux" (5). Certes. Mais au final, le sexe n'est que visuel dans les productions de Cage. Il est la conclusion physique d'une relation amoureuse. Le fait de montrer, et seulement de montrer, une scène de sexe dans un jeu vidéo suffit à en faire un jeu mature ? On serait tenté de dire que tout cela est assez léger. Qu'en essayant de gratter le corps nu, d'aller au-delà, on ne trouve finalement rien. Pas l'ombre d'une réflexion, d'un discours critique, ni même d'une mise en scène qui jouerait plus sur la psychologie ou la narration que l'esthétique un brin racoleuse.

Dans un tout récent reboot de la série Catwoman, Catwoman 1 : La règle du jeu, publié en France chez Urban Comics, on peut découvrir une scène de sexe entre Batman et Catwoman. Une scène intelligemment faite car elle reflète à merveille les caractères des personnages comme la violence contenu de Batman (Un héros finalement malade sous l'image du justicier). Chez Cage, on ne fait que montrer des corps qui s'enlacent, se pénètrent mais sans recherche esthétique, sans discours réellement intéressant. C'est un peu une coquille vide qui prend des airs de gimmick obligatoire comme dans les films d'action américains d'une certaine époque où l'on attendait "la scène de cul". Regardons du côté de Yesterday, jeu de point and click, pour découvrir une autre approche de la sexualité.

Catwoman 1 : La Règle du jeu (Urban Comics)

Yesterday ou le réalisme du quotidien

Le dernier jeu d'aventure de Pendulo Studio, Yesterday, joue la carte du policier sombre là où les précédents jeux étaient plus dans une veine cartoon. Dans la peau d'un amnésique, le joueur va diriger le personnage en quête de sa mémoire perdue. En retournant sur les lieux de son passé, afin de se rappeler de quelques éléments par des réminiscences liés à des objets, notre héros se rend à Paris près de la cathédrale Notre-Dames.

Après un brin d'investigation, notre personnage se retrouve dans une boutique d'antiquités. Là-bas, il découvre une vendeuse qui lui est étrangement familière. A peine la bouche ouverte, la jeune femme le gifle. La claque étant un bon stimulant, notre héros se remémore la courte relation, dont sexuelle, qu'il eut avec cette vendeuse.

Lors du flash-back, prenant la forme d'un dialogue à réponses multiples, on découvre notre héros et la jeune femme dans un lit, le drap remonté jusqu'à la poitrine. Notre personnage interroge sa partenaire en lui demandant si la prestation avait été si mauvaise que cela. Il faut dire que le visage de la jeune femme n'est pas très souriant. La femme lui répond que ce n'était pas si mal mais qu'il ne fallait pas qu'il compte sur elle pour lui flatter sur orgueil de mâle. La conversation se poursuit, la jeune femme se raconte. On découvre une femme brisée, probablement par un passé conjugal difficile.

Yesterday (Pendulo Studio)

En quoi cette courte scène est d'une grande maturité ? Tout d'abord, dans le simple fait que la sexualité n'est pas triomphante. Chez Cage, chaque relation est triomphante. Le coït est merveilleux, chez les deux partenaires, tout est propre, bien réglé. Pendulo ne tombe pas dans cet exercice de style très raffiné, quasiment maniéré. Pourtant, il ne s'agit pas de faire le portrait d'un perdant absolu mais simplement de dresser un tableau possible du quotidien. La panne, le fonctionnement en demi-teinte. En effet, la sexualité n'est pas toujours glorieuse, souriante...pas tout le temps. Pendulo studio a l'intelligence de ne pas montrer le contact physique de la relation sexuelle. Les développeurs préfèrent s'attarder sur l'aspect psychologique, sur le quotidien et les conséquences du sexe dans une relation de couple. Toutes ces interrogations qui concernent tout un chacun, et qui sont soigneusement évitées dans les productions de Cage, apparaissent rapidement dans ce jeu d'aventure.

 

Conclusion

Là où David Cage ne fait que montrer une sexualité très graphique, à la manière d'un film hollywoodien très léché (lumière brillante, beaux cadres, etc.), Yesterday ne montre pas mais imagine une situation plus mature, plus réaliste également. Il ne s'agit pas d'un coït monstre, d'une grande effusion, mais d'une scène de sexe finalement plus sobre, amenant son lot de questions, de doutes et de douleurs. Le fait de montrer n'est pas un gage de maturité. Ou plutôt, il n'y a là qu'une maturité d'apparence puisque l'on montre ce que l'on ne montre pas toujours, ou si peu. Le fait de mettre en scène dans une perspective réaliste une scène de sexe, de dépasser une esthétique un peu racoleuse et vide de sens, comme le fait Pendulo, est d'une grande maturité. Le plus important, ce n'est pas forcément de montrer, mais d'interroger, de présenter le sexe dans son quotidien avec les quelques ratés qui peuvent intervenir. Le sexe n'est plus l'objet d'un buzz mais bien la partie intégrante d'un récit, une facette explicative d'une relation entre un homme et une femme.

 

Sources :

1 - David Cage : L'industrie du jeu vidéo souffre du syndrome de "Peter Pan" (PS3Gen)

2 - David Cage : Le jeu vidéo trop "focalise sur la violence" (Gameblog)

3 - Safe sexe (Nomad Soul) (Gamekult)

4 - Fahrenheit et du sexe ?! (Dailymotion)

5 - Les scènes de sexe dans Heavy Rain : une attitude normale (Heavyrain.over-blog.com)

 

L'article d'origine : https://levelfive.fr/index.php?option=com_content&view=article&id=242:reflexions-sexualite-dans-le-jeu-video-lexemple-de-david-cage-et-pendulo-studio&catid=35:reflexions&Itemid=29

Suivez-nous sur Twitter : https://twitter.com/#!/alfouxlf

Rejoignez-nous sur Facebook : https://www.facebook.com/pages/Levelfivefr-Chroniques-vid%C3%A9oludiques/121393444645752