Cet article dévoile la fin de Scarface de Brian de Palma, et le dernier quart de GTA IV.

 

Je tiens tout d'abord à signaler que le titre n'est pas rhétorique, et que si j'essaye d'apporter des éléments de réponse, ce n'est pas pour autant que je la connais. En bref ce petit texte essaye tout simplement de dire "et vous, qu'en pensez-vous ?", mais de manière plus classe.

Si un jeu vidéo est un jeu vidéo, c'est parce que, par définition, il n'est pas un film. Oui, j'aime commencer mes articles par une phrase sortie des profondeurs des enfers syntaxiques. Et s'il n'est pas un film, c'est parce que le créateur décide que, au sein de l'histoire qu'il a envie de raconter au joueur, ce dernier a forcément une implication, qu'elle soit minime (jouer les scènes d'action), ou totale (choisir l'intégralité des dialogues).

 

 

Questionnements sur la nature même d'un scénario.

          La notion de choix dans la narration vidéoludique a posé problème depuis toujours. Il faut savoir définir à quel moment on creuse son personnage, mais aussi définir à quel moment le spectateur le contrôle. Pour prendre quelques exemples, on voit que dans un jeu comme Knights of the Old Republic, le personnage n'a aucun libre arbitre, et si ce n'est le fait que ce sont les développeurs qui ont écrit les phrases que peut choisir le joueur, c'est bien ce dernier qui a les pleins pouvoirs, et qui définit donc le héros qu'il veut créer (incohérences inclues, étant donné que le joueur peut décider que son personnage soit, coup sur coup, le sauveur de la galaxie puis un immense connard). 

L'autre côté de cette narration impliquant des choix pour le joueur peut se trouver dans un jeu comme GTA4, dans lequel l'histoire s'impose au joueur, mais le jeu décide, par moments, que nous puissions choisir entre deux personnages à tuer, nous proposant clairement des arguments en faveur de l'un et de l'autre. Ce sont, à peu de choses près, les deux cas les plus extrêmes des deux façons d'impliquer le joueur dans son scénario.

 

          Mais revenons un peu au thème de cet article, et pour cela je vais tenter - tant bien que mal - de définir ce qu'est, ou ce que doit être un scénario (en toute humilité, puisque je sais pertinemment qu'il y a un tas d'autres personnes à même de le faire mieux que moi).

Un scénario, de façon très simple et superficielle, est une suite d'évènements que le créateur propose au spectateur. Avant les jeux vidéos et autres livres dont vous êtes le héros, le scénario était avant tout la propriété du créateur. Cela ne veut pas dire que la signification d'une oeuvre ne peut pas être appropriée par le spectateur (là, comme ça, je pense à 2001 : l'Odyssée de l'Espace, qui a autant de significations que de personnes ayant vu le film). Mais quand on regarde le concret, les dialogues, les évènements, la description des personnages, tout cela appartient au créateur.

Et ce créateur, s'il fait tous ces choix, ce n'est pas juste pour faire une suite d'évènements super cool et super divertissante. Dans un scénario, aucune scène ne doit être insignifiante, et c'est le cas dans n'importe quelle oeuvre, qu'elle soit bonne ou mauvaise. Chaque scène existe parce que la scène suivante existe, qui elle même existe parce que la scène suivante existe, et ainsi de suite jusqu'à la scène finale, qui elle-même existe parce que les scènes précédentes existent. Pour faire simple tout en prenant un exemple, si Tony montana meurt à la fin de Scarface, c'est qu'il ne pouvait pas en être autrement. Si le scénariste (de l'original mais aussi du remake, cela n'a que très peu d'importance puisque le fond est le même) s'était dit au dernier moment "en fait, j'ai de la peine pour le personnage, je vais le faire survivre", l'oeuvre en serait non seulement totalement détruite, mais elle serait également vide de sens. C'est, en outre, en cela que je respecte énormément Bioware pour avoir préféré étoffer la fin de Mass Effect 3 plutôt que la modifier.

 

Où se situe le paradoxe ?

          De ce fait, quelque chose retient mon attention dans les scénarios de jeu vidéo permettant au joueur de faire des choix : est-il possible de faire un scénario cohérent si le scénariste n'a pas la main mise sur les evènements ? 

Reprenons de nouveau notre scénario de Scarface, et imaginons qu'il ait été pensé pour être un jeu vidéo. Nous arrivons à la fameuse scène de la tronçonneuse dans la baignoire. Le joueur incarne Manny, et si dans le film ce dernier vient sauver Tony, dans la version jeu vidéo il serait possible d'arriver, libérer Tony, et se faire tuer. Outre le fait qu'il faudrait justifier tout un côté du scénario (ce qui n'a que peu d'importance, en fait), la suite ne serait-elle pas vide de tout sens ? Toute une partie de la suite du scénario est basée sur la relation incestueuse entre Tony et sa soeur, elle même basée sur la relation entre Manny et cette dernière, il y aurait donc toute un thème passé à la trappe, simplement pour donner les pleins pouvoirs au joueur, et tenter de l'impliquer plus en profondeur dans l'histoire.

