Comme c'est si souvent déclaré, les
joueurs qui payent 70€ un jeu (en France) en veulent pour leur argent.
Cette question de rentabilité est aujourd'hui d'autant plus mise en
avant dans un contexte de pseudo-crise, où les moyens sont réellement
limités du côté des consommateurs. Les joueurs veulent légitimement
jouer longtemps à leurs jeux préférés, que l'expérience dure un maximum
de temps, seulement on peut franchement se poser la question : plus c'est long, plus c'est bon ? Hum...

ville, gta

Si l'on se tourne du côté des jeux narratifs (voir article précédent), peut-on estimer une durée de vie de jeu idéale ? Au cinéma, une règle établie la durée d'un film entre 1h30 et 2h, c'est une convention qui plaît à tout le monde, aux raconteurs d'histoire
comme aux spectateurs. En dehors de cette norme, il existe bien sûr des
courts-métrages et de l'autre côté, des films de 3h ou plus. Dans le jeu vidéo, pour un jeu narratif, on peut facilement observer qu'une
aventure solo dure en moyenne entre 8h et 12h, pour un RPG, comptez une
cinquantaine d'heures. Tout ce temps passé devant un jeu, qu'en
retient-on au final ? Les développeurs n'abusent-il pas en allongeant
artificiellement la durée de vie de leurs productions ?
J'ai observé quelques éléments qui reviennent régulièrement sans pour autant servir l'intérêt du jeu et le plaisir du joueur.

Game Design paresseux

Combien de jeux proposent d'aller d'un point A à un point B, puis du point B au point A, puis A vers C puis à nouveau vers A ? Le syndrome de l'aller-retour (autrement appelé pigeon-voyageur) plombe l'expérience de jeu mais est hélas très répandu. Ajoutez à cela un personnage lourd et des cartes grandes mais vides,
ben vous avez une superbe durée de vie, mais dénuée d'intérêt ludique et tuant au passage le rythme d'une histoire et des enjeux engagés.

citadelle, mass, effect

Je pense à certains passages de Mass Effect par exemple. Effectivement, la durée de vie totale dépasse les 50
heures de jeu. Seulement, le protagoniste court au ralenti, traverse
maints couloirs, ouvre quinze portes et monte trois escaliers pour
atteindre sa mission. Celle-ci renvoie le joueur au point de départ pour récupérer un objet, et le rapporter ensuite à cet endroit. Je pense à
la Citadelle pour le premier comme pour le deuxième épisode. Un nombre
incalculable de jeux basent leur construction sur ce principe, je pense
au hasard à Naruto Rise of a Ninja, Prince of Persia ou au dernier GTA qui est amené à fonctionner sur ce principe mais ne souffre pas de cet
effet de lourdeur car l'environnement est ouvert donc l'impression de
répétition est largement allégé.

Dans un autre style, on trouve les maps diablement grandes mais ennuyeuses sous couvert d'un argument prônant la liberté de circulation et d'action. Je pense à Far Cry 2, Fallout 3 mais aussi Dragon Age, qui malgré ses nombreuses qualités, m'a un peu déçu. Trop de choix,
trop de pseudo-liberté me fait pas mal décrocher en fait. Un peu comme
les Elder Scrolls, intéressants et riches mais personnellement, j'ai du mal. Pour moi, il faut un cadre dans cette liberté, un point de vue.

Heavy Rain
parle au joueur en lui proposant des choix même les plus anodins, au
départ de l'aventure surtout, ça sollicite la compassion et l'empathie
du joueur pour faire naître l'émotion par la suite. The Nomad Soul/Omikron et Shenmue permettent une certaine liberté mais au sein d'un monde fermé, toujours dans le but de faire agir le joueur au nom d'une émotion, d'une cause. Shadow of The Colossus propose un monde ouvert, mais là aussi, au service de l'émotion. Ces
plaines désertiques, ces forêts magnifiques transpercées de rayons de
soleil, ces étendues d'eau seulement agitées par le vent puis troublées
par un Colosse. L'immensité du monde, cadre d'une cause
désespérée, la contemplation du gigantisme renvoie à la solitude et
l'impuissance du personnage mais finalement décuple l'action du joueur,
ou plutôt sa volonté, sa conviction et sa détermination.

carte, far, cry, 2

Plus généralement, le RPG (notamment
japonais et surtout celui des années 90) offre un équilibre intéressant
qui fonctionne très bien, les phases d'exploration ne sont jamais
ennuyeuses car ponctuées de combats, l'expérience du joueur est à tout
moment sollicitée. Le gameplay d'un RPG réside dans la collecte et
la gestion d'objets et de ressources via d'une part l'exploration de
maps et d'autre part via l'interface de l'inventaire.
Ces compétences sont directement utilisables en combat et les conséquences des choix visibles à tout instant. Les RPG font réellement appel à l'esprit du joueur pour ces phases de jeu
mais aussi à ses émotions et son intellect grâce à des scénarios
complexes et étoffés
, agrémentés généralement de toute une
clique de personnages secondaires et de véritables questionnements
moraux et sociaux. Les quêtes annexes s'intégrant parfaitement dans
l'aventure principale en éclaircissant de nombreux passages rendent
l'expérience passionnante.

