Final Fantasy VI vient tout juste de fêter ses 20 ans. Bon anniversaire! Pour célébrer cet évènement, j'ai décidé de me replonger dans ce monument du RPG des années 90 (...non en fait ça n'a strictement rien à voir, mais il faut bien commencer son texte quelque part).

Au travers de cet article, j'aimerais partager ma redécouverte du titre de Squaresoft. Redécouverte, puisque je ne l'avais pas touché depuis près d'une quinzaine d'années. Jeunot à l'époque, le jeu m'avait laissé un sentiment mitigé. Bien loin de le trouver mauvais, je ne comprenais pas pour autant l'engouement qu'il suscitait chez les puristes du RPG de l'époque, lesquels semblaient s'accorder de manière quasi-unanime pour élever le titre au rang du Divin. 20 ans après sa sortie, je pense enfin avoir compris pourquoi...

Remarque : J'ai essayé tant bien que mal d'éviter tout spoiler majeur dans ce texte. Difficile cependant de parler de ce que représente FFVI sans déborder un tout petit peu... Pour ceux qui ne veulent pas se gâcher la surprise, je ne peux que vous inviter à revenir sur cette page une fois l'aventure terminée.

 

Une oeuvre d'une maturité sans précédent

Final Fantasy VI est une oeuvre mature. Replacée dans le contexte de l'époque, on comprend aisément la claque que se sont mangés les joueurs lors de sa sortie. Le jeu bouscule les codes des anciens épisodes, en commençant par son scénario. Exit donc les récits prophétiques et les héros élus destinés à sauver le monde et place à la Guerre, la vraie, la dure, la moche.

Final Fantasy VI est - tous les joueurs l'auront compris - une allégorie de la Seconde Guerre Mondiale. Un Empire tout puissant impose sa domination sur le Monde et un groupe de Résistants va tenter de s'opposer à cette tyrannie. Cette dernière s’illustre en la personne de Kefka, le bad guy de l'histoire, qui, s’il préfère les vêtements colorés façon Comédia Del Arte, aurait très bien pu porter une moustache et un brassard rouge et noir sur le bras.

La domination de l'Empire est omniprésente dans la plupart des lieux visités dans le jeu. On y retrouve des villes occupées, des terrains neutres (moyennant quelques passe-droits octroyés à l'Empire) et quelques rares bastions qui tentent de résister tant bien que mal (et souvent mal) à l'oppresseur.

La population est meurtrie par la Guerre. Des habitants pleurent la perte de leurs proches alors que d'autres font le choix de collaborer avec l'Empire (souvent par crainte). D'autres encore, poussés par leur haine, s'organisent secrètement afin de former la Résistance, ce qui est le cas de notre groupe de Héros, bien entendu.

Kefka, par l'illustre Yoshitaka Amano

Des personnages inoubliables

Si en son temps, Final Fantasy IV avait déjà marqué les esprits en mettant l’accent sur la psychologie de ses personnages, Final Fantasy VI va encore plus loin. Il concrétise en quelque sorte cette démarche qui deviendra par la suite l'un des axes majeurs de la série.

Tous les protagonistes de Final Fantasy VI sont extrêmement travaillés. C'est d'ailleurs d'autant plus marquant que leur nombre est l'un des plus important de la Saga (avec Final Fantasy IV à nouveau). Chacun d'entre eux possède sa propre histoire, ses propres blessures, ses propres motivations pour rejoindre le combat contre l'Empire : Vengeance, rédemption, besoin d'appartenance, de reconnaissance... Des sentiments humains en somme et c'est en cela que les personnages de FFVI sont réellement intéressants et attachants : ils dégagent une profonde humanité.

En ce sens, FFVI - et la saga Final Fantasy de manière générale - puise énormément dans le registre du Théâtre et notamment de la Tragédie Grecque. On assiste à l'impuissance de nos personnages face à une force supérieure qui les dépasse : un Empire tout d'abord, puis un homme qui, animé par sa volonté de puissance et son mépris de la faiblesse humaine, fera en sorte de dépasser son statut de mortel pour atteindre celui du Divin. La mise en scène est d'ailleurs très souvent théâtrale mais nous y reviendrons un peu plus loin.
Au passage, il est intéressant de noter que Final Fantasy IX (qui s'inspire énormément du VIème épisode - on parlait d'ailleurs à l'époque de retour aux sources) renforcera encore davantage cet aspect théâtral (la troupe Tantalus) et surtout tragique (notamment dans son dénouement).

