De toutes les oeuvres que j'ai pu regarder, lire et jouer, il y en a trois qui restent particulièrement gravées dans mon esprit : Le Dernier Jour d'un Condamné de Victor Hugo, L'Impasse de Brian de Palma, et Metal Gear Solid 3 de Kojima Production. Si je n'ai jamais vraiment consacré d'article analytique de ces oeuvres (je suis effrayé à l'idée de ne pas leur rendre honneur, à l'idée d'oublier un détail ou, plus simplement, de ne pas parvenir à décrire l'impact artistique qu'elles ont pu avoir sur moi), elles sont omniprésentes dans mes discussions, dans les thèmes que j'aborde, autant que dans les scénarios et mises en scènes que je tente de créer.

          Mais si je suis en effet fasciné par ces trois oeuvres - en tant qu'oeuvre, sans même parler de quelque chose de plus large -, L'Impasse m'a avant tout permis de découvrir Brian de Palma, cinéaste absolument fascinant, capable de proposer le meilleur (Phantom of the Paradise, Carrie, Blow Out, Scarface, Mission : Impossible) comme le pire (Pulsions, Femme Fatale, Le Dahlia Noir, et même Passion début 2013). De tous les réalisateurs du nouvel Hollywood, parmi lesquels on retrouve notamment Spielberg, Lucas et Scorsese, il est aujourd'hui le seul a avoir été banni d'Hollywood, avec, en partie, Francis Ford Coppolla, mais qui arrive tant bien que mal à s'accrocher grâce à son entreprise l'American Zoetrope (merci Jayetbobfr). Son dernier passage au festival de Cannes 2013 fut particulièrement triste, puisqu'il y est allé pour tenter de récolter des fonds pour son prochain film, Happy Valley, tandis que son collègue Spielberg, lui, était tout simplement président du jury. Triste, vous dis-je.

Je continue un peu dans ma lancée en décrivant un peu la carrière de Brian de Palma dans sa globalité. A mes yeux, l'intérêt de cette dernière réside dans le fait que ce réalisateur m'évoque un homme de l'ombre. Evidemment, je dis pas que le type est un inconnu. D'ailleurs, à partir du moment où on s'intéresse un tant soit peu au cinéma, on a déjà entendu parler de Brian de Palma, au moins de nom. Mais malgré tout, la comparaison avec un Spielberg ou un Scorsese fait relativement froid dans le dos. La différence est là et elle est évidente. Les Dents de La Mer ? Jurassic Park ? E.T. ? Ils sont reconnus comme des créations de Steven Spielberg. Alors que Scarface ? Le rôle de la vie d'Al Pacino. Phantom of the Paradise ? La comédie musicale déjantée avec Paul Williams. Mission : Impossible ? Le James Bond américain avec Tom Cruise.

Pourtant, il n'y a paradoxalement aucun film de Brian de Palma qui ne ressemble pas à un film de Brian de Palma. C'est avant tout un réalisateur esthetique, un "obsédé visuel" comme l'appelle de magazine Trois Couleurs. Il a un style tellement inimitable qu'on reconnait ses plans au premier coup d'oeil... Ce qui peut également être un souci. Puisque quand on donne carte blanche à la Poule aux oeufs d'or, elle a tendance à pondre des choses pour le moins inattendues. J'y reviendrai.

Qualifier le cinéma de Brian de Palma est d'une facilité sans nom. Pour ceux qui n'ont pas vraiment d'idée concrète de ce qu'est un film De Palmesque, voilà quelques mots-clés : KITSCH, plan-séquence, Hitchcock, KITSCH, ultra provocateur, anti capitaliste, suspens, plan virtuose, split-screen, KITSCH. Ou alors regardez Sisters ou Phantom of the Paradise et vous verrez où je veux en venir.

Mais au fond, qu'est ce qui marque dans le cinéma de Brian de Palma ? Ou plutôt, afin d'éviter cette question clichée et inutile au possible (je me suis promis d'éviter des phrases toutes faites de personnes adorant aveuglément leur artiste préféré) : Qu'est ce qui a marqué Brian de Palma afin que son cinéma soit celui-ci. Là aussi, quand on est moi et donc qu'on se nourrit essentiellement d'informations concernant le monsieur, c'est très facile de répondre à cette question, qui se résume en un mot duquel découlent trois sujets.

Ce mot, c'est le trauma.

 

 

Difficile de ne pas penser à Blow Out en voyant cette image.

 

          Le premier de ces traumatismes, c'est le film Zapruder, la fameuse vidéo de l'assassinat de Kennedy. D'ailleurs le second film de De Palma, Greetings, met en scène un vétéran de la guerre du Vietnam (incarné par Robert de Niro dans son premier long métrage) qui s'occupe en essayant de retrouver l'assassin du président. Il est évident que sans cet évènement, on n'aurait jamais eu ce Brian de Palma là. Entre les films sur le voyeurisme (Pulsions, Obsessions), la folie du cadre dans le cadre - et même de la télévision dans le cadre (présent dans l'intégralité de ses films) -, le split-screen, et même son avant-dernier film, Redacted, qui utilise la technique du found footage dans un contexte de guerre, on sent que c'est une inspiration profonde, et une volonté d'intellectualiser cet évènement.

