C'est dans une de ces fulgurances approximatives qui sont le propre des esprits brouillons et exaltés comme le mien que m'est venue cette révélation qui pourra surprendre : Mélenchon est un peu à la scène politique actuelle ce qu'est GTA IV au jeu vidéo grand public et Stupeflip en musique. Bien sûr le parallèle n'a rien de rigoureux, mais alors rien du tout (quelle idée de comparer un homme politique, un jeu et un groupe musical ?) mais il est sérieux puisqu'il naît d'un sentiment.

Quand la brutalité est à la fois un appât et un paravent pour les cœurs pudiques...

 

 

Le charme superficiel mais efficace du pain dans la gueule

Tout d'abord nous avons l'image médiatique, celle d'une agressivité mêlée de gouaille. Mélenchon tonne, Mélenchon porte des charges médiatiques brutales à ses adversaires, qu'ils soient politiques ou simples citoyens (brutalité parfois mêlée de bonhomie, comme lorsqu'il annonce qu'il « prend tout » passé un certain seuil d'imposition). C'est probablement l'un des candidats de la présidentielle les plus vindicatifs. Certains se complairont à confondre agressivité et haine, dressant un parallèle foireux mais vieux comme le monde entre les extrêmes des deux bords. Les extrêmes communiquent, certes, mais tout communique.

Armures, armes et drapeaux : Stupeflip part à l'assaut !

Stupeflip offre lui une vaste gamme d'agressions verbales dans ses chansons, au point qu'on a l'embarras du choix (« Pas d'affinités avec ces porcs, qui ne sont pas d'mon bord » ou « continue à faire chier et tu finiras au CHU » dans « La menuiserie »). Le célèbre « Stupeflip vite » est une sorte d'hymne guerrier où les consonances même suggèrent une constante agressivité. Des chansons telles que « Krou Kontre Attakk » ou « Hater's killah » s'adressent eux directement à leurs détracteurs, comme un besoin jusqu'au-boutiste de s'affronter à défaut de se comprendre.

De son côté GTA appâte le joueur avec une intrigue portée par des rebondissements nés d'un monde brutal, par une façon de pratiquer la violence en toute complaisance (on peut conduire prudemment dans GTA, veiller à ne bousculer personne par défi mais l'essence du jeu pousse clairement à faire le contraire). Mélenchon se veut le porte-voix de la colère du peuple, GTA IV met le joueur dans la peau d'un sous-plébéien (immigré de surcroît) prêt à en découdre pour arracher sa part de rêve américain. Rien de politique en apparence dans la trajectoire de Niko Bellic qui est celle désespérée d'un individualiste (par obligation, puisqu'il est étranger et déboule dans un cadre dont il ne maîtrise guère les codes : accent typé, vêtements, apparence cabossée), mais le goût politique de la justice part de cette source : une forme de misère, celle du type tout en bas de l'échelle qui veut sa part du gateau. Stupeflip se veut un groupe hors-système (ce qui n'exclut aucunement l'envie d'en faire partie, comme ils admettent volontiers), et ne nombreuses paroles sont autant des témoignages de simples travailleurs de bas étage qui mesurent l'ingratitude de leur situation (« A bas la hiérarchie », « Le CROU » : « Y avait personne pour me faire chier pour me dire fais ça, quelqu'un qui m'explique comment qu'elle marche la photocopieuse »).

Voilà pour la surface, et pour le volet séducteur : la société médiatique fait son beurre de la violence et des auras négatives : les mots des politiques qui font le buzz sont des mots hostiles, les attaques personnelles parfois amusantes mais qui ont toujours une vocation pénalisante et destructrice ("Le capitaine de pédalo").

« Tot tot tot ! Tu fermes ta petite bouche ! »

Jean-Luc Mélenchon doit en partie son émergence médiatique récente à la réponse agressive faite à un étudiant en journalisme. Une réponse dont la forme peut choquer mais dont le fond a probablement sa pertinence - pour peu qu'on s'intéresse au fond - puisqu'il écarte une discussion qu'il juge être un écran de fumée médiatique (les maisons closes) détournant le regard des citoyens de problématiques plus prioritaires. Évidemment la buzzosphère ne retiendra que l'aspect cavalier de l'intervention et pas le fond du propos. Mais Mélenchon a gagné l'attention, en utilisant les armes du monde dans lequel il vit...

