Le bouddhisme est fréquemment mentionné comme la philosophie la plus ancienne et la plus pratiquée de l'humanité. Quels en sont les préceptes fondamentaux, réputés simples, pour une pratique quotidienne ? Dans le système de croyance bouddhiste, comment est énoncé l'accès au bonheur ? Et comment le relier à une pratique quotidienne bénéfique des jeux vidéo, tout en évitant les fourmis dans les jambes à cause de la position du lotus ?

Le Bouddhisme est une religion souvent associée à la paix, la tolérance, l'amour, la compassion, la sagesse... Les principes de base d'une pratique ordinaire et quotidienne sont fondés sur 'Les Quatre Nobles Vérités', qui furent énoncées par Bouddha à peu près ainsi :

 

1. La première vérité : la vie est souffrance.
2. La deuxième vérité : la cause de la souffrance est l'attachement.
3. La troisième vérité : la souffrance cesse quand l'attachement cesse. Cette fin des peines est le nirvãna.
4. La quatrième vérité : il existe une méthode pour que la souffrance cesse. Ce chemin est appelé le "noble sentier octuple".

 

Parmi les nombreuses représentations du Bouddha, il existe un Bouddha rieur, mais pas de Bouddha crétin.


Une critique contemporaine et acérée mélangeant des analyses en marketing et de la psychanalyse transactionnelle suggèrerait ceci : la philosophie bouddhiste est une méthode de vente très efficace. D'une part, elle établit des vérités parues évidentes pour des esprits réceptifs, puis une fois l'accord du client, elle vend une méthode nommée les "huits préceptes" ou encore "l'octuple sentier" tout comme il existe un nombre incommensurable de méthodes de développement personnel pour "devenir riche avec sept boules de cristal" ou "avoir un organe sexuel plus puissant avec 3 pilules bleues".

La vrai différence est que le bouddhisme fondamental n'attend aucune rétribution en retour, d'où son appellation de philosophie ou religion. La pratique sert uniquement le praticien lui-même. Il n'y a initialement aucune église ou institution bouddhiste. Les outils proposés amènent le praticien à une grande maîtrise de soi, grâce à la méditation, et permettent de prendre la voie de l'éveil spirituel par la compassion : l'amour des autres avec la volonté d'aider les personnes à se libérer de la souffrance. Nous allons découvrir comment les jeux vidéo sont d'une nature très proche, et sont en soi un moyen d'accès au bonheur et au plaisir.

  • Je souffre, donc je joue.

    La vie est souffrance. Cependant, le bonheur existe lorsque la souffrance est diminuée. Partant de cette vérité, il est possible d'appliquer le bouddhisme de la vie vers les jeux vidéo.

    Observons une expérience de jeu avec Pong, le premier jeu vidéo d'arcade commercialisé en 1972 (image ci-dessous). Le principe est simple : deux joueurs contrôlent la position de leur raquette virtuelle pour renvoyer une balle. La personne qui perd est celle qui rate la balle : il perd. Cependant, le jeu est très simple à redémarrer : insérer une pièce dans la machine permet de renouveler l'expérience et de repartir sur des bases neutres. Notons au passage qu'apparaît la notion de réincarnation chère aux bouddhistes.

    Sous cet énoncé théorique, le jeu pourrait durer un temps infini. Or, ce n'est pas le cas, essentiellement grâce à l'inattention et au manque de concentration des êtres humains qui décident d'y jouer. A mesure que le jeu dure, les joueurs veulent de moins en moins perdre, et souffrent de plus en plus : plus long est le jeu, plus dure sera la chute. La souffrance est issue de la frustration du perdant, du désir inassouvi. La seule motivation au bonheur est le désir de gagner, ou encore de se sentir plus puissant. Les joueurs qui prennent donc un maximum de plaisir dans le jeu sont ceux qui se sont détachés de ces désirs au sens où ils ne souffrent plus, et qui atteignent une grande maîtrise des mécanismes de jeu.

    Ainsi Pong reflète la nature essentielle du jeu vidéo : sa pratique rigoureuse, seule ou à deux, procure du plaisir.

    La cause de la souffrance est l'attachement, nourri par la peur de perdre quelque chose. Le bouddhisme souligne alors que rien sur Terre ne nous appartient : que ce soit un bien matériel (la possession d'argent) ou un sentiment particulier (la sensation de puissance). Ni l'air, ni l'eau, ni notre maison, ni notre corps, ni votre console de jeu, ni même vos jeux...! Cela nous est prêté durant un certain temps, un contrat à durée indéterminée sur Terre. L'attachement ultime est donc l'attachement au soi, à l'égo : la peur de perdre le personnage que l'on joue sur Terre.