Car il faut bien le signaler, les quêtes secondaires ont parfois la fâcheuse tendance à nous faire sortir de
l'aventure au détriment de détours inutiles, à plomber l'expérience de
jeu sans apporter d'intérêt supplémentaire, tout ça toujours au nom
d'une plus grande durée de vie.

Quêtes annexes, stimulant ou fardeau ?

La durée de vie peut se gonfler à l'intérieur même d'une aventure, entre deux pivots dramatiques majeurs ou même tout au long du jeu. Dans le RPG en général, cela constitue d'ailleurs une force du genre, mais
dans une moindre mesure aussi au sein d'autres jeux comme
l'aventure/action, dans lequel le joueur peut être amené à résoudre
quelques énigmes, compléter un tableau de chasse ou collectionner des
objets.

Soucieux d'exploiter au maximum leur travail sur le level design, les développeurs n'hésitent pas à cacher des objets dans le décor pour
donner lieu à une chasse aux trésors en bonne et due forme. J'avoue que
ce qui va suivre ne concerne que mon expérience et mon appréciation
personnelle. Je vous invite au débat pour savoir ce qui vous passionne
ou non dans ce genre de quêtes.

Je pense tout d'abord aux quêtes des trésors dans Tomb Raider, des premiers jusqu'aux tous récents. Lorsque c'était limite agréable dans Legend avec ses quelques trésors par niveau, le défi pouvait valoir le détour, mais lorsque dans Underworld, on passe à des dizaines et dizaines de trésors disséminés dans le jeu,
ça en devient carrément inintéressant, et là, je trace carrément la
route. Le même système de collecte revient dans quasiment tous les jeux d'aventure, Metal Gear Solid et ses plaques ID, Gears of War et ses plaques ID, Uncharted et ses trésors, Assassin's Creed et ses p*tains de plumes. Franchement, où est l'intérêt ?

tomb, raider

Lorsque parfois, j'essaye de terminer une de ces quêtes, je m'ennuie vite, je tourne en rond... Pour moi, ça n'a aucun autre intérêt que de promouvoir un argument marketing derrière la boîte du jeu signifiant une « durée de vie géante ». Lorsque cela sert le gameplay et/ou l'histoire, ce genre de collecte ne me dérange pas, au contraire. Lorsque dans le même Assassin's Creed II, je dois collecter tous les tableaux pour redonner des couleurs à ma
ville, ça ne me pose pas de problème. S'il faut collecter toutes les
armes, pas de problèmes, car d'un, ça redonne du cachet à ma ville et de deux, ça me permet d'obtenir de meilleures armes, et me permet même de
débloquer l'arme ultime. Pareil pour la quête des sanctuaires, les défis sont à chaque fois intéressants car variés, ils nous proposent à chaque fois quelques éclaircissements sur l'histoire, et au final, nous permet d'obtenir un nouveau costume, hérité d'un ancien personnage de la saga. Pour moi, ce genre de quête est intégré au jeu et ne lui nuit pas,
contrairement à la quête des plumes. Malheureusement, de plus en plus de jeux utilisent ce genre d'artifice pour faire croire que le jeu dure plus longtemps.

Qui voudrait d'un Call of Duty avec une quête de collecte ? On critique souvent Call of pour sa faible durée de vie solo entre 6h et 8h. Personnellement, je trouve que c'est un rythme idéal car sans temps mort. Si les développeurs avaient intégré des quêtes de collecte, des
dérivations pour X ou Y raison dans le seul but de gonfler cette durée
de vie, le jeu aurait grandement perdu de sa nervosité et du rythme infernal qui caractérise si bien la série, du moins les Modern Warfare.

Je salue également l'expérience Heavy Rain au passage. L'histoire et les personnages sont au centre, au cœur du jeu, rien d'autre n'a
d'importance et c'est extrêmement louable car aucun artifice ne vient
dégrader le rythme, l'ambiance, l'émotion et l'expérience de jeu.
Pour cette raison, c'est un jeu exemplaire, car il a un but qu'il
assume et qui entraîne le joueur jusqu'au bout. Pour moi, le jeu n'est
pas exempt de défaut avec une première partie parfois molle, mais le
fait de prendre le temps d'installer des enjeux, les personnages et leur personnalité, tout cela est nécessaire et servira dans tous les cas
dans la suite du jeu, donc finalement, on passe vite au-dessus. Mais
bref, pour en revenir à la durée de vie, Heavy Rain ne dure que 8h, mais au vu de l'expérience, peu importe. Car au final, et c'est vers là que tend le jeu vidéo, les développeurs
finiront par parler d'expérience de jeu plus que de temps de jeu, car
c'est avant tout ça qui compte, non ?

heavy, rain

En parlant d'expérience d'ailleurs, les
développeurs sont de plus en plus nombreux à doter leurs productions de
mode multijoueurs pour « prolonger l'expérience de jeu à plusieurs« .

