La presse vidéoludique agonise. Le circuit de distribution traditionnel, en librairie, n'est plus rentable pour des publications aux tirages fort limités. Certains acteurs de la presse JV (ou de la presse numérique) se sont déjà adaptés à cette situation, en optant pour la vente directe :  Pix'n Love par exemple, ou plus récemment, Console Syndrome. La vente directe a en effet cet avantage de faire baisser drastiquement le prix du billet d'entrée pour tout nouvel acteur qui souhaite lancer une publication. Elle représente dans une certaine mesure, pour la presse JV, ce que le jeu indie est au jeu vidéo. L'effet pervers de ce système ? Des acteurs fort peu sérieux peuvent aussi se payer le tant convoité billet d'entrée. Et la publication ici critiquée, le Nintenboy #1 spécial Hideo Kojima, semble bien être l'incarnation de ce que je redoutais tant : l'utilisation abusive d'un système de distribution pourtant essentiel à la survie des publications liées au jeu vidéo...

Nintenboy #1 spécial Hideo Kojima. Le titre est moche, n'est-ce pas ? Normal. En effet... c'est moi qui l'ai choisi ! A regret d'ailleurs. Il est en effet fort peu respectueux de renommer l'oeuvre d'autrui, et... oh wait ! En fait, je ne suis en aucun cas responsable de cette impolitesse. En effet, cette publication n'a tout simplement pas de titre ! Sur la couverture, trônent des mentions telles que « Famicom Disk System », « only for Nintenboy », « Famicom Family » et « Official Nintenboy Seal ». On a échappé de peu aux « 15% de matières grasses »« Made in China » et autres« fumer ce livre provoque le cancer mortel du poumon »... toujours est-il que c'est probablement la première fois que je lis un ouvrage qui n'a aucun titre apparent. En cherchant un peu dans « l'ours » en première page, on peut néanmoins présumer que le nom de cette publication est« Nintenboy », sans autre artifice. Par commodité, j'utiliserai dans cet article les termes Nintenboy #1, ou bien N#1 , puisqu'il semble qu'un second numéro pourrait bientôt être commis (1)...

Le titre d'un ouvrage est souvent l'Alpha ou l'Omega du travail éditorial. Voire même les deux pour un article de Jean Marc Morandini, puisque en dehors du titre, il n'y a rien d'autre d'intéressant à lire. Peu importe le cas de figure : si même le titre manque, on peut craindre que le reste de la démarche éditoriale relève d'une similaire vacuité. Dans N#1, comme dans tout autre ouvrage, on peut s'attendre au fil des articles, tout comme à la lecture de chacun d'entre eux, à trouver une (ou plusieurs) ligne(s) directrice(s) qui aident à mieux comprendre le sujet traité. En l'espèce : à mieux comprendre l'oeuvre d'Hideo Kojima, et l'apport du second à la première. Or, il n'en est rien dans N#1, qui propose simplement au lecteur une suite d'articles qui, appréhendés dans une démarche globale, ne présentent aucune cohérence quant au sujet traité. Parfois même, certains articles (un historique de Konami, une ITW d'Emmanuel Bonami, doubleur de Solid Snake dansMGS1, un article sur Yoji Shinkawaun autre encore sur la reproduction des poulpes en Mer de Chine...) n'ont quasiment aucun rapport avec Kojima. Je reviendrai plus loin dans l'article sur ce point, mais sachez déjà, que N#1 n'est donc, au mieux, qu'une compilation disparate d'articles absolument géniaux. Au mieux, hein ! Car malheureusement, les articles sont loin d'être géniaux, et #N1 tend même le plus souvent vers le pire...

Je pourrais aborder ces articles sur le fond. Encore faudrait-ils que ceux-ci soient effectivement intelligibles sur le fond ! Alors, je vais pour l'instant me contenter de la forme. Et je vais donc être très clair, afin que mes propos ne présentent aucune ambiguïté d'aucune sorte à vos yeux : je n'ai JAMAIS lu quoi que ce soit qui sorte d'une rotative, et qui soit si mal écrit, avec autant de fautes de français. Il y en a d'ailleurs de toutes sortes : des fautes d'accord, de conjugaison, de syntaxe, de grammaire, de vocabulaire... plusieurs par paragraphes, et parfois plusieurs dizaines par article ! Certaines d'entre elles auraient pourtant pu être repérées à l'aide d'un simple logiciel de traitement de texte, via un correcteur orthographique : « Kamikases » au lieu de« kamikazes »« exercice fiscale » au lieu de « exercice fiscal » (Deux fois ! au moins...), « sourie »au lieu de « souris »« gamedesinger » tout attaché, plusieurs fois, « ditirambique » au lieu de« dithyrambique »« Grey fox » au lieu de « Gray Fox » « des phrases choques » au lieu de« choc »... ça n'arrête pas (2). En voici d'ailleurs une, de « phrase choque » : « (...) s'employant avec talent à apporter un éclairage sur grand nombre de questions laissé en suspend(...) » ... dois-je vraiment proposer ici au lecteur une correction ? Précision : non, je n'ai oublié aucun mot dans cette citation.

