Un écran qui tend à disparaître


 

Le stimulus primaire qui constitue, à la base, le moteur du joueur, est la peur de l'échec. L'angoisse de la mort  - le Game Over - ou, par extrapolation, la jouissance du succès. Le joueur est pressé par l'obligation de réussite. L'échec est, dans le jeu, synonyme de mort, d'impasse.

Il faut, pour cet article, noter qu'il concerne principalement les jeux qu'on dira narratifs, par opposition aux jeux de compétition. Les premiers englobent tout jeu où l'empathie, l'identification, opère grâce à une situation dramatique ; les seconds de tout autre jeu, de sport, de course, de cartes...

Avançons une dernière catégorie, celle de la simulation. C'est une catégorie qui regroupe tous les jeux privés d'enjeux, dramatiques ou compétitifs, des simulations de vie (Sims et compagnie) aux simulations de vol, de train, etc...

 

Un jeu vraiment excitant

 

Dans les premiers temps du jeu vidéo, c'est naturellement que la mort s'est faite office de stimulant...Le jeu est, sans l'ombre de l'échec et la jubilation d'y échapper - le succès -, d'aucun intérêt dramatique, ni vidéo-ludique...

Cette angoisse de l'échec est aussi ce qu'elle est car est synonyme de retour en arrière. Ainsi se mêle également l'appréhension de devoir « recommencer » - Le Check Point.

Ce sont des éléments primaires qu'encore certains jeux aujourd'hui ne comprennent pas. Pouvoir recommencer où l'ont veut, ou pire, là où l'on a échoué, présente un intérêt, non plus dramatique, mais extradiégétique, dans, disons, l'appréhension que le joueur aura face à l'échec, mineur.

Aussi comparons, à titre d'exemple, les différents Prince of Persia. Il est évident que, dans le Prince of Persia de 2008, la quasi absence de la mort est un choix sinon mauvais, qui vient tuer le challenge, surtout là où le Prince of Persia de 89 était, à l'opposé, intransigeant : On a trois vie, le moindre échec nous ramenant au tout début du niveau. Un jeu tel que Les Sables du Temps offre déjà les prémices de ce que peut être le retour en arrière à volonté, d'ailleurs pas à volonté, heureusement.


 

 

Ce n'était pas les occasions de mourir qui manquaient !

 

Ces deux notions, le Game Over et le Check Point, la mort et son retour en arrière, suivant comme ils sont placés, contribuent en grande partie à ce qu'on appelle le Challenge. Le challenge est une dynamique extradiégétique à la narration qui tire son essence de la valeur capitalisante de l'angoisse de l'échec, équilibrée par la proximité du Game Over et la distance des Check Points.

Je m'explique. L'angoisse de l'échec a une très forte valeur capitalisante. Plus on échappe à l'échec, plus l'angoisse est présente, motivée par l'appréhension de devoir « retenter » nos succès. Ainsi, plus la distance entre deux Check Points est grande, plus cette angoisse « grandit ». Plus on accomplit de choses, plus on s'impatiente de voir le Check Point suivant, pour ne plus avoir à les refaire.

Aussi, la proximité de la mort est une troisième donnée qui vient multiplier le tout de façon pratiquement exponentielle. Plus la mort est proche, facile, plus la valeur capitalisante de l'angoisse sera grande.

Le challenge dans un jeu peut se constituer de bien d'autres choses, mais par essence tout rejoint ces deux concepts. Le level design - l'obstacle - est là pour augmenter la distance, de manière plus ou moins figurative, entre les deux Check Points. La capacité à se défendre, sa limitation - la munition -  joue avec la proximité de la mort. La capacité d'attaque de l'ennemi également.


 

 

Heureusement il y a toujours le couteau !

 

Ainsi, le jeu de plate-forme et le survival-horror sont les deux genres privilégiés du challenge. Le premier jouant principalement sur son level design (Un bon Tomb Raider, un bon Prince of Persia), le second jouant sur la capacité défensive, la limite de la munition.

Le survival-horror est tout particulièrement efficace car il ajoute à l'angoisse de l'échec, l'angoisse de l'horreur. Il y a comme une mise en abîme de l'angoisse de l'échec, puisque dans ce type de jeu, on a l'angoisse de l'élément horrifique, de l'élément angoissant. La crainte de l'angoisse de l'échec - la mort -, en somme la peur.

