La défense des œuvres d'art, sur le plan juridique, n'est jamais chose simple. Il existe en France un droit de la propriété intellectuelle. Celui-ci se scindant en deux branches, les propriétés industrielles et
littéraires ou artistiques, il faut que l'avocat spécialisé jongle entre ces deux niveaux et les multiples connexions qui structurent chacune de ces strates. Un travail complexe qui nécessite de larges connaissances
et surtout une forte capacité de réflexion pour interpréter tel ou tel
élément de ce vaste système de protection. Le jeu vidéo, jeune enfant
des produits culturels, a bien du mal à trouver sa place dans une telle grille de lecture.

avocat

Que le show commence !

 

I) Du côté des propriétés artistiques et littéraires

Un peu d'histoire

Pour commencer, il semble logique de positionner le jeu vidéo dans la branche des propriétés artistiques et littéraires. On parle bien d'un domaine d'expression artistique, de biens culturels, la catégorisation semble couler de source. Surtout que l'autre branche, celle des propriétés
industrielles, est comme son nom l'indique axée sur les inventions du
secteur industriel. Autrement dit, on classera plus volontiers un tracteur qu'un jeu vidéo dans une telle voie. Exit.

La protection des propriétés artistiques et littéraires est le fruit d'une longue et tortueuse histoire. De manière officielle, on date à 1777 la création de la SACD (société des auteurs dramatiques) sous l'initiative de Beaumarchais. Avant lui, c'est un peu la nage en plein désert. Le créateur, pour ce qui est de la littérature par exemple, est  purement dépouillé dès la remise de son manuscrit aux exploitants.

Il existait bien durant l'antiquité une conscience de ce que l'on appelle aujourd'hui le droit d'auteur, dans certains
textes d'hommes de lettres on retrouve des expressions lourdes de sens
comme « mes enfants » lorsqu'il s'agit de parler d'œuvres littéraires. Mais jusqu'au 18ème siècle et la création de la SACD, la protection juridique des œuvres fonctionnent plus au bon vouloir des magistrats qu'au respect scrupuleux de textes de lois.

L'auteur avant tout

A partir du coup d'éclat de Beaumarchais, c'est l'enchaînement frénétique. On observe, jusqu'à aujourd'hui, une multiplication sans précédent des
textes de lois. Entre les décrets révolutionnaires de 1791-93 créant le
droit de présentation et de reproduction, on se souvient des nombreuses
querelles littéraires au 17ème siècle entre des troupes de théâtre et des écrivains comme Corneille se rebiffant contre l'exploitation de son œuvre sans contrepartie, la création de la SACEM en 1852, la grande loi sur le droit d'auteur en 1957 et la loi Lang de 85...que de chemin parcouru.

Le droit s'est incroyablement développé à ce niveau là, et cela en peu de temps au final. La protection des
œuvres culturelles est un fait récent. Mais surtout,
n'oublions pas que ce système de protection, français, n'est en rien
semblable à ce que l'on pourrait trouver dans d'autres pays comme l'Angleterre ou à d'autres époques comme la protection à visée collectiviste de l'Allemagne nazie. Chaque lieu et chaque époque apporte son lot de changements.

La France défend à sa
manière les œuvres d'arts et leurs auteurs, depuis la grande loi de 57,
mise en chantier en 1936, le droit français défend en premier lieu l'auteur. C'est lui et lui seul qui est au centre du dispositif. On cherchera
toujours à lui porter soutien dans les litiges qui l'opposeront aux
exploitants des marchés de la culture.

II) Un droit lié aux évolutions technologiques

Une perpétuelle mutation

hadopi

Chacun a sa vision du projet

Le droit français protège donc l'auteur et a su évoluer au gré des avancées technologiques. C'est un vrai travail d'adaptation qui est fait à chaque apport, chaque invention. Avec la sortie de la VHS, on a réadapté le droit français, de même pour le cd, le dvd. Au-delà du support, c'est la diversité des biens culturels qu'il a fallu prendre
en compte. Du livre au jeu vidéo, c'est tout un remaniement de fond qui
s'opéra.

Le dernier grand projet de loi en la matière, Hadopi, en est une des plus belles représentations. Le droit français a vu
Internet se démocratiser à grande vitesse, il devenait de plus en plus
urgent de se pencher sur la question pour savoir comment défendre les
œuvres des auteurs avec ce nouveau moyen de communication.

La nomenclature de Pierre-Yves Gautier

Du moment que l'œuvre est le produit
d'un homme seul, disons de façon officielle, cet ensemble que l'on peut
nommer le droit d'auteur est facile à comprendre. Le droit moral d'un côté, héritage invendable et immortel allant d'héritier en héritier, cherchant à protéger l'intégrité de l'œuvre ; le droit pécunier de l'autre, régissant les questions économiques, un droit qui peut être cédé à l'éditeur pour le cas d'un écrivain.

