Je pense que nous seront tous d'accord : plus le temps passe, plus le jeu vidéo passe des caps importants, et de ce fait se crée une histoire. "L'histoire du jeu vidéo" est d'ailleurs une expression vachement tendance. Je fais partie de ces joueurs qui ont la vingtaine, et qui ont grandi peu ou prou avec la Playstation, et éventuellement la Megadrive ou Super Nintendo (ou du moins, à l'époque de l'explosion de ces consoles).  Malheureusement, comme beaucoup de gens, je suis passé à côté de plein de jeux, considérés aujourd'hui comme cultes, qu'ils soient sortis après ou avant ma naissance.

 

Dans le cinéma, il n'est pas très étonnant de regarder un film sorti il y a longtemps, datant même d'avant notre naissance. Personne ne s'étonnera que quelqu'un regarde Scarface ou vol au Dessus d'un Nid de Coucou, par exemple. Dans le jeu vidéo, c'est différent. On parle d'histoire du jeu vidéo, pourtant ceux qui s'y intéressent vraiment sont des marginaux ayant même leur propre appélation : les rétro gamers. Comme si les jeux vidéos actuels étaient tellement différents de ceux d'il y a 20 ans qu'il faut mettre ces derniers dans une autre catégorie. 

Personnellement, j'essaye d'approcher le jeu vidéo de façon pragmatique : j'aime ce média et ce qu'il m'apporte aujourd'hui, alors je veux savoir d'où il vient. De ce fait, plus le temps passe, plus je joue à d'anciens jeux dits cultes en parallèle de mon suivi de l'actualité vidéoludique. C'est simple, il me semble que comme beaucoup de gens, il y a des noms, comme ça, dont j'entends parler tout le temps, alors que je n'ai jamais touché à la série. Au hasard, Secret of Mana, Legacy of Kain, Thief ou The Elder Scrolls. J'essaye donc de m'informer, voir ce que c'est, pourquoi c'est apprécié, et surtout jouer au jeu de moi même, peu importe la date de parution du jeu.

J'en viens donc à mon article sur Chrono Trigger, auquel je joue actuellement pour la première fois. Je ne connaissais que de nom, je savais que c'était un jeu adoré, donc je me suis lancé. Pour faire court, je n'ai pas été tendre avec le jeu, sans non plus entrer dans la critique facile et gratuite. Le jeu a - dans ses premières heures - un énorme problème d'écriture totalement plate et une histoire sans profondeur, qui refuse d'aborder des thèmes pour nous servir une suite d'évènements qui arrivent comme un cheveu dans la soupe. A force, on a plus l'impression de bouffer une perruque qu'une soupe.

Quand je donne mes impressions sur un jeu comme celui-ci, j'ai beau le voir avec l'oeil d'un joueur de 2013, je suis parfaitement conscient qu'il n'est pas sorti en 2013. Tout comme je ne vais pas hurler au nanar devant un Hitchcock parce que dans un véhicule, l'incrustation du décors est mal foutu. Mes critiques à l'encontre du jeu étaient faites sur des points que l'âge ne peut pas toucher, à partir du moment où on a les éléments pour écrire une histoire, à savoir du texte, et dans notre cas de l'image. Je sais que le jeu est sorti dans les années 90 sur une console qui n'a pas la puissance d'une PS3, merci. Mais d'un autre côté, je n'attendais rien du jeu qui ne puisse pas être fait sur une console 16-bits.

Et c'est là qu'une sorte de malentendu (pour ne pas dire mauvaise foi) s'est crée. Malgré un paragraphe écrit pour préciser que ces défauts n'étaient pas là à cause du hardware (oui parce que je pense pas qu'on ait besoin de la puissance d'une PS3 pour créer un bon dialogue, alors qu'on peut le faire avec un crayon et du papier), il m'a clairement été dit que je ne prenais pas le jeu tel qu'il était à l'époque, et donc que je n'étais pas objectif - puisque bien évidemment, on est beaucoup plus objectif quand on joue à un jeu en plein dans son époque, quand il est encore une claque technique, et qu'on l'a acheté parce qu'il était sur une page sur deux de Nintendo Power...

Et surtout, surtout : on m'a dit qu'on ne pouvait apprécier ce jeu que si on y avait joué à sa sortie.