Il fut un temps ou le Beat'em all et le Shoot'em up étaient d'un challenge conséquent, jouant pour leur part sur la capacité de l'ennemi à attaquer (en nombre ou en puissance), mais ce n'est plus tellement le cas aujourd'hui.


 

 

Bah quoi il suffit d'éviter les tirs !

 

La critique que l'on peut faire à ce système basique, est le manque de profondeur qui résulte du rapport que le joueur aussi bien que le personnage entretient avec l'échec. Au final, le jeu faisant impasse sur l'échec, il n'est, a posteriori, que la suite des succès du joueur-personnage. Ce que j'entends par joueur-personnage est, dans le vocabulaire mathématique, l'intersection entre les éléments de la diégèse et les éléments de la réalité. C'est-à-dire tout ce qui est partagé, vécu, par le joueur, et le personnage, de manière univoque. C'est une sorte de communion transcendant le monde du joueur et le monde du personnage, c'est le pad. Il est donc à exclure tout élément qui n'est propre qu'au joueur, ou qu'au personnage.

Le joueur-personnage ne connaît pas l'échec, même si le joueur de son côté a pu échouer plusieurs fois avant de réussir, comme le personnage dans le récit a pu échouer lors de situations dramatiques non-jouées (cinématiques, etc...).

 

Le jeu vidéo est le seul à avoir les moyens de travailler l'identification au personnage de manière univoque, et non par projection. Ce joueur-personnage donc. C'est quelque chose qui néanmoins n'est que trop rarement travaillé. L'impasse sur l'échec est une entrave au travail en profondeur du joueur-personnage, au travail d'identification.

Dans la vie, l'échec n'est pas une fatalité, sauf s'il est synonyme de mort, comme dans le jeu. L'échec, ce qu'on rate, qu'on loupe, qui nous échappe, sont des choses avec lesquelles on doit vivre, dont l'assumation ou non se pose. Le jeu nous donne que trop rarement la possibilité d'assumer un échec. Un choix oui, c'est déjà ça. Mais le choix à cette particularité qu'il est déjà pesé avant d'être pris, et donc prêt à être assumé. L'échec est imposé, inopportun.

Un jeu peut nous faire assumer nos actes ou choix, jamais (très rarement) nos échecs, nos erreurs

Le joueur-personnage mériterait à être approfondi dans l'imperfection de son parcours. De nouveaux sentiments se développeraient alors pour le joueur : le remords, le regret, le doute, l'angoisse de l'échec, en tant que synonyme de mort mais plus seulement, en tant qu'angoisse de vivre avec cet échec, de l'assumer, également.


 

"Ah si seulement j'avais laissé crever Dwayne j'aurais eu un sacré paquet de fric plutôt qu'un appart' de merde..."

 

Imaginez un RPG dans lequel non seulement vos actes, vos choix, caractériseraient le joueur-personnage et le personnage (bon, mauvais...), mais aussi vos échecs, vos erreurs. Le personnage ainsi pourrait avoir des remords, des regrets, de l'indifférence, de l'intégrité, de l'insensibilité, du traumatisme, etc...

Imaginons dans un jeu tel que Red Dead Redemption par exemple, qu'au cours d'un voyage à cheval, vous n'arriviez pas à sauver un civil menacé par des bandits...Une barre de remords, ou d'indifférence, suivant si vous avez tenté quelque chose ou non, pourrait exister pour ça.

Imaginons dans un jeu comme Mass Effect, que vous n'arriviez pas à sauver un de vos compagnon...Une barre de traumatisme, de mal être, pourrait exister, et influencer vos capacités.

 

Finalement le joueur-personnage est enfermé dans un éternel présent. Sa seule projection de l'avenir est la peur de l'échec, son passé ne se résume que par ses réussites, et n'a donc aucun effet. L'identification du joueur se fait par projection, de manière romanesque, ou cinématographique. Or le joueur-personnage est tout le potentiel du jeu vidéo : fusionner, de façon univoque, le personnage et le joueur.

L'article d'origine : https://levelfive.fr/index.php?option=com_content&view=article&id=102:reflexions-lechec-dans-le-jeu-video-le-challenge-et-le-joueur-personnage&catid=35:reflexions&Itemid=29