Le 8 juin 2011 :

Aujourd'hui, les internes ayants à s'occuper des patientes des urgences à hospitaliser, ce fut un peu en roue libre.

Fanny et moi avons d'abord eu une patiente en protocole d'avortement médicamenteux et qui n'a toujours pas de métrorragie après une semaine de traitement. On sort l'échographe : l'embryon est toujours confortablement installé dans l'utérus, le palpitant encore en action. La patiente devra repasser vendredi, pour se faire aspirer sans éveiller les soupçons de son mari.

La suivante fut une femme d'une trentaine d'année avec des pertes de filaments blancs, des démangeaisons vaginales, des brûlures mictionnelles et des douleurs lors des rapports. Pour Jeanne, le diagnostic est évident, vu l'aspect rosi de la paroi vaginale : infection urinaire et mycose. Pénicilline et antimycosique, l'affaire est pliée.

J'ai aussi pu voir à l'échographie la grossesse extra-utérine d'une femme de 20 ans.
J'ai terminé ensuite la journée sur une patiente d'une quarantaine d'année qui avait une violente douleur en fosse iliaque gauche. Rien n'a été trouvé ; un avis a été demandé. Réponse peut-être demain. Ou pas, en l'occurrence.

Le 9 juin 2011 :

Ce matin, les urgences sont vides. Tout bon externe sait que ce genre de situation est un mirage !
En attendant que celui-ci se dissipe, tout ce que l'on a, c'est une patiente passée par les urgences générales, qui a des douleurs abdominales.
Les brancardiers ont réussi à fourrer un lit dans une salle d'échographie déjà pas bien grande. Moi et Jeanne devons passer un long moment à placer la malade sur le lit d'examen.

Donc. Patiente d'une trentaine d'années, finlandaise d'origine russe, en vacances avec son français de mari. Elle dit d'emblée être enceinte, préparant une surprise à son conjoint, qu'elle voit peu à cause de leur profession respective.
Je lui palpe l'abdomen, la localisation des douleurs est assez particulière : sous le foie et aux deux fosses iliaques.
Avant de commencer l'examen gynécologique, Jeanne demande si elle est habituée à cela. Ayant déjà un enfant avec le même homme, elle répond par l'affirmative et dit une phrase que je trouve légendaire :

« In Russia, we like to go deep ! »

Je n'ai pas pu m'empêcher d'éclater de rire.
Mais dès l'écho, changement de ton. La douleur au foie est dû au sang qui le compresse. Du sang ? On balaie le ventre. Du sang partout : un hémopéritoine, et pas un petit.
A l'écho endovaginale, ce qu'on craignait se présente. Une grossesse extra-utérine qui a abouti sur une rupture de trompe.

Ok. Elle se vide de son sang. Je crois que c'est ce qu'on appelle une urgence vitale.

Jeanne me dit d'appeler l'infirmière pour un contrôle instantané du niveau d'hémoglobine, pendant qu'elle prévient l'interne de gynéco, qui confirmera le diagnostic avant de sonner l'interne d'anesthésie et sa chef.
En moins de cinq minutes, nous sommes au moins une dizaine dans la salle exiguë, entre les infirmières qui perfusent, l'interne d'anesthésie qui faisait son interrogatoire pré-opératoire et la chef de gynéco qui planifiait son bloc.
Une fois les préparatifs terminés, Jeanne et moi devons brancarder la patiente à l'étage de bloc. Dans la précipitation, je lui fais rouler le brancard sur le pied, et je dois faire l'autre moitié du chemin seul pendant qu'elle se tord de douleur.
La patiente, malgré une hémoglobine à 6 (la normale se situe à 12), est toujours bien consciente. On la laisse entre les bonnes mains des infirmières de bloc, un au-revoir et la journée peut continuer.

De retour aux urgences, nous voyons une femme avec une rétention trophoblastique. Bien qu'elle se montra gênée au premier abord, c'est moi qui m'occupa de l'examen complet. Pas de problème notable. A l'échographie : un embryon, mal implanté, dont la taille ne correspond pas à son âge de 7 semaines d'aménorrhée.
Dans ce cas, on ne fait rien : il y a de fortes chances que l'utérus rejette tout seul l'embryon. Sinon, on le provoquera.

La dernière, en second trimestre, est venue du service de gynécologie pour faire contrôler la présence de liquide amniotique dans son vagin. Le test rapide ne révélera rien.

Fin de journée !