La belle carrosserie de GTA : du feu, des armes, une bonne gueule de voyou

De même l'un des axes de traitement privilégié du jeu vidéo dans les médias mainstream est la violence (si on excepte le petit carré concédé aux chroniques spécialisées, par exemple sous forme de blogs, comme au Monde). Faites un jeu infâme mais ordurier ou ultra violent : il y aura plus de chances de faire le buzz auprès du grand public qu'un excellent jeu... Un peu comme une sortie de Nadine Morano sur les "jeunes à casquette" ou une interview "chaude" de Marine Le Pen sera complaisamment reprise par ces multiples vecteurs de médiocrité enchevêtrés avec les médias que sont les sous médias du genre du Post (et autres déchets "participatifs" du même tonneau). Il faut jouer le jeu médiatique, faire parler. GTA San Andreas l'a joué avec la provocation convenue du mode hot coffee, Très probablement en connaissance de cause, prévoyant comme suite du scandale les retombées malgré tout positives en termes médiatiques. Il faut se traîner un peu dans la boue pour être remarqué et se faire entendre, Mélenchon va dans Gala, Stupeflip chez Cauet (il y a longtemps certes, de toute façon tout leur est pardonné).

Tout ça pour dire "je t'aime" ?

Jusqu'ici rien de vraiment remarquable. Mais c'est en fouillant un peu dans les entrailles des monstres sanguinaires politiques ou virtuels que celui qui cherche un peu d'air pur en trouvera. De l'amour. Du vrai. Sans ostentation, sans tralala, sans putain de violons sirupeux ni mauvais goût bling bling. Un amour vrai, parfois maladroit peut-être, mais de l'amour. Un amour rageur, un amour qui donne envie de secouer celui à qui on le gueule s'il n'est pas disposé à écouter.

J'ai un truc à te dire, lapin !

Stupeflip transpire l'amour évidemment, même si les choses son dites avec pudeur. Ceci est particulièrement évident dans les chansons traitant de l'enfance, avec des textes aussi naïfs, simples que directs. Tout en étant empreints d'une grande violence. La violence n'est plus une arme artistique, elle est concrète, subie par un personnage qui est évidemment un double de l'auteur, et probablement, en un sens, de l'auditeur (« L'enfant fou », « Le spleen des petits »). Aimer c'est comprendre, comprendre c'est aimer. Comment mieux évoquer ce que c'est qu'être un enfant perdu dans un monde qui le dépasse ? Un enfant qui deviendra un adulte sans obtenir beaucoup plus de réponses comme en atteste les chansons évoquées plus haut, traitant de l'univers professionnel... Parfois l'amour est évoqué de façon plus directe « Gem lé moc'h », « Lettre à Mylène », mais il est alors empreint d'ironie et ne se montre guère émouvant (une fausse ironie d'ailleurs, masquant un réel premier degré souvent incompris, qui est l'une des marques de fabrique de Stupeflip). L'amour passe curieusement avec plus d'efficacité dans des paroles qui n'ont rien d'amical en apparence mais tentent d'agripper l'auditeur en témoignant d'un besoin d'être compris caractéristique du groupe « Apocalypse 894 » : « The crew is just another way of thinking, I don't know if you
realize »). Un besoin pudiquement masqué par des formulations d'apparence brouillonnes et obscures.

En se plaçant délibérément dans le camp des losers, des inadaptés, des fragiles, Stupeflip parle essentiellement d'amour en veillant scrupuleusement à éviter le vocabulaire qui va avec. La pudeur, une autre notion essentielle dans l'oeuvre du groupe...

Pour qui veut bien l'entendre Mélenchon parle d'amour. On peut bien sûr avoir des doutes sur ses propositions, sa sincérité sur certains aspects peut-être mais il aime, et il le montre comme aucun autre. Il parle d'écrire un livre d'amour, évoquant sa fascination pour la fusion partielle des personnalités que provoque la vie de couple. En une phrase, une annonce qui aurait pu être ridicule (Le Passage de VGE, c'était un roman d'amour non ?) frappe dans le mille : c'est ça l'amour, accepter d'être un tout petit peu moins soi-même pour devenir un peu l'être aimé, accepter un peu de lui en soi. Lorsqu'il parle de l'autre côté de la Méditerranée, des immigrés et descendants d'immigrés, il y a un parallèle frappant dans cette partielle fusion réciproque... Il y a peu il a crié cet amour. Il s'agit bien entendu d'une posture électorale, mais une posture électorale n'exclut pas forcément la sincérité. Et si on s'aimait nom d'un chien ? Est-ce que l'appel d'un homme politique de premier plan à s'aimer enfin entre blancs et arabes de France fait le buzz ? Moins que l'attaque de Martine Aubry sur la "gauche molle".