Il est cependant important de noter que nous n'incarnons pas un héros dans Final Fantasy VI mais un groupe de héros. On ne peut pas parler ici de rupture avec la saga mais bel et bien d'une spécificité de cet épisode. En effet, exception faite des guerriers de la lumière des opus I et III, tous les autres Final Fantasy proposent d'incarner un héros bien identifié. C'est LE héros. LE point de vue du joueur. C'est avec lui que l'aventure débute et c'est avec lui qu'elle se terminera. Ce fait est d'ailleurs d'autant plus vrai pour les petits frères de FFVI qui optent sans exception pour cette formule (le XIII est un cas un peu particulier de par sa construction en trilogie, mais Lightning reste l'héroïne de cet épisode bien que n'étant pas systématiquement le point de vue du joueur). Le but de mon propos n'est pas dénigrer ce procédé bien évidemment - il a quand même donné naissance à quelques-uns des héros les plus charismatiques du monde du jeux-vidéo (Squall, Cloud ...) - mais le charme de Final Fantasy VI opère également grâce à cette différence notable.

Cette notion de groupe de héros est en tout cas l'une des composantes essentielles de l'âme de Final Fantasy VI. Et si elle est bien sûr impactante sur le gameplay (libre à vous de choisir l'équipe qui vous convient le mieux), elle l'est également dans la structure narrative du jeu.


 Le fameux groupe de Héros


Une qualité narrative (alors) sans égale

La narration dans Final Fantasy VI est en corrélation directe avec le destin de ses personnages.

La première partie du Jeu est dans la forme assez classique : la composition de votre équipe est encore imposée par les évènements du scénario (ce qui semble assez logique pour introduire l'univers). On peut néanmoins souligner que pour la première fois dans la série, certains passages sont racontés via des scénarios parallèles : Après quelques heures de jeu, vos personnages seront séparés en trois groupes aux objectifs différents. Cela vous permettra alors de rencontrer d'une part d'autres protagonistes mais aussi de faire rapidement le tour du monde de FFVI (et de constater les ravages occasionnés par l'Empire dans les villes que vous visiterez). Bref, un procédé très intéressant qui sera beaucoup réutilisé dans la saga par la suite.

A propos de l'exploration du monde, il est d'ailleurs intéressant de noter que la géographie n'a finalement que peu d'importance dans Final Fantasy VI. Le monde semble en effet  assez "uniforme" : les villes se ressemblent (si l'on fait exception du monde des Espers), les habitants également. Cette uniformité pourrait d'ailleurs traduire l'absence de frontière aux souffrances occasionnées par la domination de l'Empire.

C'est en tout cas un autre aspect de l'unicité ce VIème épisode. En effet, dans la plupart des autres Final Fantasy, le déroulement de l'intrigue se fait en corrélation avec la progression géographique : On pense à FFVII qui débute à Midgar et se poursuit dans le monde extérieur en suivant les traces de Sephiroth; à FFIX où l'on explore un continent par CD (à peu de choses près), et bien sûr à FFX où le jeu est carrément construit en pèlerinage à travers le monde de Spira.

Dans la seconde partie du jeu cependant, tout est bousculé. Votre groupe est séparé à la suite d'un évènement bien particulier (qui, au passage, calme sévèrement la première fois) et vous recommencez l'aventure avec un unique protagoniste. C'est là que Final Fantasy VI fait à nouveau très fort et rompt encore davantage avec les conventions de la série.

Pour faire simple il est - en théorie - possible à ce moment du jeu d'aller affronter directement le boss final et de terminer l'aventure ainsi (enfin, après avoir rapidement reconstitué une équipe de trois personnages quand même). A noter que ça ne présente bien sûr aucun intérêt d'un point de vue scénaristique (il ne s'agit que d'un challenge ultra hardcore auquel certains puristes se sont frottés). 

Dans tous les cas, libre à vous de reprendre en main l'histoire à partir de ce moment-là et de partir à la recherche de vos anciens compagnons. D'ailleurs, c'est lors de vos retrouvailles et de quêtes plus ou moins annexes, que chacun de vos comparses aura l'occasion d'affronter les démons de son passé, de trouver une nouvelle forme d'espoir, une nouvelle raison de vivre et de reprendre les armes.