 

Alors là, je me dois de répliquer. Je vais le dire clairement : personnellement, un jeu qui ne doit être fait qu'à une époque donnée pour qu'on l'apprécie n'est pas une bonne oeuvre.

Prenons l'exemple de Goldeneye. Jeu révolutionnaire pour ses contrôles relativement bons pour un FPS consoles, certes. Je pense qu'il est actuellement injouable, tout simplement parce qu'on a actuellement une norme de contrôles qui fait que même le plus ignoble des FPS couloirs de 2013 est plus maniable que ce qui était considéré comme un chef d'oeuvre de gameplay dans les années 90. Dans ce cas, impossible pour moi de dire que Goldeneye est une oeuvre réussie. Un avancement technologique ? Bien sur, c'était une révolution à son époque. Mais aujourd'hui, si on y joue sans nostalgie, qu'est ce qu'on constate ? Que c'est un Call of Duty sur N64, ni plus ni moins. Donc un jeu qui a mal vieilli ? Pas nécessairement. Par contre ce n'est pas une bonne oeuvre.

A l'inverse, il y a de ces jeux qui ont énormément vieilli au niveau de leurs mécaniques de Gameplay. Prenons l'exemple de Metal Gear Solid. Surtout quand on a joué à ses suites, la jouabilité de Metal Gear Solid peut sembler vraiment archaïque, voire incomplète au joueur qui y joue pour la première fois. Et en ce sens, MGS est clairement un jeu qui a mal vieilli. Pourtant, ça n'en fait pas un mauvais jeu, au contraire.

Un bon jeu peut vieillir dans ses mécaniques, bien entendu. Les technologies ont évolué depuis 1998, et maintenant à peu près n'importe quel jeu est plus maniable et agréable à prendre en mains que celui-ci. Mais MGS excelle dans les éléments qui ne PEUVENT PAS prendre de l'âge : ses thèmes abordés avec justesse, sa mise en scène, ses trouvailles de mise en abîme, certains de ses dialogues etc.

Comme je le disais, un bon jeu peut vieillir dans ses mécaniques, mais certains éléments (scénario, dialogues, personnages) existent littéralement depuis des siècles. Répondre à mes critiques de Chrono Trigger que "ça compte pas, vu que c'est sorti dans les années 90" me semble stupide. Je critique le jeu sur ses personnages et son scénario, et en AUCUN CAS ces éléments n'existent depuis les années 90.

Et je pense que s'il y a bien entendu débat en ce qui concerne Chrono Trigger, ce n'est pas le cas pour Goldeneye, qui lui n'essaye pas de jouer sur ces éléments traversant le temps, mais uniquement sur l'avancée technologique. Ce qui en fait un excellent produit des années 90 sur N64. Mais en aucun cas une oeuvre réussie.

Pour le coup, le parallèle avec le cinéma me semble évident, il est possible de regarder un film des années 30, bourré de faux raccords et de fonds verts moisis, mais si le fond est réussi, on peut passer outre la forme. Et les jeux et films qui vieillissent mal sont ceux qui se concentraient sur leur forme à l'époque de leur sortie, et donc deviennent rapidement obsolètes parce qu'ils n'ont pas de fond.

Bref, dans l'univers des passionnés de jeux vidéos, les jeux intouchables le sont et le resteront. Quand on joue à un "chef d'oeuvre" des années 80 ou 90 aujourd'hui, soit on adore parce que c'est un grand jeu, soit on y a pas joué à l'époque donc on a pas notre mot à dire. Cet avortement de la critique est quelque chose de très mauvais pour le jeu vidéo, puisque si un jeu ne peut être bon qu'à sa sortie, alors comment le considérer comme autre chose qu'un passe temps immédiat, voire comme un produit non culturel ayant un seul but : nous divertir sur le moment. Dire que si on aime pas un jeu c'est parce qu'il a mal vieilli, c'est comme le considérer comme un outil, qui fait son temps, puis qui ne nous est plus utile, à l'image du magnétoscope qui n'était utile que dans un moment donné, mais qui aujourd'hui ne ferait plaisir qu'à celui qui en avait un à l'époque où il n'était pas obsolète.