Le second, et c'est un traumatisme plus général dans les millieux artistiques des années 60 et 70 (à l'image du 11 Septembre), c'est la guerre du Vietnam, qu'il qualifie lui-même "d'expérience fondatrice", et qui a forgé cette volonté de rébellion dans son cinéma, qui aura des airs de cinéma engagé durant certains de ses films, dont Outrages (Casualities of War en VO), pointant directement du doigt les horreurs commises par les armées américaines durant cette période. Redacted en est d'ailleurs un remake adapté à la guerre d'Irak.

Et le dernier, le plus important selon moi, c'est son traumatisme directement lié à l'industrie cinématographique. Et là, je vais tenter du mieux que je peux de vous raconter ce qu'il lui est arrivé pour que cela se transforme en une réelle obsession.

 

          Nous sommes en 1970. Brian de Palma est un jeune réalisateur New Yorkais bien vénère qui fait des films provoquants choquant à peu près tout le monde. Greetings, sorti en 1968, est d'ailleurs le tout premier film a avoir reçu la mention "X-Rated" - plutôt à cause de ses idées anti capitalistes que pour sa violence ou sa nudité (mais ce n'est que mon avis). 

Pendant ce temps là, à Hollywood, une jeune star de la télévision nommée Tom Smothers fait du pied à la Warner pour qu'il puisse faire son entrée fracassante au cinéma. Au vu de son succès télévisuel, il faut mettre toutes les chances de son côté, parce qu'il fleure bien le pognon, celui-là. Alors on lui pond un scénario bidon pour une comédie bidon sur un entrepreneur bidon qui décide de tout plaquer pour devenir un magicien bidon. Etant donné que ce n'est pas assez, les producteurs décident de fouiller dans les poubelles de Hollywood. "Oh tiens" Se dirent-ils "Il reste un bout de Orson Welles, là.". 

Oui oui, cet Orson Welles là. Citizen Kane, La Dame de Shanghai, tout ça. En fait, en 1970, cela fait un moment que Orson Welles s'est fait vomir dessus par Hollywood. Autant dire qu'il a totalement raté ce que Hitchcock avait réussi : utiliser son talent non pas pour se confronter à Hollywood, mais pour le détourner. Ce n'est donc plus le Orson Welles de Citizen Kane qui joue dans Get to Know Your Rabbit (puisque c'est le nom de la fameuse comédie), mais à peine l'ombre de lui-même, ne jouant que de rares caméos essayant tant bien que mal de financer ses films, mais sans succès. Niveau tristesse, nous sommes bien au dessus de neuf mille.

Revenons donc à la Warner, qui ont désormais leur casting de pilleurs de tombes. Il s'agit désormais de trouver un bon petit réalisateur fantôme, sans personnalité et qui accepterait de faire une comédie totalement formatée, ne servant que de tremplin à Tom Smothers. Et sur les milliers de millions de milliards de réalisateurs qu'il y avait, ils sont tombés sur Brian de Palma. Ouch.

Donc, sans trop rentrer dans les détails, Brian de Palma a voulu faire du Brian de Palma, ce qui n'a pas du tout plu aux producteurs. Le réalisateur et Tom Smothers auraient failli se battre sur le tournage, et De Palma s'est fait virer avant d'avoir pu tourner la scène finale, n'assistant donc pas au montage. D'un autre côté, là où les producteurs s'attendaient à un réalisateur niais (c'était le cas) et docile (c'était pas le cas), ils ont reçu un réalisateur qui, en modifiant deux scènes et une dizaine de dialogues, a transformé une comédie sans neurones en une critique de la popularité, créant une mise en abîme avec le personnage de Tom Smothers, qui se voyait ridiculisé par son avidité.

Ce choc primitif a considérablement forgé le cinéma de Brian de Palma. Et au final, on se rend compte qu'il en était de même pour Orson Welles. Sauf que la chance de De Palma était d'avoir eu cette expérience au début de sa carrière, alors que Welles a connu le succès, et ensuite la désillusion. Sans entrer dans les détails, c'est quelque chose qui revient souvent dans ses oeuvres. Le personnage de l'artiste niais qui fait face à une machinerie industrielle gargantuesque est par ailleurs le point central du fabuleux Phantom of the Paradise.

 

Si Brian de Palma n'a jamais vraiment eu de rythme de croisière, puisqu'il a toujours alterné entre très gros succès, échecs commerciaux et controverses autour de ses films, on peut tout de même dire qu'il a trouvé une certaine constance au sein de ses oeuvres. Quel que soit le thème principal abordé, il finira toujours par transformer ses histoires en lutte des pouvoirs, dans laquelle le héros se perd et se fait berner, que ce soit dans Mission : Impossible, L'Impasse, Blow Out, ou le tout récent Passion.

 

Mais en ce qui concerne les films, ça sera dans un prochain article.

(Tu le sens, là, le cliffhanger de ouf ?)

 

 

PS : Désolé Celimbrimbor, j'ai vraiment essayé de me relire pour faire de jolies phrases, mais j'ai failli m'endormir devant mon propre texte...

 

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