Il est bien sûr possible d'occulter complétement certaines quêtes ou certains personnages. En somme, c'est en quelque sorte vous qui écrivez le jeu à partir de ce moment-là. On est certes loin des scénarios multi-embranchements de certains jeux actuels, mais bon, c'est toujours mieux écrit que Beyond Two souls ... ;P.


 Graphiquement, ça avait aussi de la gueule


C'était mieux Âvant, disait Francis

Loin de moi l'idée de vouloir jouer les vieux cons réactionnaires (OK si un peu en fait) mais en termes d'écriture, Final Fantasy VI est à des années-lumièredes productions ultra-explicites que l'on nous sert aujourd’hui. D'une part, lesdites productions étant maintenant beaucoup plus grand-public, le propos se veut beaucoup plus accessible (et les cerveaux ont aussi pris la mauvaise habitude de se mettre en grève trop souvent, mais c'est un autre problème). D'autre part, et bah c'est surtout que la technique de l'époque ne permettait pas vraiment de faire autrement...

FFVI fait donc partie de ces jeux où la suggestion était encore de mise. Où les sentiments des personnages ne s'exprimaient pas au travers de cinématiques en haute définition mais via une mise en scène souvent très théâtrale (nous y revoilà), voire même un peu loufoque parfois, des sprites de nos personnages. Où cette fameuse "émotion" dont on parle tant aujourd'hui n'était pas forcément tape à l'½il mais empreinte de pudeur, dissimulée derrière quelques lignes de dialogue d'un PNJ, voire carrément occultée et laissée à l'interprétation du joueur. 

A ce propos, la musique joue bien évidemment un rôle prédominant en termes d'atmosphère. Sur ce point, il n'est pas nécessaire de s'étendre pendant des heures : Uematsu signe tout simplement l'une de ses plus belles OST (si ce n'est la plus belle). Et de la même manière que ses pixels ont prouvés qu'ils étaient capables de véhiculer beaucoup plus de choses qu'une cinématique, il est impossible de rester de marbre devant les pistes midis qui composent la bande son de Final Fantasy VI. Merci Monsieur Uematsu.

Avant de conclure, il fallait que je termine en disant que Final Fantasy VI nous a offert ce qui restera probablement l'une des plus belles scènes du jeu-vidéo. Je parle bien évidemment de la scène de l'opéra. Elle cristallise l'ensemble des qualités suscitées et tout dans cette scène n'est que pure beauté. 


La scène de l'Opéra


Conclusion : Dream of the 90's is alive

Final Fantasy VI est la quintessence du RPG 16 Bits. Une oeuvre fondatrice et intemporelle qui fleure bon l'audace des productions des années 90 (que certains n'appellent pas l’âge d'or du jeux-vidéo pour rien). Sans rire, combien de chefs-d'oeuvre auront vu le jour durant ces années-là ? Combien de titres mythiques qui resteront à jamais gravés dans nos mémoires ? Et cela ne concerne pas uniquement le monde du jeu-vidéo, puisque le cinéma, les animes, la musique ... tous connurent eux aussi des années infiniment riches en termes de créativité. Les oeuvres des années post 2000 (et pires, post 2010) auront-elles alors autant d'impact sur les générations futures ?
Il n'y a bien sûr aucune réponse à ces questions sorties de tout contexte et purement subjectives, posées par un nostalgique qui a grandi et passé ses plus beaux moments vidéo-culturo-musico-ludiques durant ces années-là.

Et pour en revenir à Final Fantasy VI, il s'agit probablement de l'épisode le plus "à part" de toute la saga, ne serait-ce que par son approche narrative très différente des autres épisodes. Certains le considèrent comme le meilleur de tous les Final Fantasy (voire le meilleur de tous les RPG) mais selon moi cela n'a aucun sens de les comparer. Chacun offre une expérience à la fois fabuleuse et unique et c'est cette unicité qui en fait à mes yeux la plus belle saga vidéoludique ayant vu le jour.

Pour conclure, sachez juste que je ne trouverai jamais assez de superlatifs pour exprimer mon amour de cette saga. S'il ne fallait donc retenir qu'une chose, c'est que Final Fantasy, c'est comme Center Park, ça ne se raconte pas, ça se vit ! (Saluer l'art de plomber une conclusion par une référence douteuse... mais d'époque. Et oui j'ai toujours aimé les vieux qui couraient dans les bois en jogging blanc).