Mais imaginez pire encore. Imaginez que cette fameuse fin, point culminant du film, sur laquelle est basée l'intégralité des scènes de l'oeuvre, cette fameuse mort qui donne tout son sens au film... puisse ne pas exister, parce que le développeur décide qu'il pourra y avoir 20 fins alternatives ?

Je peux comprendre que cet exemple soit dénué de sens à sa lecture, et surtout qu'il puisse sembler inconsistant, puisque Scarface n'est pas un jeu vidéo (en fait, si, mais ça n'a rien à voir avec le film). Pourtant, cela me semble être un exemple assez pertinent, puisqu'il existe de nombreux équivalents dans le jeu vidéo. 

Je reprends mon exemple de GTA IV. Lors des quelques dernières missions, selon nos choix, deux personnages peuvent mourir : soit Roman, le cousin de Niko Bellic qui est présent depuis le début du jeu, soit Kate, la petite amie présente depuis les deux tiers du jeu environs. Et selon l'un ou l'autre des évènements, la fin n'a plus du tout la même signification. Dans le premier cas, on pourrait clairement faire le rapprochement avec Scarface justement, une morale très simple de film de Gangster qui montrerait qu'en se mesurant à plus fort que soi, on en paye les conséquences. La seconde aurait une autre approche, et montrerait les dommages collatéraux que peut engendrer une vie aussi dangereuse.

Et du coup, la mission finale, qui est quand à elle toujours la même, quel que soit notre choix, perd de toute sa signification potentielle, d'autant plus que le joueur sait parfaitement à ce moment là qu'il aurait pu faire le second choix. Comme dit un peu plus tôt, une fin n'existe que parce que les évènements précédents existent. Mais si ces derniers peuvent varier, la fin garde-t-elle vraiment toute sa signification ? Peut-on vraiment ressentir la souffrance d'un personnage criant à l'injustice quand on sait que ce qu'il a perdu peut être plus ou moins important selon le choix du joueur ? Dans ce cas, il me semble que le scénario arrête d'être une oeuvre réfléchie, pour ne devenir qu'une suite d'évènements sans consistance, comme peut l'être une histoire que se raconte un enfant en jouant avec ses figurines.

 

          Pour apporter un nouvel exemple, peut être plus parlant (ou non), il y a également le même cas Heavy Rain. Si j'ai déjà parlé de l'inconsistance de l'oeuvre de David Cage, il me semble que la notion de choix y est légèrement flottante. 

Lors d'une des scènes dans lesquelles Ethan - qui est accusé d'être un tueur d'enfants inconscient, genre Norman Bates dans Psychose - se fait poursuivre par la police, le joueur peut décider de rater le QTE et se faire attraper. Cela ne termine pas le jeu, puisque ce dernier termine en prison. Nous avons alors une scène alternative dans laquelle l'un des autres protagonistes, Norman (qui est du FBI), ne croit pas que Ethan soit le tueur, et l'aide à se libérer. En faisant cela, deux choses me perturbent. La première est quelque chose de parfaitement technique : personne, et je dis bien PERSONNE dans le scénario n'est étonné qu'un agent du FBI aide un tueur en série présumé à s'échapper de prison, alors qu'il y a des témoins. Soit. Mais plus "grave" que cela, cette scène apporte automatiquement un nouveau thème au jeu : celui du rapport entre le suspect et l'enquêteur. Malheureusement, puisqu'il s'agit d'une scène "annexe" qui n'est plus jamais mentionnée dans le jeu. Donc le créateur présente au joueur un nouveau thème, une nouvelle relation entre deux personnages, qui s'avère totalement avortée. Et la raison est simple : en faisant cela, le scénariste ne comptait pas tenter de créer une relation entre des personnages ou apporter un nouveau thème au jeu : il voulait tout simplement dire au joueur que ses choix, ses réussites et ses échecs pouvaient compter dans le scénario du jeu, détruisant toute cohérence, toute subtilité, et tout intérêt du scénario au passage.

        Voilà pourquoi il me semble difficile de créer un scénario tout en laissant du choix au joueur. Mais ceci étant dit, ce n'est pas un point de vue qui essaye de convaincre que le choix dans le jeux vidéo est une mauvaise chose. Au contraire, des jeux comme Minecraft, Papers,Please et plein d'autres sont basés sur l'idée du choix, voire l'idée de liberté. Mais ces jeux n'essayent à aucun moment de créer quelque chose de scénaristique. Et il me semble que lorsqu'un scénario essaye d'impliquer le joueur dans un choix de scènes, toute la trame narrative en paye les conséquences. Dans ce cas, le jeu arrête de raconter une histoire, et devient simplement un rêve de gosse où le joueur fait ce qu'il veut. Mais certainement pas un scénario, puisque le joueur n'est pas scénariste.

La solution réside certainement du côté de Telltale, mais il me semble que j'en ai déjà bien trop parlé.