  • L'imperméable du moine

    Pour prendre conscience de l'attachement, il est parfois évoqué l'impermanence du monde. Ce concept n'est aucunement abstrait et même plutôt populaire, puisqu'il est parfois utilisé sur les blogs de GameKult les mieux fréquentés. Cela signifie simplement que rien ne peut durer pour toujours. En acceptant cette vérité, il est possible d'être moins attaché aux expériences, puisque plus rien n'a vraiment d'importance. Il peut parfois sembler délicat pour un esprit contemporain occidental d'accepter le fait que l'on puisse tous mourir dans la seconde qui suive. Là, cette seconde. Pouf. Ici. Maintenant...
    Ou plus tard.
    La science moderne rejoint le bouddhisme sur ce point et démontre avec les équations fondamentales de l'incertitude quantique, que le monde peut à chaque instant, se détruire. La probabilité qu'un corps humain quelconque se mette à exploser au hasard dans la rue suite à la fission d'un de ses noyaux, avec la puissance de déflagration d'une bombe nucléaire, n'est pas nulle; mais elle est juste très très très [... pause café...] très très très très faible. Ainsi, le bouddhisme rejoint la science dans sa vision du monde, comme cela fut argumenté par Albert Einstein : "S'il existe une religion qui pourrait être en accord avec les impératifs de la science moderne, c'est le bouddhisme". Cette thèse aujourd'hui défendue par le très passionnant astrophysicien et écrivain Trin Xuan Thuan, notamment avec son livre "L'infini dans la paume de la main : du Big Bang à l'Éveil".

    Trin Xuan Thuan est à la Science, ce qu'Okami est au jeu vidéo, ou ce que Bertrand Renard est au Paysage Audiovisuel Français : des piliers de bar poètes, méconnus du grand public.

    Dans le jeu Pac Man, le joueur solitaire doit amener son avatar jaune à satisfaire son désir : un voyage répétitif de récolte de points jaunes en évitant les fantômes ennemis. Nous ne nous attarderons pas sur la signification symbolique de ces points, qui se divise en deux écoles académiques : l'école Normande qui considére Pac Man comme l'allégorie en vue latérale d'un camembert et qui se nourrit de bonbons au lait; et l'école Sudiste qui assimile ces boules jaunes à des verres de pastis, relativement mal dosés, vus de haut. Aucun astrophysicien ne s'étant penché sur le sujet, il est donc inutile d'en discuter plus longtemps. L'interprétation est cependant la même : seul un désir suffisamment puissant, renommé alors en "besoin", donne la volonté de terminer le niveau.

    Il n'y a dans Pac Man aucun effort de narration : la seule quête n'est pas la récompense de vaincre un adversaire ultime résultant d'une mise en scène. Le jeu étant potentiellement infini puisque le 257eme niveau est un retour au 1er, seul le score attise le désir du joueur. Le joueur se bat contre lui même : il s'enseigne à lui même. Ainsi, le joueur se sentira frustré et souffrira le martyre chaque fois qu'il échouera : alors que c'est lui même qui s'impose le sacrifice. C'est la définition du masochisme...


    Pac Man, l'homme camembert ou l'homme pastis ? Le mystère de la marque jaune ne reste qu'à demi-écremé.

  • La résiliation de l'abonnement à la souffrance

    La troisième vérité est la cessation de la souffrance. Le cycle sans fin du désir et de la souffrance peut être interrompu, en abandonnant le cycle des réincarnations, et ouvrant les portes du Nirvãna.

    En termes pratiques, cela est plutôt triste mais cela permet de faire plein de choses que l'on a jamais osé faire auparavant : comme des oeuvres extra-ordinaires de l'ordre du sublime (une peinture de la cathédrale de Rouen de Monet, la traversée à la rame de l'Atlantique, etc...), ou du scandaleux (comme Diogène le philosophe grec cynique, prônant l'anthropophagie, la liberté sexuelle, et l'abolition des armes et de l'argent). Ou alors un mélange des deux, comme écrire un blog magnifiquement stupide de jeux vidéo (si vous vous reconnaissez, manifestez-vous).

    Dans les jeux vidéo, il est universellement admis que la difficulté du jeu ne cesse de s'accroître au fil des niveaux. Quand est-ce que le jeu se termine réellement ? N'y aurait-il pas que deux possibilités apparentes : soit le joueur abandonne, soit c'est le jeu qui est plié avant ? La réponse n'est pas si évidente, comme nous le voyons ici.

