Voici un
thème que j'avais prévu d'aborder dans quelques semaines, mais l'actu étant ce
qu'elle est je me sus dis que c'était peut être le bon moment d'attaquer le
sujet.  En effet, hier, en faisant un
tour sur Gameblog je suis tombé sur un article de Trazom intitulé  UnearthedTrail
of Ibn Battuta : le Uncharted venu d'Arabie ? 
, et le moins que l'on
puisse dire c'est que le sujet a pas mal fait réagir la communauté  comme en témoigne les commentaires des
gameblogueurs. Pour ceux qui sont passés à côté de cet article, sachez que
 Unearthed Trail of Ibn Battuta est une sorte de Uncharted-like développé
par un studio indépendant Saoudien, et a priori il s'agit de leur premier jeu.

 

Ce qui m'a
surtout intéressé dans cette histoire c'est la réaction des gameblogueurs, qui
pour la plupart ont pas mal dénigré le jeu pour 2 raisons : d'abord le
fait que le jeu se soit fortement inspiré d'Uncharted et ensuite parce que le
niveau de qualité du jeu ne correspond pas aux standards du genre. Et c'est ce
2ème argument qui m'intéresse au plus haut point car il illustre
parfaitement une réflexion que je me suis faite dès le départ de l'aventure
I-Friqiya qui est qu'il n'y a tout simplement pas de place pour les
indépendants pour tout un pan de la production video-ludique actuelle. On parle
de plus en plus souvent (heureusement d'ailleurs) de la production indépendante
mais on a tendance à oublier que la marge de manœuvre est extrêmement étroite
pour nous autres indépendants et que notre politique éditoriale est extrêmement
contrainte.

 

Je vous
parlais dans mon précédant post de ces gens qui viennent me voir de temps en
temps et qui me demandent pourquoi je ne produis pas un GTA ou un Wow.  Ce que ces personnes ont du mal à comprendre
c'est que je n'en n'ai pas les moyens, et même si je pensais avoir une idée
révolutionnaire qui bouleverseraient ces genres, et bien je ne m'y hasarderais
pas. Ca ne coûte pas particulièrement cher de développer un FPS ou un MMO, mais
la production value, c'est-à-dire le standard de qualité actuel sur ces genres
est telle, qu'elle est inaccessible pour nous autres indépendants. Je parle là
des marchés consoles et PC sur le modèle de la vente dématérialisée, mettons de
côté tout ce qui est freemium et advergames où les attentes des joueurs est
moindre. Car le fait est que les joueurs dont je fais partie ont les yeux qui
s'embourgeoisent à une cadence que peu d'éditeurs arrivent à tenir. Jetez un
œil à Unearthed, certes cela ne vaut pas Uncharted, mais le jeu n'est pas si
moche que ça.

En fait ce
qui est terriblement cruel pour les gars derrière ce jeu c'est qu'ils sont
allés s'attaquer à un genre maitrisé par les gros éditeurs et que forcément,
sans même connaitre le pricing de leur jeu, on à tous tendance à le comparer
avec Uncharted. Je suis persuadé que s'ils étaient allés sur un autre genre où
le standard de qualité du genre est plus faible, mais avec la même qualité
graphique, les réactions n'auraient pas été aussi violentes.  Regardez Choplifter HDpar exemple, on ne peut pas dire que le jeu soit globalement plus ambitieux sur
le plan graphique que Unearthed, et pourtant les réactions ont été très
différentes. Si je prends cet exemple c'est parce qu'il s'agit d'un jeu
indépendant puisque inXile (Hunted, Bard'Tale...) s'auto-publie sur ce projet.

 Là où je veux
en venir c'est qu'à mon sens  pour un
indépendant la plupart des genres sont minés. Oubliez les  TPS, FPS, racing, jeux de combat, RTS, etc.... Il
faut aller créer ailleurs, au-delà de ces genres parfaitement maitrisés par les
gros éditeurs. Ce n'est que mon humble avis mais je pense qu'aller faire un FPS
multi ou un uncharted-like c'est extrèmement casse gueule pour un indépendant.