Le 10 juin 2011 :

La matinée démarre sur les chapeaux de roue. J'arrive en retard, m'étant fait choper par ces @#€&% ! de contrôleurs. Au staff, le chef de service tente de faire une remarque. Mais, passablement énervé, je lui dis tout de go que je me suis fait serré et que j'ai la facture si ça l'intéresse. J'ai dû lui faire peur, vu que ça l'a calmé d'un coup. Je ne sais pas pourquoi, mais si, par bonheur, je parviens à être interne, mon goût pour la sédition va rendre mes futurs supérieurs fous de moi...
Direction les urgences, pour enfin commencer à travailler. Aurélie est la seule présente, Jeanne étant aux consultations. Une interne pour toutes les urgences... génial, je sens que ça va aller très vite aujourd'hui.

Je m'occupe d'une patiente voilée de la tête aux pieds, qui porte en plus un masque chirurgical « pour se protéger des allergies ». Ses antécédentes sont lourds : deux fausses couches tardives à 20 et 21 SA et un accouchement prématuré à 29 SA (la normale étant aux alentours de 38-40 SA).

Elle est déjà venue aux urgences pour des contractions et des saignements en début de semaine. Elle aurait dû être hospitalisée pour un cerclage à ce moment-là, mais elle a préférée décaler son entrée à la semaine d'après. Malheureusement, depuis, mercredi, les contractions et les saignements se sont accentués. Le col saigne, mais est néanmoins fermé.
A l'écho, le fœtus a un cœur qui bat et des mouvements vifs. Au moins, pas de souci à ce niveau.
Un peu plus tard, mon interne passe. Son deuxième interrogatoire nous informera qu'elle n'est pas suivie pour sa grossesse, ce qui est une bêtise vu ses multiples grossesses à risque.
De plus, le test chimique révèlera la présence de liquide amniotique intra vaginal. Elle va donc être hospitalisée sur le champ pour être tocolysée.

Ma deuxième patiente est une femme de ménage venue il y a une semaine pour des douleurs pelviennes. Celles-ci étaient sans doute liées au changement de position de l'utérus, mais l'interne d'alors n'avait pas détecté d'activité cardiaque, à 7 SA. La voilà donc pour une reconsultation.

Je fais donc mon examen : normal. A l'écho endovaginale, je trouve le sac embryonnaire. Le temps de scruter minutieusement la purée de pois à l'écran et de placer ma sonde au millimètre, et miracle ! Je détecte les battements du cœur. Je ne me sens pas peu fier...
Mon interne confirmera par la suite. Elle peut donc s'en aller.

Ensuite, probablement une façon pour le sort de me faire boucler la boucle, je revois la patiente pléthorique (120kg/168cm) que j'ai vu lundi. L'examen est normal, mais la β-hCG a bel et bien augmenté depuis. Ça pue donc la grossesse extra-utérine.

Je fais donc mon rapport à Jeanne, qui revient de la consultation. Au départ, elle en voulait à Aurélie de lui avoir gardé une patiente aussi « lourde » (haha !), mais dès que je lui ai dit l'avoir déjà examinée, elle soupire de soulagement et se contente d'aller lui parler.

Elle devra prendre un traitement médicamenteux pour évacuer cette grossesse et une aspiration est à tenter si cela se montre inefficace. Et pas de rapport non-protégés pendant au moins deux mois.
Problème : son copain ne supporte pas le préservatif.

« Oui, mais va falloir le faire madame, votre santé en dépend ! Ou bien pas de rapport pendant deux mois, ou bien, je ne sais pas, vous pouvez utiliser d'autres techniques... »

Oùlà, ça dérive ! Une ordonnance de Cytotec, et ouste.

Fin de journée !

Enfin, pas tout à fait. Je passe au service gynéco pour m'enquérir des nouvelles de ma patiente finlandaise de la veille. La circonscription de l'hémorragie et la salpingectomie se sont bien déroulés. Elle part dans le Périgord demain poursuivre ses vacances avec mari et enfant.
Avant que je ne parte, elle dit avoir quelque chose pour moi. Elle fouille dans ses affaires et en sort une bouteille de vodka russe. Elle dit que c'est un cadeau pour moi et toute l'équipe. Je suis un peu ému : c'est la première fois qu'une de mes patientes m'offre quelque chose... Bon, ok, c'est moi ET l'équipe, mais ça compte quand même, non ?
Tiraillé entre la garder pour moi et la boire sur le champ, je la laisse aux urgences.

Fin de semaine !