Parfois, on trouve des sigles (ou acronymes) transformés en mots : « NES » devient « Nes ». Bon... pourquoi pas. Quand j'étais gosse, j'appelais bien ma NES « Nessie »... D'autres fois, ce sont les majuscules qui manquent, comme si d'en mettre un peu trop, risquait de crever le budget de Nintenboy (3) dédié à son ouvrage. Plus grave : on trouve aussi des fautes d'orthographe de la bouche même d'Hideo Kojima, lors des multiples citations qui parsèment N#1. Ici, de deux choses l'une : soit il s'agit de citations tirées d'interviews déjà traduites en français, et donc, les rédacteurs ne savent même pas recopier un texte sans faire de fautes ; soit - et ceci est bien plus probable - il s'agit de citations tirées d'interviews en anglais, et au vu de l'orthographe désastreuse, on peut fortement douter que ces dernières soient canoniques. Pour ma part, j'ai fait le choix de les considérer comme apocryphes, et donc, inutiles. A orthographe mutilée, traduction certainement altérée. On peut du moins le redouter.

Si chaque paragraphe de chaque article de Nintenboy #1 était une dictée comptant pour le Brevet des Collèges, il n'y aurait quasiment que des 00/20 à attribuer. Je l'ai d'ailleurs fait pour le fun sur deux articles, pris au hasard... verdict : 04/20 et 00/20 (4) ! Vous comprenez maintenant pourquoi il m'est difficile de faire une critique de N#1 sur le fond. La forme empêche toute compréhension des textes. Et je ne parle même pas ici du style employé par les rédacteurs, souvent trop sibyllin, ce qui n'arrange vraiment pas les choses. Beaucoup de phrases, mêmes corrigées, demeurent incompréhensibles (5). Et le pire dans tout ça, c'est qu'il y a six rédacteurs dans N#1, qui souffrent tous, peu ou prou, des mêmes maux. D'ailleurs, si je peux me permettre - et au vu de ce constat, absolument navrant, et de mes 16€ investis, je vais me permettre - voici une toute petite recommandation pour le N#2 : il faut absolument recourir aux services d'un correcteur, si possible ayant un niveau correct en français. 80% des fautes présentes dans N#1n'auraient pas résisté à une première relecture, même succincte, d'un correcteur lambda. Et des correcteurs bénévoles, sur le net, ça se trouve facilement (6).

Le fond maintenant. Il y a pour moi deux sortes de publications sur le jeu vidéo (si j'écarte les ouvrages purement analytiques) : celles qui offrent au lecteur un travail de compilation, et celles qui apportent aux lecteurs des inédits. N#1 est un ouvrage « Wikipediesque », ni plus, ni moins. Ce qui n'est pas, en soi, un reproche (7).  Cependant, entre compiler des dominos pour ensuite les faire chuter dans le cadre d'une chorégraphie subtile et parfaitement maîtrisée, et compiler des ordures dans son salon, victime du Syndrome de Diogène, sans aucun but, il y a tout de même un monde, vous en conviendrez. Or, N#1 est victime de ce syndrome. En refermant le livre, je doute que les lecteurs sachent enfin qui est Hideo Kojima, et ce qui fait la spécificité de son oeuvre par rapport à celles d'autres game designer talentueux. Juste un exemple : on y trouve deux critiques pour les deux Metal Gear sur MSX. Un total de 46 pages (!) sur la centaine que comporte l'ouvrage. Or, ce sont de vulgaires critiques, ou le travail et la vision d'Hideo Kojima ne sont pas vraiment mises en valeur... en tout cas, pas plus que dans n'importe quelle autre critique disponible sur le net.  On a donc 46 pages sur MG1 et MG2, mais aucun article dédié aux autres épisodes de la saga MG(S) ! J'aimerais bien connaitre la démarche éditoriale derrière cet équilibre - ou plutôt, ce déséquilibre...