GTA IV, plus encore que San Andreas est une ode constante à l'amour malgré son image injuste de défouloir amoral. Niko Bellic agit finalement souvent pour tirer des gens d'affaires (notamment son cousin Roman) et parce qu'il se trouve pris dans une sorte de fuite en avant due entre autres à sa trop grande solidarité. Trop brave le gars. Voir ce personnage comme une incitation à la violence relève d'une incompréhension totale de ce qu'est le jeu profondément. Socialement les commentaires de Niko ne laissent guère place au doute : il rêve d'un avenir meilleur, ne crache pas sur le pognon mais a d'autres aspirations que la simple jouissance matérielle (au contraire de Roman qui veut jouer le jeu à fond en bon jouisseur primaire). En quelques mots entendus ici et là au cours de conversations anodines on devine que Niko Bellic est un idéaliste, un type fondamentalement bon rendu muet par la fatalité et l'urgence de sa survie.

Plus Roman le rassure, plus Niko a de raisons de s'inquiéter.

Malgré son passé lourd et qu'on devine sinistre (ou justement à cause de lui), Niko a de l'amour à revendre, peut-être trop au final. Il tue et vole sur commande mais il tombe dans le piège amoureux de Michelle. Un piège aussi pour cette dernière, qui ne sort apparemment pas indemne de l'affaire. Plombé par l'amour familial (qu'on trouve évoqué aussi par les mails naïfs de sa mère), Niko perd son temps à récupérer les mauvais choix de Roman. Un cousin qu'il protège, qu'il aime autant qu'un frère. Dans GTA il y a toujours des trahisons. Il y celle de Michelle, mais il y a aussi celle de Dimitri, celui qui semble être à un moment donné une sorte de voix de la raison (dans les limites qu'autorise la criminalité sanglante). Un potentiel mentor peut-être. Les GTA sont aussi des histoires d'hommes qui ne veulent pas laisser le cynisme les envahir totalement malgré le milieu totalement pourri dans lequel ils évoluent.

Dans GTA San Andreas il y avait comme cellule d'amour le cocon du ghetto, cette chaleureuse ambiance de sales gosses, la trahison de Ryder rendue d'autant plus pénible par les facéties illégales commises en compères auparavant...

Amour et sexualité : deux univers qui se rencontrent finalement assez peu dans GTA...

GTA IV impose un sacrifice entre deux formes d'amour, comme pour mieux saisir la violence du renoncement à l'un ou à l'autre : la femme (Kate, avec un aspect sexuel effacé comme pour laisser uniquement la place à une représentation purement sentimentale : à mettre en parallèle avec les « coups » totalement dénués de sentiments de Luis dans The ballad of Gay Tony ) ou la famille. Vous n'êtes pas convaincu ? Jouez donc à The Lost and the damned, avec un cocon qui n'est plus ici le ghetto, mais la bande de motards : les déchirements du groupe prennent leur racine dans l'amour : amour déçu du chef et ami qui se perd à force d'autoritarisme (Billy), amour du dernier vrai ami fidèle jusqu'au bout (Jim). The ballad of gay Tony offre un attachement sentimental plus original : un irrésistible dragueur portoricain hétéro (Luis) forme un duo inséparable malgré les tuiles avec un homo en déclin précipité par la défonce (Tony). Comme Niko et Roman, Luis et Tony sont liés par bien autre chose que les intérêts, et il ne sera jamais question d'une éventuelle trahison entre eux (il y a certes une légère ambiguïté à la fin du jeu, mais a priori ce n'est pas sérieux avec le recul). De l'amour. Un amour balèze qui ne se discute pas (j'ai cru peut-être comme vous que le sort de Tony pouvait se discuter... mais non, et tant mieux au final). Un ilot d'émotions généreuses, de vrais beaux sentiments dans un univers ou tout le reste est à acheter, à vendre ou à détruire.

Il faut parfois se laisser attraper par les artifices, par la séduction démonstrative de la pétarade. La plupart d'entre nous aiment ce qui claque, ce qui pète, le spectaculaire. Même certains esprits fins et cultivés. Mais parfois il y a un truc tout bête derrière de tels feux d'artifices : un homme qui n'a rien trouvé de mieux ni de plus efficace pour vous faire venir à lui et vous dire "je t'aime".

L'article d'origine : https://levelfive.fr/index.php?option=com_content&view=article&id=175:reflexions-melenchon-stupeflip-gta-viens-par-ici-que-je-te-montre-comme-je-taime&catid=35:reflexions&Itemid=29

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