Multijoueurs, l'expérience décuplée ?

On le voit, une aventure comme Call of Duty, Tomb Raider, Prince of Persia, etc. se boucle en une petite dizaine d'heures. Étant donné que les
éditeurs ne veulent pas baisser le prix d'un jeu, ils décident de plus
en plus d'inclure des ajouts, c'est pourquoi on voit apparaître des
modes multi dans Uncharted, mais aussi dans Metal Gear Solid, parce que le multi est un argument marketing qui fera consommer une licence au-delà
de son intérêt principal (son mode solo), mais aussi parce que par la
même occasion il gonfle la durée de vie d'un jeu.
Nombreux sont les jeux solos narratifs d'hier qui franchissent le pas aujourd'hui
comme si leur existence en dépendait. Le prochain Tomb Raider proposera pour la première fois une expérience à deux, Assassin's Creed inaugurera bientôt son nouveau multijoueurs, même Uncharted n'a pas échappé au phénomène avec le dernier épisode. Lorsqu'un mode multi est présent dans une galette, au dos de la jaquette, vous
verrez apparaître « une durée de vie illimitée ! ». Forcément, un mode
multi, on peut potentiellement y jouer sans arrêt, puisqu'il n'y a pas
de fin.

Personnellement, je me contrecarre de ces modes multi. Je n'ai jamais allumé Metal Gear Online ni le multi d'Uncharted malgré le fait d'avoir dévoré et adoré jouer aux aventures solo. J'achète un jeu pour son intérêt émotionnel, ludique, intellectuel parfois mais je trouve que d'une part, il y a déjà beaucoup de jeux et
expériences différents à faire à côté que de me plonger dans une partie
multi et y revenir sans arrêt, et d'autre part, ma vie personnelle ne me permet pas de faire du scoring pendant des dizaines d'heures,
j'ai aussi d'autres choses à faire qui m'intéressent plus. J'aime bien
jouer à plusieurs jeux parfois, un Left 4 Dead, Gears of War entre potes, une partie le temps d'une soirée (mode Horde, grand défi à plusieurs, j'adhère), ça passe, mais j'avoue que plus de deux heures à
jouer en multi et je m'ennuie tant l'intérêt me semble nul... Mais cela ne concerne que moi. Ensuite, je n'ai rien contre ces expériences arcade,
je joue beaucoup aux jeux arcades aussi où le gameplay suffit à justifier le plaisir du jeu, parce qu'ils sont conçus à la base pour ça.

Ce qui serait intéressant, à mon avis, ce serait de vendre en magasin les jeux solo uniquement (donc à moindre prix), et de proposer ensuite en téléchargement, le
mode multi pour ceux qui veulent s'y adonner. Sinon c'est comme si
t'allais au resto commander un simple plat, et pour l'obtenir tu payes
pour un menu complet avec apéro, entrée, plat, dessert et café.
Évidemment, je ne pense pas que les éditeurs seraient d'accord, ils
perdraient forcément de l'argent. Puis insérer le mode multi directement avec le jeu solo, ça incite quand même le joueur à l'essayer et pourquoi pas passer du temps dessus.

Mais je trouve ça dommage que les
développeurs se sentent contraints par le marché et la concurrence de
créer des modes multi. Personnellement, lorsque j'achète un jeu, je
l'achète pour l'expérience qu'il va me procurer au sein d'une histoire,
pour son gameplay, son point de vue. Élargir le gameplay solo à un mode multi, je ne sais pas, pour moi ça lui fait perdre de son cachet et de son intérêt. Je pense à Uncharted par exemple, dans lequel les phases d'infiltration et d'action ont un sens
dans les décors de l'aventure créée par les développeurs au service de
l'histoire. Transposer ce gameplay dans un mode Death Match, je trouve ça ridicule, enfin ça m'intéresse pas, y a Unreal, Quake, Counter, Gears of War qui fonctionnent bien pour ça, faire un copier/coller pour dire « moi
aussi je le propose », ça me laisse dubitatif mais encore une fois c'est purement subjectif comme raisonnement. Après, il y a les jeux en coop,
c'est différent, RE5, Army of Two, Kane & Lynch, etc. fonctionnent sur le principe de jeu à plusieurs et ne prend véritablement sens qu'en multijoueurs, donc c'est justifié.