Un travail de compilation n'a de sens que lorsque les auteurs à l'origine de celui-ci ont quelque chose à dire sur un sujet donné. C'est ainsi qu'en piochant parmi des milliers de pages ou de documents existants, on forme un ouvrage à la pagination réduite, mais proposant les seules informations essentielles qui permettent d'illustrer avec pertinence le sujet traité. Or, dans N#1, il n'y a pas grand chose en rapport avec le sujet traité (Hideo Kojima, puisqu'il faut le rappeler aux rédacteurs, qui semblent l'avoir oublié) et même, à considérer que ce soit en réalité la saga MGSdans son ensemble qui soit le sujet de l'ouvrage, il y a une inflation galopante d'informations diverses et éparses sur certains pans de la saga (MG1 et MG2 sur MSX), et une absence totale d'informations sur toutes les autres facettes de cette dernière. Édifiant...

Je passe sur les (rares) analyses développées, parfois intéressantes , mais le plus souvent « masturbatoires », et en tout état de cause, toujours desservies par le français utilisé, inintelligible.

On finira cette critique par le plumage de N#1, qui est tout de même moins catastrophique que le ramage. Le format est petit (la flemme de mesurer), la pagination relativement restreinte (la flemme de compter), et les illustrations, souvent sublimes (la flemme de critiquer). On pestera toutefois sur les titres des articles, parfois trop discrets, et d'autres fois placées en... bas d'une page. Autrement dit : dans N#1, le lecteur peut parfois ne pas comprendre immédiatement qu'il vient de débuter la lecture d'un nouvel article ! Ça m'est arrivé à deux reprises. Autre problème : les textes deviennent parfois illisibles à cause des illustrations incrustées en arrière-plan. J'en tire d'ailleurs la conclusion suivante : Nintenboy #1 est un ouvrage uniquement destiné aux collectionneurs, qui veulent un bidule tape à l'oeil, mais qui ne lisent pas ensuite leur acquisition. Ne riez pas : pour en avoir parlé avec pas mal de lecteurs d'IG ou de Pix'n Love, ce cas de figure est relativement courant... Dernier point : en fin d'ouvrage, #N1 nous propose 16 pages d'artworks. C'est joli, mais c'est surtout à mes yeux un moyen de vendre du vide. J'aurais préféré, à la place de deux ou trois de ces pages, une bibliographie, même sommaire. Un oubli qui touche malheureusement trop d'ouvrages en rapport avec le jeu vidéo, et qui empêche le lecteur de consulter d'autres sources, afin d'approfondir ses connaissances, ou bien de... porter un jugement critique sur l'oeuvre qu'il vient de lire.

Il m'arrive de lire des publications qui ne proposent aucune valeur ajoutée au lecteur. Mais Nintenboy #1 fait bien pire : il retranche de la valeur ajoutée à l'oeuvre d'Hideo Kojima, en proposant un ouvrage qui se veut être une référence, mais qui fait au final beaucoup moins bien que ce que l'on trouve déjà sur le net. Et ceci, tout en altérant le sujet traité, par de multiples bourdes, et une orthographe désastreuse. Aux lecteurs qui sont déjà passés à la caisse, je leur recommande de ne surtout pas voir en cet ouvrage une source fiable quant à l'oeuvre de Kojima, car il n'honore en aucune façon le travail du vénérable game designer. A ceux, potentiels, qui ne sont pas encore passés à la caisse, je tiens à leur rappeler qu'il existe déjà un très bon ouvrage sur la saga MGS - et indirectement, sur Hideo Kojima - aux éditions Console Syndrome : Metal Gear Solid, une œuvre culte de Hideo KojimaEnfin, je suis tout a fait conscient que mes propos peuvent paraître extrêmement sévères, à propos d'un ouvrage plus ou moins « amateur ». D'ailleurs, une personne que j'apprécie au sein de la rédaction de N#1 pourrait vraiment ici m'en vouloir. Mais peu importe : je suis sévère, mais avant tout... intègre. Et quand je vois l'état déplorable de la presse JV actuelle, souvent aux mains de personnes particulièrement peu éthiques et/ou compétentes, je tiens vraiment à ce que la bonne réputation des ouvrages proposés en vente directe (Pix'n Love, Omake Books, Console Syndrome, et maintenant, Icare Mag) ne soit pas peu à peu salie par la sortie d'une profusion d'ouvrages de piètre qualité, et que le marché soit sinistré, comme celui de la vente en kiosques. L'équipe de Nintenboy devra se remettre profondément en question pour son prochain numéro, ou bien... s'abstenir ? Ce n'est pas à moi d'en décider. Mais maintenant, au moins, l'acquéreur/client potentiel est prévenu. C'est en toute connaissance de cause qu'il sera victime de cette escroquerie intellectuelle, s'il consent à passer à la caisse...