    (i) Selon la première possibilité, le jeu amène sous forme narrative le joueur à terminer sa quête : libérer une princesse (Mario, Zelda...) ou sauver la planète (Final Fantasy...), tels sont les récits symboliques récurrents qui permettent d'assouvir alors le désir initial du jouer. Le tronc commun est le schéma suivant : racheter sa culpabilité d'avoir fait xxx en sauvant yyy. Malgré les bornes imposées aux joueurs, il peut reprendre le jeu du début pour jouer différemment si cela l'amuse. Le jeu ne peut pas forcer le joueur à arrêter.

    Notons cependant qu'il existe quelques rares exceptions qui confirment la règle. Comme par exemple le jeu Rygar sur NES (voir la critique héroïque) qui offre au joueur une expérience unique. Une fois dans la dernière salle du château ultime, soit le dernier obstacle avant "l'éveil spirituel" tant attendu, le boss final s'avère invincible suite à un bug de traduction en version Européenne. Le désir est alors complètement inassouvi, et la souffrance du joueur se manifeste par une frustration énorme et rarement égalée dans le monde vidéoludique : jouer à ce jeu est donc une grande expérience d'humilité. Il existe quelques autres jeux infinissables ou très difficiles, et la frustration crée à cette occasion a entrainé des souffrances irréversibles, voire même des vocations à l'image du testeur fou, le Angry VidéoGame Nerd, qui teste les pire jeux que l'humanité n'ait jamais créés depuis la seconde guerre mondiale.


    Bouddha est de nature non violente, et ses enseignements pacifiques empreints de sagesse ont traversé les âges par la transmission de maîtres barbus à des élèves turbulents. Les héros de jeux vidéo sont des Bouddhas en devenir.

    (ii) La deuxième catégorie de jeux à terminer sont ceux potentiellement infinis et définis par un seul indicateur de score. Pour sortir de ce cycle d'attachement au score, seule une volonté propre au joueur est nécessaire. Les deux cas démontrent que la liberté appartient toujours au joueur.

    Ainsi l'intuition initiale bouddhiste se retrouve : le jeu vidéo, comme la vie, se termine quand le joueur décide réellement d'arrêter son cycle de jeu. Le joueur est le serviteur du jeu, il l'a choisi et lui seul peut s'en libérer.

    Nous pouvons pour conclure faire un parallèle pédagogique avec les Jeux Multijoueurs en ligne, genre MMORPG. Le personnage que vous incarnez comme dans World of Warcrat, vous le vivrez intensément, jusqu'à s'identifier à lui, à souffrir avec lui. Par chance, chaque mort est la plupart du temps soldée par la possibilité d'une réincarnation. Du moins tant que l'abonnement est payé... Renoncer à la souffrance, c'est arrêter son abonnement, arrêter le cycle des réincarnations : en abandonnant le jeu virtuel, pour revenir dans la vie réelle, celle qui apporte le plus de sensations et de plaisir. Dans ce cas, l'expérience du jeu (niveau N) permet d'apprécier différemment la vie réelle (niveau N-1), grâce aux apports et nouveaux enseignements appris durant l'expérience : par exemple l'expérience communautaire d'organiser un raid de 40 nains moustachus sur un dragon en rut peut révéler au joueur ses compétences cachées du niveau d'un manager en entreprise. L'éveil spirituel peut être considéré comme le passage entre les deux univers : un level up d'un monde à l'autre, une révélation de la vérité ultime que l'être essentiel ignorait... Je ne peux m'empêcher comme référence cinématographique de référence, de citer l'éveil spirituel le plus spectaculaire des années 2000, à savoir la déconnexion de Néo hors de la matrice (voir le très intéressant Dossier Matrix de l'ami sauron1968 pour discuter de ce sujet) ou encore comme référence musicale un concert de François Corbier (cette référence-ci étant indiscutable).


  • Le Panda est le personnage le plus mystérieux et le plus bouddhiste de l'univers Warcraft.

    En conclusion, les vérités bouddhistes dévoilent une philosophie étonnamment riche malgré leur simplicité. La quatrième vérité, affirmant qu'il existe un moyen efficace de se libérer de la souffrance, sera développée dans la suite et fin de l'étude bouddhiste. En y analysant la méthode du "noble sentier octuple", de nombreuses surprises vidéoludiques risquent d'apparaître... Dans un prochain article

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