Avec l'arrivée de la Wii sur le marché, Nintendo nous vantait l'excellence de son produit en matière d'immersion. Il ne fallait plus utiliser un pad pour jouer, incontournable médiateur dans le domaine des jeux vidéo depuis les débuts, mais une sorte de télécommande au doux nom de wiimote. Alors, le geste ou le bouton ? Qu'en est-il en réalité de cette fameuse promesse ?


 

I) Mettre un terme à une codification trop complexe


 

Ce bras est censé être la parfaite reproduction du mien

La Wii débarque en 2006 et l'on voit fleurir, un peu partout, des campagnes de publicité jouant la carte de l'originalité. Fini les sempiternelles communications autour de la puissance technique de la machine ou l'étalage, tel une couteau-suisse multi-tâche, des nombreuses fonctions de la console. On parle désormais du contrôleur, rien que du contrôleur. En Angleterre, un magasin spécialisé dans la vente de jeux vidéo accrochera à ses rayonnages un écriteau portant l'inscription : « Pourquoi appuyer sur un bouton quand on peut faire le geste ? » (citation de mémoire).

Tout est dit, Nintendo propose une rupture radicale avec la codification développée par les jeux vidéo jusqu'à alors. Une codification qui a évolué, s'est améliorée au fil des générations. Des deux boutons circulaires du pad de la NES, on en arrive aujourd'hui à une manette bourrée de protubérances de tous types.

Seulement, ces codes ne font pas qu'augmenter au fur et à mesure qu'on ajoute des boutons. Plus ou moins tacitement, un sens commun vient se greffer à ces éléments d'interaction. Le bouton du bas, dans la composition en losange, est le plus souvent utilisé pour les attaques rapides dans les jeux d'action/aventure, etc.


 

La codification avec laquelle Nintendo veut rompre

Avec sa wiimote, Nintendo veut donc faire table rase de tout cela pour apporter un peu de simplicité à cette codification se complexifiant et surtout une immersion plus forte. Ce qui nous intéresse ici, c'est la deuxième partie de cette assertion. En effet, en quoi la wiimote renforce-t-elle cette sacro-sainte recherche de l'immersion ? L'immersion est comprise ici comme la recherche du mimétisme parfait entre le geste et la reproduction virtuelle sur l'écran.

En tentant de mimer, avec plus ou moins de réussite du fait des limitations technologiques du contrôleur, les gestes du joueur, Nintendo change le rapport du gamer à son avatar virtuel. Il ne s'agit plus d'avoir une relation indirecte comme avec un pad (un bouton renvoie à une action qui est retranscrite au personnage, on passe par un intermédiaire matériel : le bouton), mais une certaine continuité voire adéquation entre le réel et le virtuel. Le geste réel et le geste virtuel de l'écran.

Doit-on nécessairement mettre en place un rapport fusionnel au personnage pour ressentir une immersion pleine et entière ? Pas forcément. Avant l'avènement des jeux vidéo, les différents arts utilisaient d'autres procédés que le mimétisme absolu pour que le spectateur se sente impliqué par le spectacle auquel il assistait.

II) Les autres arts ou l'absence d'interaction

Molière

Dans le cas du théâtre, en particulier lors du 17ème siècle, siècle des règles par excellence (la Poétique d'Aristote est une référence majeure), des auteurs comme Molière ou Racine proposèrent un spectacle immersif. Molière réussissait à capter son assistance jusqu'à ce qu'elle soit totalement absorbée par des aventures pourtant factices et totalement étrangères. La figure de l'avare dans la pièce du même nom touche le spectateur, intellectuellement et émotionnellement, grâce à sa peinture morale. Jean-Baptiste Poquelin l'affirmait, sa comédie a pour vocation d'éduquer par le rire. Pour éduquer, il faut que le spectateur ait de la sympathie pour le personnage, que ces êtres lui parlent. Du fait des points communs entre les personnages et l'assistance, le spectateur passif devient l'acteur de sa propre introspection.

Pour rester dans le cadre du théâtre, et du 17ème siècle, un auteur comme Jean Racine arriva à la même finalité que Molière mais avec des procédés différents. Au lieu d'utiliser des ressorts comiques, le dramaturge mit en avant des personnages parfois très stéréotypés mais, malgré des conditions sociales bien précises (des reines, des rois), qui émurent le public. L'émotion n'étant que la conséquence d'une immersion du spectateur dans une histoire fictive.


Avec le cinéma, on retrouve également cette recherche d'immersion par des moyens parfois communs avec le théâtre. L'essentiel étant que l'immersion soit là, sans pour autant que l'interaction intervienne. Il n'y a pas de statut plus passif que dans les deux domaines cités ci-dessus. On s'assoit dans son siège et on assiste à un spectacle sans que l'on puisse intervenir d'une quelconque façon que ce soit (sauf quelques exceptions qui demeurent marginales).