 

Que nous
reste-il alors ? C'est là que le casse tête se complexifie encore plus.
Certains d'entres vous me diront qu'il existe des Flower, et des Braid ce
qui  laisse à penser que des niches
existent. Oui et non. Oui pour Braid, c'est la preuve qu'on peut faire de beaux
jeux avec des moyens limités et qui rencontrent un succès commercial. Non pour
Flower car ce n'est pas un jeu indépendant. Mais pour un Braid combien d'échecs
commerciaux et de jeu qui sont passés à la trappe ? Aujourd'hui la
production value sur le jeu indépendant a elle-même augmenté et alors qu'il
suffisait encore il y a 1 an de faire un puzzle-platformer avec de beaux
graphismes (Braid, Limbo, Trine voire machinarium), je pense que le
« filon » est en train de s'épuiser et qu'il faut de toute manière
innover plutôt que d'essayer de surfer sur des modes.

 La grande force de ces jeux est que malgré des
mécanismes  de jeu relativement simples (mis
à part Braid) les jeux ont trouvé leur public grâce notamment à une identité
visuelle forte.  Et c'est là qu'on touche
une autre forte contrainte du jeu indépendant et du jeu de manière générale. A
une époque où nous autres consommateurs de média jeux vidéos n'avons pas
forcement le temps ou l'envie de lire des articles, le trailer et la vidéo
commentée est un passage obligé pour attirer le chaland. Il faut donc  réfléchir en amont du développement et se
dire « ok on va mettre cette feature, mais est ce qu'on va pouvoir
communiquer dessus facilement ? », comprendre « est ce que c'est
quelque chose qu'on peut mettre en scène dans une vidéo pour que les joueurs
comprennent au premier coup d'œil de quoi il s'agit ». Finalement ce poids
de l'image finit toujours par nous rattraper, et c'est bien beau de concevoir
de nouvelles mécaniques de jeu, mais si vous ne pouvez ne pas les mettre en
scène de manière à ce qu'elles soient immédiatement comprises par le joueur,
c'est que vous n'avez pas parcouru la moitié du chemin. Je vous donne un
exemple concret : aujourd'hui je suis en train de travailler sur ce qui
sera dans les premières vidéos de Fuel Overdose. Et quand on travaille sur des
trailers, il est important de bien identifier les éléments que l'on veut montrer,
notamment les features les plus innovantes. Certaines features sont plus
parlantes que d'autres mais en ce moment j'ai 2 features
« tactiques » qui sont beaucoup moins faciles à mettre en scène que
des features « action » par exemple.  Ce n'est pas parce qu'on est indépendant qu'on
ne doit pas penser à notre communication et ce sont là des éléments qu'il faut
prendre en compte dès la phase de pré-production. Donc attention aux jeux
« concept » ou « arty » qui ne parlent qu'à ceux qui les
conçoivent.

 

A une époque où il est relativement facile de se lancer dans le jeu
indépendant (je vous invite à parcourir le post Le jeu vidéo
indépendant: mythes et réalités
) le media a atteint une maturité
telle que c'est un vrai casse-tête pour un indépendant de trouver le concept
qui soit à la fois novateur, commercialement viable et qui n'a pas été déjà
défriché par les gros éditeurs.  Mais
finissons pas une note positive car c'est justement la grande force à mon sens
du jeu indépendant : il n'a pas d'autre choix que d'être novateur. Je ne
dis pas que certains AAA ne le sont pas, mais alors qu'un AAA peut se permettre
grâce à ses moyens de n'innover que sur certains aspects, voire pas du tout
dans certains cas, le jeu vidéo indépendant ne pourra pas vous attirer avec de
nouveaux effets de lumières ou un nouveau système de caméra, il se devra d'innover
et de vous surprendre plus en profondeur, avec des jeux comme Minecraft par
exemple qui ont eu l'humilité de se dire « ok on va pas vous en mettre
plein la vue, mais on va essayer de vous proposer une autre manière de jouer ».

 

Skander
Djerbi