Alors que dans ma jeunesse, la presse avait encore les c**illes de nous dire si un jeu était un must have, ou si la seule place qui devait lui être accordée en ce bas monde était une poubelle - ou au hasard le désert du Névada, de préférence sous le sable - il est aujourd'hui plus que mal venu de critiquer aussi ouvertement un jeu (ou un film, ou un album de musique... ou que sais-je), y compris quand un concensus se dégage au sujet de la polémique que soulèvera le titre en question.

Dans le même esprit policé, que l'on peut comprendre partiellement dans le milieu professionnel en raison de l'existence de pressions de la part des éditeurs (pour ce qui concerne l'industrie du jeu vidéo), il est un phénomène qui consiste, pour les joueurs eux-même, à pratiquer une forme de dénigrement envers les avis contraires aux leurs lors des échanges parfois houleux qui surviennent à la sortie d'un nouveau titre... et même fréquemment bien avant. Ce phénomène, qui n'a pas de nom et que je désigne par "la négation de l'expérience", se résume souvent à la phrase "t'as pas joué jusqu'à la fin du jeu donc tu peux pas savoir". Et c'est quelque chose qui m'énerve au plus au point. Explications.

Le principe de l'XP, ou le remake du RPG IRL (in real life)

Dans notre monde, l'une des choses qui donne le plus de valeur (ou d'intérêt) à une personne est la somme de ses expériences, de son vécu. Par exemple, un chef de chantier saura d'autant mieux organiser ses hommes et la gestion du matériel qu'il aura préalablement participé à un grand nombre de travaux ; il pourra même être capable d'anticiper certaines difficultés rien qu'en ayant un bref aperçu de son prochain lieu de travail. De même, un critique d'art sera d'autant plus capable de juger de la qualité d'une oeuvre qu'il en aura jauger et en connaîtra un grand nombre, pouvant même donner un avis assez juste en ne voyant que quelques tableaux représentatifs de l'ensemble d'une exposition. Aucun quidam ne viendrait remettre en cause cet état de fait.

Ainsi, il en va de même pour les joueurs. A moins d'une exception qui m'échapperait dans les mécanismes cérébraux inhérents aux jeux vidéo, je peux affirmer sans me gourrer que plus on joue depuis longtemps et à de nombreux jeux, plus on est expérimenté et connaisseur du médium. Et jusqu'à preuve du contraire, connaître quelque chose, c'est aussi être capable de juger des futures avancées dans le domaine concerné.

C'est comme monter de niveau dans Final Fantasy "insérez le chiffre de celui que vous préférez" à force de rosser du monstre : lesdits monstres seront plus aisés à défaire à mesure que vos niveaux s'accroisseront.

Ouais, c'est moches, mais quand-même t'y as pas jouéeuh !

Source de ronchonnades souvent justifiées, la tendance depuis quelques années dans l'industrie du jeu vidéo est de teaser un maximum les joueurs en les abreuvant - souvent des mois voire une année à l'avance - de visuels, vidéos et autres informations spoilant plus ou moins les jeux à venir. Au final, il n'est pas rare de connaître à l'avance toutes les features du gameplay ainsi que la plupart les moments forts d'un jeu des semaines avant de pouvoir mettre la main dessus en magasin. Rageant. Ou pas (ce que je déteste cette "expression") !

On voit donc naître très précocément de tumultueuses discussions à propos du futur gros jeu de notre série favorite alors qu'on ne verra pas le bout de ses polygones poindre avant que nos exams annuels ne soient terminés. Tel élément sera jugé novateur par les uns, scandaleux par les autres, en retard sur la concurrence par un esprit plus ouvert, seulement différent par son détracteur, ainsi de suite. Et, pour toutes ces situations, l'un des gros arguments que l'on sort lorsqu'on en est justement à court, d'argument, c'est : "de toute façon tu ne peux pas savoir, tu n'y as pas joué". Crac. Boum (hu ?). Prends ça dans ta tronche et ferme la (ta tronche).

Bah oui, mais ils ont spoilé la fin !

J'ai envi de dire que si on ne peut appréhender la totalité d'un jeu sans l'avoir parcouru de fond en comble, il est quand-même réaliste, dans le contexte actuel d'hyper-information et pour peu que l'on ai suffisamment d'années de jeu au compteur, de savoir si un titre sera, linéaire ou ouvert (pour coller à l'actualité JRPG), ennuyeux ou nerveux, orchestré avec brio ou avec bris-hauts, superbe ou la gerbe. Bref, sans avoir jamais touché au jeu, on a les moyens de se faire une topinion à son propos pour peu qu'on ait suivi l'actu, sans même forcément aller jusqu'à ce spoiler ! D'ailleurs, on ne s'y trompe pas, rares sont les tests définitifs qui viennent contredire radicalement les avis déjà donnés par les "testeurs" (j'aime pas ce mot, le retour) au sujet d'un jeu un minimum attendu (traduire : médiatisé, à l'échelle des joueurs biensûr).

Alors, pourquoi diable un joueur, gavé d'infos à l'écoeurement sur le prochain killer app, qui aurait passé trois fois plus d'heures devant ses consoles que la télé depuis les vingts dernières années, ne serait-il pas capable de savoir si le jeu sera plutôt bon ou plutôt mauvais - voire exceptionnel ou catastrophique, et surtout s'il conviendra à ses critères en matière de goûts ? Pourquoi pousse-t-on à chaque fois le joueur "à se forger son propre avis" en sous entendant "moyennant 70€" même lorsque le test est assez réservé (je parle en général, pas sur Gameblog en particulier) ?

Au final, si l'erreur de jugement demeure toujours possible, j'en ai fait moi-même quelques unes dans les deux sens, je pense qu'il ne faut tout de même pas sous-estimer le poids de l'expérience des joueurs dans les avis exprimés avant une sortie (au-delà de "c'est une tuerie absolue/c'est de la daube finie"). Ainsi, ceux qui ont tendance à juger ces opinions de façon condescendante - souvent les premiers à être adepte du "achète ton jeu et juge à l'aulne de tes 70€ dépensés une fois que tu l'auras fini" - pourraient un peu plus écouter et s'ouvrir aux arguments, et un peu moins juger les personnes. Parce que oui, c'est aussi possible d'avoir un avis intelligent et pertinent sans avoir touché un jeu !