Les questions de droit et de jeux vidéo vous intéressent. J'en ai pour preuve la fréquentation et les réactions qu'ont suscité deux billets que je vous ai déjà proposé. Je n'ai pas obtenu toutes les réponses escomptées, mais tout de même de belles confirmations de ce que j'avais déjà exposé.

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En mars de cette année, je réagissais à une interview filmée par Samy_fit, où Julien Chièze déclarait qu'un acheteur ne bénéficiait que d'une licence d'utilisation lors d'un achat physique dans un magasin. Je m'étais alors employé à décortiquer un peu les textes pour y voir plus clair. Je vous laisse vous rafraîchir la mémoire ici, si vous le souhaitez.

N'étant néanmoins pas un juriste de métier, je souhaitais par la suite prendre contact avec un spécialiste de la chose. Pour profiter au maximum de cette rencontre, je vous avais sollicités afin de regrouper un maximum de questions juridiques. Cette spécialiste, je l'ai trouvée, mais après deux rendez-vous reportés son emploi du temps ne lui permettait pas de répondre aux nombreuses questions regroupées.

La personne en question s'appelle Laure Marino, elle est agrégée des Facultés de droit, spécialiste en droit de l'économie numérique et en droit de la propriété intellectuelle. Elle enseigne notamment à Strasbourg (c'est pourquoi je voulais faire une interview vidéo) et publie régulièrement sur ses thèmes de prédilection. Je suis donc déçu de ne pouvoir satisfaire à vos demandes (et d'en rendre compte sur Rue89), mais lorsqu'il faut répondre à une question, cela nécessite un travail référencé conséquent et vous savez aussi bien que moi que les journées n'ont que 24 heures. Je pense que Mme Marino prend systématiquement le temps de faire des réponses complètes, et il était impossible de ne passer que quelques minutes sur chaque question.

Néanmoins, je continue à suivre cette « ressource » très intéressante car l'éclairage du droit sur notre média et ses évolutions numériques revêt une grande importance. Nous sommes des joueurs, mais aussi des consommateurs. Sa dernière intervention dans « la semaine juridique », une publication professionnelle, confirme un certain nombre de choses et va même plus loin par certains égards concernant les logiciels (et donc partiellement les jeux) dématérialisés. Il faut préciser qu'un jeu est à mi-chemin entre le logiciel classique et l'oeuvre audiovisuelle ce qui complique encore un peu la chose.

Ce qui est certain

Je vais me répéter, mais ce n'est pas forcément inutile puisque certains n'y croyaient toujours pas lors de mon dernier billet qui abordait l'épuisement des droits. Dès lors que le produit concerné est une marchandise, le titulaire des droits les épuise lorsque cette marchandise est vendue pour la première fois. Ainsi, dans l'espace économique européen, cette marchandise peut librement circuler et être revendue sur le marché de l'occasion.

C'est le cas pour les livres, pour les CD, les DVD et les Blu-Ray par exemple. Ces biens sont matérialisés et je cite un passage des écrits de Laure Marino dans « la semaine juridique » :

Mais a-t-on affaire à une marchandise ? Pour les biens culturels classiques, matérialisés dans un livre, un CD ou DVD, la réponse est évidente ; la revente d'occasion est permise.

Je le redis donc, même si c'est évident : malgré les mentions souvent écrites au dos de nos jeux vidéo, il est parfaitement légal de les revendre. On ne fait pas que l'acquisition d'une licence, mais d'un bien physique. Une marchandise. Julien s'était, comme beaucoup d'entre nous laissé prendre par ces affichages sur les jaquettes de jeux.


L'interdiction de revente n'a aucune valeur en France

 

Pour les jeux dématérialisés aussi ?

Ce qui est très intéressant dans ce qu'expose Laure Marino dans son article, c'est que le principe d'épuisement peut également s'appliquer aux logiciels téléchargés, dès lors qu'il s'agit d'une vente et qu'on peut ainsi les définir comme des marchandises. Dématérialisées certes, mais des marchandises tout de même. Le cas de l'arrêt « Usedsoft » relève de cette situation. La Cour de Justice de L'union Européenne a en effet statué que

le droit de distribution de la copie d'un programme d'ordinateur est épuisé si le titulaire du droit d'auteur, qui a autorisé, fût-il à titre gratuit, le téléchargement de cette copie sur un support informatique au moyen d'Internet, a également conféré, moyennant le paiement d'un prix destiné à lui permettre d'obtenir une rémunération correspondant à la valeur économique de la copie de l'œuvre dont il est propriétaire, un droit d'usage de ladite copie, sans limitation de durée.

Et donc

le second acquéreur de ladite licence ainsi que tout acquéreur ultérieur de cette dernière pourront se prévaloir de l'épuisement du droit de distribution

Cela peut-il s'appliquer au jeu vidéo ? La réponse de Laure Marino est claire.

La solution est-elle applicable au-delà, pour le marché d'occasion du jeu vidéo, des livres numériques, de la musique et des films téléchargés ? Il me semble que oui.

En France, il me semble que personne n'est encore monté au créneau pour trancher la question et mettre les éditeurs / distributeurs devant leurs responsabilités afin d'avoir le droit de revendre les jeux qu'ils sont acquis via des systèmes comme le SEN ou le Xbox Live. Il est peu probable qu'un particulier se saisisse de la question. Une association peut être ? Cela pose en tout cas un certain nombre de défis techniques et économiques pour tous les acteurs du secteur.

Les brevets déposés par un certain nombre de pointures du secteur numérique prouvent que le marché va sans doute s'ouvrir à la cession des biens dématérialisés. Reste à trouver un modèle qui puisse satisfaire aussi bien les consommateurs que les industriels.

 

Les courtes citations utilisées dans ce billet sont tirées de l'édition générale de la semaine juridique N°36 (édition générale) datée du 2 septembre 2013 Les défis de la revente des biens culturels numériques d'occasion parLaure Marino

Le texte intégral n'est pas disponible librement en ligne

 

PS :  Pour ceux que le titre chagrine, il ne s'agit pas d'une attaque virulente envers Julien, mais d'une accroche qui résonne par rapport à la première qui avait été faite. Dans ce premier cas également, il s'agissait plus d'interpeller sur un ton bon enfant pour introduire le développement, que de contredire l'intéressé pour le plaisir.