Le premier constat de ce pas de côté est donc que l'on peut très bien créer une immersion totale du spectateur avec un univers factice sans avoir recours à une interaction quelconque, avec ou sans intermédiaire. Oui mais voilà, on parle bien des jeux vidéo ici et le jeu vidéo en tant que média se singularise par l'interaction.

III) Un ajout, pas une révolution

Au lieu d'une simplicité d'utilisation, il faut apprendre de nouveaux codes.

On est en droit de se demander, après quelques années, décennies même, d'application d'une codification évolutive si cette brèche ouverte par Nintendo est au final une aubaine. Premier souci, avec une telle rupture il y a tout un ré-apprentissage qui est nécessaire. Après des années d'assimilation, ces codes devenus parfois innés pour le pratiquant sont  désormais obsolètes ou presque.

Autre souci, on passe rapidement dessus car comme j'ai pu le dire plus haut là n'est pas l'intérêt de l'article, la wiimote propose des limitations techniques tellement importantes que la fluidité prétendue n'est au fond qu'un motif supplémentaire de gêne. Le Wii Motion Plus a amélioré la technique sans arriver à un stade ultime de fonctionnement.

Enfin dernier problème, celui de la pertinence. Est-ce vraiment pertinent de faire le geste d'une lame qui s'abat verticalement plutôt que d'appuyer sur un bouton pour déclencher l'attaque ? D'un côté, la pression sur le bouton est moins fatigante, de l'autre le geste n'est pas plus immersif. Au contraire, comme le joueur doit parfois s'appliquer à faire le « bon » geste, il réfléchit plus au comment de son geste qu'au geste lui-même en tant que réaction spontanée et naturelle. La pratique est donc boursouflée d'une pénible réflexion qui ne cesse de sortir le joueur de l'univers fictif dans lequel il essaie de se plonger.

Spy Kids 3

Nintendo voulait avec la Wii rendre réel un vieux fantasme gravitant autour des jeux vidéo : la fusion du réel et du virtuel. La dissolution même du joueur dans le jeu. Des films comme Tron, Spy Kids 3 ou encore Existenz mettent en scène ce principe.

Le fantasme présumé du joueur, c'est être dans le jeu. D'être le personnage qui vit dans le jeu, avoir ses capacités, déambuler dans des univers virtuels mais réalistes au niveau des sens. Il s'agit certes d'un fantasme mais est-ce que dans le domaine des contrôleurs des consoles cette option reste pertinente. Je veux dire, au-delà de la faisabilité qui n'est pas encore atteinte actuellement (avec la Wii ou le Kinect de Microsoft), dans l'absolu est-ce une idée ludiquement et artistiquement intéressante ?

Avec sa wiimote, Nintendo ne fait qu'expliciter avec lourdeur le rapport entre le joueur et le monde virtuel. Un peu comme un reportage vidéo montrant à chaque fois l'objet évoqué par la voix off.

IV) Conclusion

Le concept de la wiimote n'est pourtant pas à blâmer. Avec une utilisation sporadique, le contrôleur de la Wii devient même plaisant voire apporte un vrai plus à l'immersion. Preuve en est le jeu Silent Hill : Shattered Memories. Gérer la lampe torche à la wiimote rend plus concret la fragilité d'un tel acte d'autant que la technique se montre à la hauteur de l'ambition. Le fait de tenir à bout de bras la wiimote, comme on tiendrait une telle lampe, joue certes la carte du mimétisme mais avec tout de même un objectif de tension bien rendu par l'inconfort même du geste. Un tel inconfort serait bien moindre si le joueur n'avait qu'à manipuler un joystick.

Silent Hill : Shattered Memories

Pourtant, en aucun cas ce principe seul ne parvient à créer l'immersion, il y contribue. Il s'ajoute à d'autres éléments pour tisser un réseau efficace conduisant le joueur à s'intéresser à l'histoire et à être pris par elle. La psychologie des personnages, la cohérence et l'efficacité rythmique d'une histoire, l'émotivité qui ressort des thèmes musicaux, certaines formes textuelles reprises telles quelles dans le jeu (lettres, notes, etc.), tous ces éléments et bien d'autres contribuent à rendre un univers fictif dans lequel le joueur déambulera prenant voire émouvant. La wiimote est une petite pierre à l'édifice lorsqu'elle est intelligemment exploitée par les développeurs mais ne se suffit pas. Le jeu vidéo est une œuvre de synthèse empruntant des procédés à d'autres arts et dont la spécificité est de conjuguer ces techniques en les liant de manière ludique. Ne jamais l'oublier.

L'article d'origine : https://levelfive.fr/index.php?option=com_content&view=article&id=197:reflexions-la-wii-et-limmersion&catid=35:reflexions&Itemid=29

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