Que l'on parle d'un tableau, d'un roman
ou d'une photo, tout va bien. On arrive à naviguer sans trop de
difficulté au sein des sillons plus ou moins tortueux du droit français. Seulement, un jeu vidéo est une œuvre collégiale. Elle fait intervenir une foule de gens : un scénariste, des programmeurs, des designers, des musiciens, des comédiens...et puis, n'oublions pas tous ces gens qui chapotent ces « petites mains » comme le chef designer ou l'assistant du chef de projet. Un beau bazar en perspective.

A partir du moment où une œuvre est le fruit d'une collaboration, le droit français se complexifie grandement. Pour le jeu vidéo encore plus. Pierre-Yves Gautier, une référence sur la question de la protection juridique des œuvres, a établi une nomenclature qui fait aujourd'hui autorité. L'objectif est de classer ces œuvres pour
faciliter la compréhension des mesures protectrices s'y rapportant.

On retrouve donc les œuvres dramatiques (spectacles vivants), musicales, audiovisuelles, les arts plastiques etc. Le jeu vidéo pose problème car il réunit sur un support
(d'ailleurs changeant puisqu'on peut trouver des cartouches, des cds,
des dvds...) toutes les productions culturelles : de l'image, du texte...La
question est donc de se savoir ce qu'est une œuvre multimédia. Une œuvre littéraire ? Cinématographique ? Autre grande question, à qui dois-je demander l'autorisation si j'utilise un jeu vidéo, à chacun des artistes, au directeur du projet ? On est aujourd'hui dans l'incapacité de répondre à ces deux grandes questions pourtant fondamentales. Le statut juridique du jeu vidéo et l'autorité qui permet l'exploitation de l'œuvre.

Il y a peu, en France, la cour de cassation a rendu son verdict sur le sujet. Après une série de réunions et de
débats sur plusieurs années, la cour n'a pas réussi à définir de statut
unitaire pour le jeu vidéo. La seule conclusion tangible est que le jeu
vidéo est un jeu complexe avec différentes contributions. Autrement dit, retour à la case départ.

III) Les œuvres plurales et le jeu vidéo

Faire le tri

Revenons donc, après ce premier détour du côté de la typologie, aux œuvres plurales. On va me dire que les films sont également le fruit d'une collaboration complexe de plusieurs créateurs. Certes, mais le jeu vidéo est de loin plus complexe à comprendre au niveau juridique qu'un film.

Comme je le disais plus haut, les œuvres plurales nécessitent une protection plus complexe que les œuvres réalisées par un seul créateur. Il faut faire le tri au niveau des productions collégiales entre les œuvres de collaboration, les œuvres composites et collectives.

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La référence...incomplète

Aucune place disponible

Les œuvres de collaboration sont ces œuvres où plusieurs auteurs concourent à la création. C'est le cas du cinéma où l'on distinguera un dialoguiste, un scénariste etc. L'œuvre est ainsi la propriété commune
des co-auteurs, autrement dit chacun des contributeurs est
copropriétaire de l'œuvre. Même le dialoguiste peut gueuler si l'on
retouche, selon lui, abusivement le film sur lequel il a travaillé.
Après tout, c'est son œuvre. Le jeu vidéo ne rentre pas dans ce cas de figure car même s'il incorpore une œuvre audio-visuelle, il n'en est pas une.

Les œuvres composites sont ces œuvres crées à partir d'une création préexistante. C'est le cas des poèmes chantés comme Léo Ferré mettant en musique des vers de Verlaine ou encore des adaptations de romans au cinéma. Exit une fois de plus le jeu vidéo.

Enfin les œuvres collectives, véritable exception au droit d'auteur, sont le plus souvent ces productions au sein desquelles on privilégie plus l'exploitant que l'auteur. C'est l'éditeur qui prend l'initiative, on observe d'ailleurs une
pluralité de contributeurs et une fusion absolue entre tous ces
participants. C'est le cas du dictionnaire où l'on ne voit à aucun moment les noms des participants. Il s'agit d'un Larousse, un Robert et c'est à peu près tout. Par l'émergence récente de la notion d'auteur
dans le jeu vidéo, par la liste des crédits à chaque fin de jeu, notre
média favori ne trouve pas sa place dans une telle exception.

IV) Conclusion

plaidoyer

Un plaidoyer pour la fin

Le jeu vidéo et la justice vont donc poursuivre leur longue et pénible relation. Véritable patate chaude pour les juristes, ils sont encore dans l'incapacité à définir et donc à défendre clairement les jeux vidéo. Anguille poisseuse dans la
nomenclature des œuvres d'art, cas complexe pour une possible défense
dans le cas de litiges, cette difficulté que rencontre le droit français est révélatrice de la posture actuelle du jeu vidéo dans le paysage culturel moderne. Difficilement définissable, par sa forme
et son contenu, le jeu vidéo nous montre que nous ne sommes encore qu'au début de la longue réflexion à mener sur ce média qui bouleverse les habitudes que l'on pouvait avoir avec les autres produits culturels. Position
délicate mais jouissive, grâce à cette question juridique  le jeu vidéo
se démarque une fois encore des autres arts dans cette vaste sphère de
la création.

L'article d'origine : https://www.levelfive.fr/index.php?option=com_content&view=article&id=87:le-jeu-video-et-la-justice&catid=39:reflexions&Itemid=29