L'annonce de Silent Hill : Shattered Memories en avait fait frémir plus d'un. Il faut dire que la licence a conservé une certaine aura auprès des joueurs malgré des bas plus ou moins significatifs. Avec ce nouvel épisode (qui se veut un remake du premier opus), Climax aux commandes, la saga nous désigne une voie singulière pour nous proposer une expérience qui l'est tout autant. Surmontons la surprise et savourons. (Attention, l'article contient du spoil)

Harry, Mason, Silent, Hill

Harry Mason, l'homme qui cherchait sa fille

 

I) La fuite en avant

Une tension grandissante

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Mauvais endroit pour se planquer

A plusieurs moments dans le jeu, Harry Mason voit son environnement se geler entièrement. Les routes se brisent, les panneaux plient, les bâtiments cassent. Une immense couche de glace déstructure les lieux dans lesquels se trouve notre personnage. Mason n'a qu'un but : fuir et trouver la sortie. Ainsi, mettre fin à ses cauchemars.

Ces phases de jeu sont particulièrement haletantes. Elles obligent le joueur à courir sans cesse, sans réfléchir. On progresse dans des lieux connus, les mêmes que précédemment, mais métamorphosés. Il n'y a que quelques ouvertures de-ci de-là, des portes, des murets, qui nous permettent d'avancer.

La tension dramatique atteint son comble lorsque des monstres vous pourchassent. Il faut alors courir de plus belle, enfoncer des portes, faire tomber des meubles ou encore réussir à trouver une fusée de détresse qui les éloignera pendant un court instant. Durant ces fuites, le stress monte rapidement. Surtout qu'en appuyant sur le bas de la flèche directionnelle, notre personnage jette un regard derrière lui, ce qui permet de voir si nos assaillants sont à nos trousses ou non.

Audio

Le jeu bénéficie d'une bande son très travaillée. Même si les thèmes restent relativement discrets, on ne peut que louer la qualité globale des bruitages autant des raclements de gorge ou râles des monstres que des bruits d'atmosphère. On appréciera également les dialogues, en anglais, qui font honneur au titre.

Grâce au portable de Mason, on peut sentir la présence de ces monstres. Lorsqu'ils sont proches de nous, le portable grésille, de plus en plus. Voilà de quoi rajouter un peu de stress. On ne sait pas où ils sont, impossible de les visualiser sur un quelconque radar. On marche rapidement à l'intuition. On se doute que dans la pièce de gauche, ou de droite, devant soi ou derrière soi il y a quelqu'un. Forcément, on a le cœur qui bat un peu plus vite face à une si grande incertitude. Le danger est partout et nul part, il peut surgir de toutes les directions. La paranoïa est en marche.

Ces phases de jeu, par la nécessité de courir, de survivre aux bêtes et de trouver la sortie, se jouent plus au feeling qu'à la réflexion. Pas le temps de se poser pour regarder la carte de son portable ni tracer un chemin avec le stylet. Il faut foncer, et en une fraction de seconde savoir quelle porte prendre, dans quelle direction aller.

Level Design

En nous proposant des espaces vastes sans réelles indications, un stress qui nous pousse à aller vite et non à consulter tranquillement son portable, le level design des niveaux nous plonge dans un labyrinthe qui n'en a pas l'apparence. La glace s'ajoutant à cette ville que vous traversez, lors des phases d'angoisse, l'architecture des niveaux propose différentes pistes pour mieux nous perdre.

Dompter ses peurs plutôt que les vaincre

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"Chérie, j'ai un petit problème là !"

Ces moments de fuite éclairent l'état mental du personnage. Par cette transformation des lieux en énormes blocs de glace, on insiste sur les démons de Mason. Les angoisses, les peurs nous figent, nous immobilisent. On est comme pétrifié. Bloqué par quelque chose qui nous dépasse. D'où cet environnement pourtant familier, traversé à pas tranquilles peu de temps auparavant et soudain glacé, métamorphosé, défiguré. C'est l'angoisse qui surgit et vient marquer notre quotidien pourtant tranquille.

Les portes, les murets sont ces petites échappatoires qu'il faut prendre. Ces petits rayons de lumière qui arrivent à luire dans cette masse informe et glacée. On ne sait pas vers quoi ces sorties nous conduisent mais il faut les prendre pour tenter de trouver une voie, peut-être tenons-nous là une échappatoire.

Les monstres qui nous poursuivent matérialisent nos démons intérieurs. Ils nous pourchassent et nous les fuyons. L'idée même de rendre ces horreurs invulnérables permet d'insister sur l'impossibilité de les vaincre. On ne terrasse pas ses démons, on les dompte, on s'en accommode ou on les fuit. D'où la répétition de ces scènes dans le jeu. Ils reviennent, encore et toujours. On peut s'en débarrasser pour un court instant lorsqu'ils nous sautent dessus, on peut se cacher sous un lit pour éviter qu'ils nous voient ou encore fuir en passant de pièce en pièce le plus vite possible. Mais jamais ces monstres qui incarnent nos pires craintes ne seront mis à bas.

