Nous sommes nombreux ici à jouer aux jeux anciens, par nostalgie d'une part mais aussi et surtout parce que nous estimons que leur gameplay est encore, pour certains, absolument inégalé par les dernières sorties. Les consoles post-16 bits nous ont apporté la 3d, les jeux "cinématographiques", et des techniques de représentation proches du réel. Mais toutes les consoles récentes, de la Playstation à la Game Cube, ont imposé des contraintes techniques aux créateurs dans ce qu'ils voulaient nous montrer en 3d, alors que la SNES ou la Megadrive n'avaient quasiment aucune limite dans le domaine de la 2d (en dehors peut-être du nombre de couleurs). On a donc connu, vers la "fin de vie" de ces deux consoles, des jeux dont on a longtemps pensé (ou voulu penser) qu'ils resteraient à jamais des maîtres étalons dans leur genre respectif et ne pourraient jamais être dépassés.

Ce fut par exemple le cas de Yoshi's Island. Cette patte graphique, cette émotion transmise du créateur au joueur, ont fait écrire à la presse de l'époque que ce jeu éclipsait à lui tout seul toutes les sorties 32-bit de Noël 95. Et ce fut effectivement le cas. Qui se souvient vraiment de Toshiden, Twisted Metal ou Motor Toon Grand Prix ? Yoshi Island a eu droit à une réédition sur GBA et à une suite sur Nintendo DS, preuve de la marque indélébile qu'il a laissée, dans les charts comme dans l'imaginaire collectif. A l'opposé de ce triomphe, Star Wing tentait le pari de la 3d sur la même console. Malgré ses qualités ludiques, ce jeu semblait revenir à des graphismes "cubiques" d'un autre temps. On comprit alors qu'une nouvelle génération de consoles allait voir le jour, mais on était loin de se douter que la 3d allait, de longues années durant, représenter un frein à l'épanouissement esthétique des jeux. Un pas en avant, deux pas en arrière..

Aujourd'hui, alors que les consoles new-gen ont déjà fait étalage de ce dont elles sont capables, on arrive au stade où les créateurs ne sont quasiment plus limités par le hardware pour retranscrire leurs visions, où des questions comme "ce boss est-il trop gros pour être affiché par la console" semblent ne plus se poser. Un jeu comme Gears of War permet des batailles urbaines d'une intensité jamais ressentie auparavant, Table Tennis est incontestablement le meilleur jeu de ping pong depuis 25 ans, et très objectivement un amateur de basket "fun" pourra difficilement dire que l'"antique" NBA Jam est "mieux" que NBA Street. Alors, le retrogaming comme "recherche des meilleurs jeux sans considérations générationelle" est il mort ? Ne va-t'il rester à moyen terme que la mouvance "rétro-nostalgique T-shirt ATARI" ?

En dehors des considérations purement grospixelo-centrées, cette question en soulève une autre : un jeu réalisation sans limitation autre que le temps et le coût de développement, donc a priori sans contrainte technique majeure, est il intrinsèquement meilleur qu'un jeu dont on sait que ses auteurs ont du composer avec un hardware faiblard, même pour son époque dans certains cas ? J'ai personnellement la naiveté de croire que l'ère de l'esbroufe technique touche à sa fin, que nous ne subirons plus de jeux comme Forsaken, dont le seul interêt était de montrer que les développeurs maitrisaient à présent les effets de lumière. Néanmoins subsiste le risque pour les créateurs de se "perdre" dans la montagne de choses qu'ils peuvent offrir, et dans ce cas là on peut estimer qu'un hardware limitatif peut les canaliser

On pourra me rétorquer que les anciens jeux n'ont jamais été aussi visibles, que la pratique du retro-gaming est totalement entrée dans les moeurs grâce à des supports comme le Live-Arcade, le PS Network ou la Virtual Console. Mais un tel système, rigoureusement légal et moins underground que l'émulation, n'a-t-il pas ses propres vices ? Ne risque t'il pas de mettre en l'évidence dans l'esprit des gens la différence entre les "vrais" jeux (ce qu'on achètent en DVD et en grande surface) et les "petits" jeux (qui ne pèsent que quelques centaines de Ko et qu'on télécharge contre 5€ comme on achèterait une sonnerie de téléphone portable ou un remake en java) ? En plus de cette dévalorisation due au support, ont peut penser qu'il y a un danger certain à laisser un patrimoine vidéoludique être "sélectionné", trié par des gens autorisés avant d'être montré au plus grand nombre ? Qui se souviendra au final qu'il existait sur PC Engine non seulement PC Kid, mais aussi Toilet Kid, sur SNES non seulement Supe Mario Bros, mais aussi Ren & Stimpy Show ?

En relisant mon texte, et en observant la manière (parfois très méprisante) dont ont été accueillis les rééditions récentes de jeux comme Centipede, Gyruss ou Xevious, j'ai presque envie de comparer le sort actuel des jeux anciens vendus en ligne à celui de personnes âgées que leurs enfants et petits enfants vont voir une fois par semaine à l'hospice. Et pourtant, comme ces vieillards, ils ont encore tant à nous apprendre..