BigBossFF, qui aurait sincèrement préféré pouvoir dire du bien de ce Nintenboy #1...

 

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NOTES :

(1) Du moins, si j'en crois le blog Gameblog de cette publication : https://www.gameblog.fr/blogs/nintenboy/p_72905_ca-tease-ca-tease

(2) Après mure réflexion, j'ai renoncé  à l'idée de rédiger un LONG focus sur les fautes de français présentes dans #N1. D'un, parce qu'il m'arrive moi-même d'en faire... même si j'en fais infiniment moins que les rédacteurs de #N1. Même avant relecture et correction. De deux, parce que on m'aurait trop facilement accusé de lynchage vis à vis des rédacteurs de l'ouvrage. Et de trois, parce que je ris déjà d'éventuels futurs acheteurs qui penseront que j'exagère, et qui se rendront compte par eux-mêmes ,après avoir dépensés 16 euros, que la réalité est encore bien pire que celle que je décris dans cet article.

(3) « Nintenboy » désigne ici le boss de la publication, et non la publication en elle-même. A ce propos, il est d'ailleurs curieux qu'aucun Nintenboy n'apparaisse dans l'ours du magazine, et que ce dernier ne soit pas le rédacteur en chef de celui-ci - je connais le rédacteur en chef, Game and Wiitch. En cherchant un peu via le numéro SIREN de la société éditrice, on tombe sur un certain M. Djamal HAMOUR. Hypothèse : Nintenboy est en fait le rédacteur nommé Harvey « HD » Dollen dans la publication. Ceci dit... pourquoi tant de discrétion ? Et si je me trompe, alors... pourquoi tant de discrétion (encore +++) ? J'ai eu moins de mal à déterminer l'identité d'opposants iraniens qui écrivaient sous pseudo... et je ne blague qu'a moitié.

(4) Notation sur 20, 2 points pour une faute de grammaire, 1 point pour une faute lexicale, 0.5 point pour une faute d'accent (à concurrence de 2 pts). Barème officiel du Brevet des Collèges, auprorata. Les articles et paragraphes testés lors de ce petit exercice ne vous sont pas fournis, pour éviter de stigmatiser certains rédacteurs de N#1. Néanmoins, vous pouvez reproduire cette expérience à la maison sans aucun risque...

(5) Je ne pense pas que ce soit mon niveau de lecture qui soit en cause ici. Je peux lire l'Archipel du Goulag d'Alexandre Soljenitsyne tout en jouant à Final Fantasy XII, sans aucun problème de compréhension... et je l'ai vraiment fait, hein ! P.S. : pour être honnête, j'ai bien compris l'Archipel du Goulag, mais un peu moins FF XII...

(6) Il y a quasiment autant de manières de faire que d'ouvrages à vrai dire. Multiples phases de correction par l'auteur lui-même ; correction collégiale dans le cadre d'une revue écrite à plus de deux mains ; correcteur tiers employé, à titre gratuit, ou onéreux ; correcteur interne à la rédaction, ou fourni par un éditeur, correcteur recruté dans le cercle proche de ses connaissances, pour s'assurer de la confidentialité de l'ouvrage, etc... toujours est-il qu'il n'y a point d'ouvrage sérieux qui soit publié, et qui n'ait point employé de correcteur(s). Pour info, ce blog n'a aucun correcteur, si ce n'est moi-même, et les articles ne sont relus qu'une fois, immédiatement après rédaction, à chaud, et publiés ensuite dans la foulée. Une méthode très inefficace. Vraiment. Des fautes, et des maladresses, subsistent. Et pourtant... il y a infiniment moins de fautes dans cet article, que dans n'importe lequel pris au hasard dans N#1. Conclusion : les articles de N#1 n'ont subi aucune phase de correction.

(7) Console Syndrome propose des ouvrages « Wikipediesques », pourtant écrits avec talent. Peu de fautes (il y en  tout de même de temps en temps...), et une vraie démarche éditoriale, font de leurs ouvrages des incontournables.