En partant de la simple idée de la fuite, pour aller à l'encontre d'un survival classique, ce Silent Hill permet de développer et de matérialiser la folie, les angoisses, les peurs qui nous rongent. Tout se fige et dans ce lieu que l'on pense cloisonné nous pourchassent nos démons intérieurs. Claustrophobie, paranoïa et fatalité, le joyeux cocktail de la décadence.

Esthétique

Avec sa ville brumeuse et désertée, l'ambiance qui se dégage de Silent Hill est très forte. On apprécie cet état de délabrement constant qui malgré tout nous pousse à penser qu'il y a encore une once de vie dans tout cela. Durant les phases d'angoisse, le décors se transformant totalement, l'idée de la glace est tout bonnement bien sentie pour signifier les craintes du héros. Vers la fin de votre aventure, le titre propose encore quelques ingéniosités esthétiques comme une fuite sur une mer glacée par exemple.

II) Le gamer sur le canapé

Des exercices pour nous sonder

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"Je t'écoute mon gars...ça fera 150 € l'heure"

Entre les phases de jeu plus traditionnelles, le joueur se retrouve via une vue subjective dans la peau du personnage face à un psychologue. Assis dans un fauteuil, on suit du regard notre psy qui développe avec calme notre analyse. Les souvenirs du patient se traduisent par les phases de jeu en vue à la troisième personne mais les analyses elles s'illustrent par ces dialogues.

Scénario et dialogues

L'histoire de ce premier Silent Hill est terriblement accrocheuse. On est comme oppressé par cette ville fantomatique et fantasmée qu'est Silent Hill. De bout en bout, le joueur est tenu en haleine par cette quête désespérée d'Harry cherchant sa fille. On appréciera en particulier la personnalité torturée de notre héros ainsi que les dialogues de grande qualité, en particulier les quasi monologues du psychologue. Des interprétations souvent très pertinentes.

Ces passages permettent aux développeurs de creuser en profondeur la psychologie du protagoniste, et la nôtre si l'on joue le jeu de l'identification totale. Le psychologue nous propose quelques exercices ou nous pose des questions en oui ou non.

Quelques exemples. Durant une de ces phases, le psy nous raconte une histoire. Celle d'un roi mariant de force son fils à une princesse d'un autre royaume. Durant la nuit de noce, le fils veut consommer l'union le soir même. Problème, la fille s'enfuit et alors qu'elle traverse les champs pour retourner chez elle un taureau la percute et la tue. Après avoir raconté cette histoire, le psy nous propose de classer sur une petite réglette, de gauche à droite, les quatre protagonistes de l'histoire selon leur degré de culpabilité. A gauche, le plus coupable, à droite le moins coupable.

Autre exemple, le psychologue nous propose à un autre moment de colorier un dessin représentant la famille idéale : maison, enfants, parents, voiture. Selon les couleurs que l'on choisira, le psy nous comprendra un peu mieux. Autre exercice, visualisant plusieurs clichés de personnes allongées, comme dormant sur un lit ou dans un fauteuil, il faut classer ces photos dans deux catégories : les morts et les dormeurs.

A côté de ces exercices, comme je l'évoquais plus haut, on retrouve des questions en oui ou non (les phrases interrogatives totales pour les savants). Comme de savoir si au lycée on était vierge, on aimait le sport ou bien d'autres choses encore. Après chacun de ces « jeux », le psychologue nous distille ses conseils, ses interprétations. Il est parfois évasif, parfois non. Il n'est pas le détenteur de la vérité, il cherche simplement à nous révéler à nous-mêmes. Il ne guérit pas mais nous conduit vers la guérison.

Gameplay

On l'attendait depuis longtemps cette gestion de la lampe torche à la wiimote, c'est chose faite. Et d'une bien belle manière. Harry se dirige simplement et ne pose jamais de vrais problèmes de maniabilité. Même lorsqu'il s'agit de passer une porte en courant, le jeu est indulgent même si notre geste n'est pas parfait. Le gameplay gagne en variété durant les discussions avec le psychologue. Une foule d'interludes très intelligents.

Les mots ont des conséquences

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Une fille trash

N'allons pas croire que ces phases sont purement gratuites, qu'elles n'entraînent aucun changement. Bien au contraire. Selon nos réponses, des modifications interviendront dans le jeu. Par exemple, des personnages changeront, physiquement parlant. A un moment donné, l'on se retrouve dans un gymnase où l'on pense retrouver notre fille disparue. Selon les précédentes réponses données au psy, la jeune femme que l'on rencontrera, qui chante, sera différente physiquement.

