O Dame Nature, raconte-moi une histoire !

 

QUAND LA NATURE NOUS CONTE...

 Dans le jeu vidéo, on contrôle rarement des animaux. Alors certes, beaucoup de héros de jeu vidéo peuvent avoir une apparence animale, on pense à Gex, Croc, Banjo, Conker, Blinx, Sly, Ratchet, Mr Nutz, Sonic, Crash Bandicoot, ou même aux figures emblématiques de Nintendo telles que Donkey Kong, Fox McCloud ou Yoshi. Mais finalement, si on analyse à chacun d'entre eux leur morphologie, leur histoire voire la teneur du gameplay que propose leur jeu, on se rend compte qu'ils sont en réalité tout à fait humanoïdes, humains dans leur comportement, et que si on leur retirait ce simple déguisement d'animal pour le remplacer par celui d'une personne comme vous et moi, cela ne changerait pas grand-chose, dans le fond. M'est avis que cette tradition du personnage à l'apparence d'animal, principalement perpétuée dans la culture à destination des jeunes enfants, vient directement des longs-métrages Disney (La Belle et le Clochard, Les Aristochats, Mickey...) et Pixar (1001 Pattes, Ratatouille, L'Age de Glace...), eux-mêmes héritiers des fables de LaFontaine ou des contes traditionnels pour enfants, qui eurent pour habitude de raconter des histoires et de véhiculer des valeurs, des morales par le biais de personnages animalisés plutôt qu'humains, ce en vue d'atténuer le côté subversif et éventuellement choquant de leur propos narratif.
Le problème, c'est que cela n'explore en rien le monde animal, et encore moins le thème de la nature, dans son sens le plus profond et le plus potentiellement propice à des formes de narration nouvelles et matures. Quitte à incarner un être de la nature, pourquoi n'adapterions-nous pas le concept même du jeu en question, à cette vie sauvage et à tout ce qu'elle implique comme communication plus muette, mode de déplacement plus épars ou objectifs de jeu plus ambigus, afin de vivre pleinement l'expérience; plutôt que de ne se limiter qu'à voir la nature d'un regard extérieur et détaché, à travers les yeux d'un personnage humanisé ? Fort heureusement tout de même, le jeu vidéo n'est pas complètement resté vierge de cette ambition, car quelques créations s'y sont concentrées. 

Si l'on remonte un peu dans le temps, on se souviendra des Ecco the Dolphin, ces jeux plutôt fameux qui nous faisaient incarner un dauphin qui partait à la recherche de sa famille. Très peu assisté, le joueur devait se débrouiller seul pour arpenter les profondeurs colorées de l'océan en compagnie de son mammifère marin. Pour accompagner néanmoins ce voyage, des musiques extrêmement apaisantes venaient soulager nos oreilles et nous immerger dans une atmosphère bien particulière.


Ecco the Dolphin sur Megadrive


Ecco the Dolphin : Defender of the Future sur Dreamcast


En référence plus récente, je pense aussi à Deadly Creatures, qui nous met successivement dans la peau d'une tarentule et d'un scorpion. Lâché dans une nature hostile, seulement bercée par les sons peu reluisants d'insectes tous plus répugnants les uns que les autres, le joueur doit se démener pour y chasser ses proies tout en combattant toute menace prédatrice. Les déplacements de l'araignée et du scorpion (tous deux très bien animés) se font de telle manière à ce qu'on soit véritablement plongé au cœur du mode de vie animal, la caméra suit la bête même lorsqu'elle grimpe aux surfaces verticales, la mise en scène nous expose par intermittence le monde des humains de façon absolument extérieure, à travers la perception des bestioles; bref, l'expérience est pure, concrète et fidèle à elle-même.