L'ajout d'un mode multi n'est pas le seul moyen de gonfler la durée de vie d'un jeu, les développeurs trichent selon moi en insérant ce qu'on appelle un New Game +. Dans les tests, on lira « Une rejouablilité excellente ! ».

New Game +, une rejouabilité factice

Lorsque les développeurs sont en panne d'inspiration, ils ajoutent ce qu'on appelle un New Game +. Lorsque le joueur termine le jeu, il revient à l'écran titre et cette nouvelle option apparaît alors. Elle permet en fait de recommencer le jeu mais avec les caractéristiques des personnages obtenues en fin de première partie.

Encore une fois et c'est purement
personnel, je n'aime pas vraiment recommencer les jeux narratifs. Un jeu d'arcade, c'est pas pareil, on peut le recommencer à l'infini, le fun sera toujours là, sa propre maîtrise du gameplay peut être améliorée ou différente donc il y a toujours une surprise.
Pour un jeu narratif, notamment lorsqu'il dure plusieurs dizaines
d'heures, je ne suis pas tenté de le recommencer. Ce mode New Game + nous permet de revivre exactement la même aventure qu'on vient de
terminer, mais avec le challenge en moins vu qu'on possède les stats
élevés. Évidemment, on peut me rétorquer qu'il y a les modes de
difficultés élevés pour corser le challenge. Certains jeux permettent
plus facilement une rejouabilité, notamment les jeux à embranchements
comme Mass Effect, Fable ou Heavy Rain. D'ailleurs, je me ferai un plaisir de recommencer Heavy Rain car le jeu ne force pas le joueur à le recommencer, le gameplay de par sa nature même invite le joueur à replonger dans l'aventure. Cela dit, globalement, je trouve que ce mode est un subterfuge encore une fois pour gonfler artificiellement la durée de vie. Si un joueur a envie de recommencer un jeu, il le fait, pas besoin de
l'inciter avec cette option pour ensuite revendiquer que le gameplay se renouvelle à la seconde partie...

fable

En parallèle, depuis quelques années, un nouveau challenge accompagne désormais l'expérience de jeu, de petites récompenses inutiles au
demeurant mais pourtant gratifiantes et stimulantes.

Les Succès/Trophées, une plus-value gratifiante non négligeable

Microsoft a eu la bonne idée,
je trouve, d'intégrer à ses jeux le système des succès. Parfois, c'est
inutilisé par les développeurs, mais il arrive que ceux-ci représentent des challenges en soi intéressants et permettent d'allonger la durée de vie sans alourdir le gameplay mais en proposant une alternative basée sur la complétion de ces défis externes. Ces petits challenges sont parfois forts sympathiques et permettent aux développeurs d'exploiter habilement le monde et le gameplay qu'ils ont créé. Il m'est déjà arrivé dans des jeux de ne jamais utiliser
telle ou telle arme ou compétence. Je n'utilise pas toujours toutes les
possibilités offertes par le gameplay. Les succès proposent une récompense pour éplucher ce gameplay qui au final fera découvrir de nouvelles manières de jouer au joueur, et
par la même occasion, permettra au développeur de montrer différentes
possibilités de jouer.

Assassin's Creed 2 utilise à mon sens assez bien le système des succès et c'est très
gratifiant de les compléter (hormis ces maudites plumes), je pense aussi à Dead Rising qui exploite bien ce dispositif. Au final, ces succès sont comme un jeu dans le jeu, facultatif mais fun et gratifiant.

En conclusion de cet article décidément
bien subjectif, j'espère avoir intéressé les joueurs à se demander
finalement ce qu'ils apprécient vraiment dans un jeu. Plutôt que de vouloir proposer des expériences plus longues les unes que les
autres pour justifier un tarif élevé et grappiller quelques points lors
des tests presse au nom d'une diversité et d'une longévité incroyable,
les développeurs auraient plutôt intérêt, à mon avis, à soigner
l'expérience de jeu propre.
Le joueur est à la recherche de plaisir, de nouvelles saveurs, pas de boulimie ou de goinfrerie.

Je vous invite bien sûr au débat ou du
moins à la réflexion, j'ai bien conscience que les opinions  exprimées
ici ne seront pas partagées par tous et tant mieux, mon approche de
l'expérience du jeu narratif est très personnelle et peut-être même
égoïste et c'est surement pour ça que je râle autant envers certains
développeurs, mais au fond, c'est parce que j'aime profondément le jeu
vidéo.

Article d'origine : https://www.levelfive.fr/index.php?option=com_content&view=article&id=68:duree-de-vie-plaisir-demesurable-&catid=39:reflexions&Itemid=29