J'ai pour ma part rencontré une belle brune incendiaire mais j'ai remarqué, en visionnant des vidéos sur Internet, que certains ont découvert une blonde moins provocatrice. A noter également que les réactions des personnages changeront. Ma belle brune sauta de l'estrade pour atterrir dans mes bras alors que la jeune blonde descendit tranquillement, toute seule, les marches. Le jeu assimile nos réponses pour tenter de modeler l'aventure selon notre personnalité.

D'autres interactions se font également, beaucoup plus centrées sur le geste que la parole. Vers la moitié du jeu, alors que l'on se retrouve chez une infirmière blessée, je me suis rendu compte que du canapé où j'étais je pouvais la voir se déshabiller dans sa chambre. J'ai, honte à moi, maté dans sa direction en zoomant même pour voir sa lingerie.

A peine revenue, elle m'a fait remarquer qu'elle avait vu mon regard. Qu'elle croyait que j'étais un type bien, qu'elle s'était trompée. J'étais grillé. Je n'avais plus qu'à lui apporter son médicament et à partir comme elle le désirait. Comme elle venait de me le dire, sèchement.

III) Se comprendre via les autres

Collecter des souvenirs

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"Et une petite photo, une"

Pour Harry Mason, l'aventure commence, après son accident de la route, dans une ville étrangement vide. On n'y voit personne ou presque, les lieux sont dans un état de délabrement qui laisse à penser que l'endroit est désert depuis un bon bout de temps. Les seules personnes que l'on rencontre ressemblent à des fantômes. Ils débarquent sans que l'on comprenne d'où ils viennent, ont des histoires ou des problèmes pas toujours très clairs. On comprend alors que cette ville est une construction mentale de notre personnage tant l'irréalité règne.

Durant son périple, Mason se retrouve dans différents lieux. Une forêt, la ville avec ses commerces, sa zone pavillonnaire, le lac, le lycée. Chaque lieu est l'occasion pour Harry de récolter des souvenirs. Alors que l'on déambule dans des lieux désertiques, sans indication, sans savoir quoi faire, on découvre que chaque endroit a été le lieu d'un drame ou du moins d'un événement marquant.

D'objet en objet, de réminiscence en réminiscence, le joueur collecte les éléments disparates de chaque histoire. Chaque découverte, qu'il s'agisse d'une bille, d'une poupée ou même de l'endroit précis où se déroulèrent ces moments-clés, est suivie d'un message arrivant comme par magie sur le portable d'Harry.

Messages vocaux, textos ou encore images viennent nous en apprendre un peu plus sur ces drames. Des drames parfois très glauques où il est question de parents qui se déchirent, de lycéens martyrisés, de violences familiales. On ne comprend jamais du premier coup, on ne découvre que des éléments dispersés et pas toujours cohérents entre eux. Mais c'est le tout qui nous fait comprendre ces micro-phénomènes, grâce à la déduction et la réflexion.

Mieux se comprendre

Mais ces terribles histoires ne servent pas uniquement à nous faire découvrir d'horribles choses. Elles ont du sens. Elles éclairent notre personnage sur ce qu'il est. Lui, Harry Mason, victime d'un accident de la route à la recherche de sa fille. Chaque histoire illustre un thème ou une période de la vie du héros.

L'adolescence avec le lycée et la culpabilité, le couple qui se déchire et les difficultés de l'âge adulte, l'enfant malade et l'angoisse des parents, la peur de la mort et la question du sexe. A travers ces petites histoires que l'on cherche à reconstituer en collectant des objets, en réussissant à capter l'âme des protagonistes avec son appareil photo dès lors que l'on se trouve sur les lieux de l'accident, c'est la propre histoire du héros qui se construit. Sa propre personnalité qui se dévoile. Ses traumatismes, ses angoisses.

Mason comprend, et nous aussi d'ailleurs, mieux qui il est. Il se construit par les histoires des autres qui ne sont au final que des subterfuges, voire des délires du personnage. Il s'imagine probablement ces histoires. Il construit ces drames pour extérioriser, analyser et comprendre son existence. Cela peut-être autant conscient qu'inconscient (le délire après l'accident).

Durée de vie

Vos déambulations dans ces dédales ne vous prendront que 7 à 8 heures. Pas de trajectoires inutiles, le jeu nous propose une aventure prenante qui ne connait pas de baisse de régime ni un sentiment de redondance tant les formules utilisées se renouvellent intelligemment.

Mention

 

Commentaire : Silent Hill : Shattered Memories est probablement l'une des grosses claques de ce début d'année 2010. Cherchant à faire évoluer le survival horror, le jeu de Climax nous propose une aventure déroutante au premier abord mais enivrante les premières minutes passées. La psychologie plus que l'action, une narration complexe et torturée plutôt qu'un sentier balisé. Climax réussit là un bel essai en nous offrant par la même occasion un survival atypique et rarissime.

Chronique originelle : https://levelfive.fr/index.php?option=com_content&view=article&id=59:chronique-silent-hill-shattered-memories-wii&catid=34:wii&Itemid=28