Deadly Creatures

Et je pense plus que tout à Okami (et donc Okamiden avec), ce monstre artistique de Clover Studios et accessoirement mon BGE, sans qui le traitement de la nature dans le jeu vidéo ne serait certainement pas là où il en est aujourd'hui. Okami est une œuvre qui donne la parole à la nature, ni plus ni moins. Car le monde dans lequel on y voyage, ce Japon traditionnel, fantaisiste, sublimé par les traits d'estampes et les couleurs cell-shadées aux saveurs visuelles orgasmiques, où la majesté et la générosité de la nature transpire sans cesse de par les sublimes cerisiers en fleur ou la grandeur des plaines herbées; est peuplé de moult animaux de toutes sortes qui lorsque l'on n'interagit pas avec eux pour les nourrir sans mot dire et les rendre heureux par exemple, sont tournés en dérision via quelques scènes affectueusement cocasses. Car le beau loup blanc au pelage duveteux et raffiné que l'on contrôle, Shiranui de son ancien nom, se comporte lui non pas comme un personnage humanisé, mais bien comme un animal, un vrai, en témoignent son incapacité à parler, son mode de déplacement sauvage et purement quadrupède, et toutes ses manies canines telles que le fait d'aboyer, de se gratter la tête avec la patte arrière, ou de s'endormir aux moments les plus calmes, dont on se délecte tant ingame que lors des cinématiques plus burlesques. Et car tout le génie « picturo-narratif » d'Okami va même plus loin dans l'amour de la nature, en rendant hommage aux divinités célestes, animaux du zodiaque chinois tels que le tigre, le rat, le singe, le mouton ou le cheval, qui gèrent l'équilibre naturel du monde (un clin d'œil est même fait à la légende japonaise des huit guerriers chiens du clan Satomi). Sans compter le fait que nous-mêmes, Amaterasu Okami, réincarnation de la déesse du soleil, avons plein pouvoir sur l'écosystème grâce au pinceau céleste, et nous plaisons à longueur de temps à faire renaître le soleil dans le ciel, à tracer les mouvements du vent, à faire fleurir les arbres, et à faire pousser la végétation sous nos pas, à la manière du dieu-cerf dans Princesse Mononoké.


Le dieu-cerf de Princesse Mononoké


Okami

La première vidéo prototype d'Okami, qui donnait déjà le ton

Ost d'Okami - "The Sun Rises" : Suis-je le seul à avoir la chair de poule dès que j'entends ce nectar de plaisir auditif ?

Et suis-je le seul à manquer de m'évanouir, en écoutant celui-ci ?


Artwork d'Okamiden


En guise de point final pour cet article, je ne peux me permettre de parler d'autre chose que de ce p*tain de chef d'œuvre qu'est Botanicula, le dernier jeu du studio indépendant tchèque Amanita Design. Pourquoi cela ? Et bien parce que Botanicula est à mon sens la représentation parfaite de ce que peut être l'originalité d'une narration, lorsqu'elle est servie par une exploitation intime et intelligente du thème de la nature et de ses entités. L'histoire nous fait en fait suivre les aventures hasardeuses d'un groupe de cinq petits êtres végétaux, soudés comme les doigts de la main, qui vont se retrouver à partir en chasse d'une mystérieuse et menaçante bactérie en forme d'araignée, qui ronge petit à petit la vie du grand arbre sur lequel ils vivent. On fait donc partie intégrante de cette nature en tant qu'êtres végétaux, ce qui nous met en contact on ne peut plus proche avec elle. Durant notre périple comico-épique, on explorera alors les branches de cet arbre, l'occasion d'ailleurs pour le level design de se présenter de façon infiniment plus tortueuse et dispersée de tous les côtés de l'écran que d'accoutumée; en multipliant les rencontres de créatures animales ou végétales incongrues, drôles ou effrayantes. Inspirée à différents niveaux par des œuvres comme Kirikou, Wallace et Gromit ou les Ghibli, la mise en scène de Botanicula, appuyée par les sons, les musiques, les situations cocasses et le graphisme fabuleusement esthétique; nous ballade du début à la fin en nous racontant sur un ton à mourir de rire la vie d'un microcosme naturel, qui tend souvent à devenir un bazar sans nom. Et sans aucune parole ni aucun mot, ce ravissement de tous les instants parvient avec brio à nous théâtraliser un bien beau souk sociétal, et à nous conter la nature de manière tout bonnement extraordinaire... 

 

Histoire de finir en beauté, un petit trailer de Botanicula...

 

BONUS :

Articles passionnants sur l'univers d'Okami :

-Okami, réappropriation d'un classique littéraire par Numerimaniac
-Mythologie Okami par le blog Experience-Japon