F-Zero par-ci, F-Zero par-là, F-Zero par-ci, F-Zero par-là, F-Zero par-ci, F-Zero par-là… Avec autant de conviction qu’un chevalier de la Table Ronde, nombreux sont les joueurs à réclamer le retour du Saint Graal sur console Nintendo. Hélas, après dix ans d’absence et un épisode sur GBA sorti uniquement au Japon, le temps comme les mots, finissent par manquer. Et si le salut venait de la concurrence ? « The Next Penelope », jeu de course et d’action futuriste, assume sans fard sa filiation avec le Captain Falcon. Annoncé dans un premier temps sur PC, c’est tout naturellement que ce titre 100% français prendra le départ sur Wii U, courant 2015. Entretien avec son concepteur, le très indépendant Aurélien Regard.

Aurélien Regard, avant d’évoquer plus en détails « The Next Penelope », racontez-nous votre parcours dans le monde merveilleux du jeu vidéo...

Avec mes 34 ans, je viens d'une époque où il n'y avait pas d'écoles de jeux, et très peu de studios indépendants. J'ai donc fait beaucoup de métiers avant d'arriver à accrocher le wagon. De la retouche photo pour des cosmétiques, des sites internet, de l'illustration pour enfant, des cartoons en flash, des jeux de téléphone sur les vieux Nokia... Et puis un jour, j'ai trouvé quelqu'un d'assez fou pour monter un studio de jeu avec moi. L’aventure Arkedo était née.

Quel a été l’élément déclencheur ?

La sortie de la Nintendo DS. Cette console m'obsédait. J'étais complètement fasciné par des jeux bizarres comme « Feel the Magic » ou « Electroplankton ». C'était le moment de voir si on pouvait tenter des trucs nous aussi.

Malgré le succès critique de titres comme « Nervous Brickdown »  ou « Big Bang Mini », l’aventure Arkedo a pris fin….

Dès le départ, Arkedo était une bande de potes, avec de vrais salaires et de vrais coûts. Entre temps, le marché du jeu vidéo a beaucoup changé : il devenait difficile de faire des jeux de niches comme on les aimait sans aller dans le mur. On a préféré arrêter proprement, au moment où tout le monde pouvait avoir un peu de sous pour voir venir, plutôt que d'essayer de continuer à tout prix avec une équipe réduite dans une ambiance bizarre. C'est une décision que les gens ont du mal à comprendre parfois, mais qui faisait complètement sens à l’époque. C'est aussi ce qui fait que nous sommes toujours amis aujourd’hui, et que l’on continue à programmer des petits jeux pour le plaisir, comme Poöf versus the Cursed Kitty (Steam).

Après cette expérience, il a fallu rebondir…

Deux choix s’offraient à moi : trouver un travail, ou essayer un truc tout seul, pour voir ce que ça pouvait donner. Et l’idée de « The Next Penelope » a commencé à germer…

Quelles ont été vos motivations premières dans la conception de « The Next Penelope » ?

J'avais très envie de faire un jeu de course à la Micromachines, dans une ambiance proche d’Ulysse 31. De la mythologie grecque, dans l'espace, avec de la musique électro-disco... Qui peut résister ? Pas moi en tout cas ! Plus sérieusement, quand j'ai relu la véritable Odyssée, le personnage d'Ulysse était très éloigné de mes souvenirs. J'ai donc opté pour sa femme, Pénélope, qui est normalement assez passive, avec l’idée d’en faire un véritable personnage de jeu d’action.

Quel est le concept du jeu ? Ses mécaniques ?

« The Next Penelope » mélange l'action, la stratégie et le danger sur fond de courses nerveuses. Les armes spéciales peuvent être utilisées à tout moment -pas besoin de ramasser des bonus sur la piste- mais coûtent de l'énergie vitale au vaisseau, forçant le joueur à prendre des risques.

Et Pénélope dans tout ça ?

Elle parcourt la galaxie à la recherche d'Ulysse, et doit pour cela explorer les huit planètes du jeu, dans n'importe quel ordre. Avec à chaque fois, des challenges dédiés, des situations uniques, des courses, des boss de fin de niveau, et des améliorations permanentes  à débloquer. « The Next Penelope » est autant un jeu de course qu'un pur jeu d'action.

Un mode multi-joueurs est-il à l’étude ?

Oui, mais façon « canapé entre potes ». Je suis trop débutant pour m'attaquer au online. J'évite de promettre des choses que je ne pourrai pas tenir.

Des bolides flashy, une vitesse de jeu épileptique… En regardant « The Next Penelope », difficile de ne pas faire le rapprochement avec un certain F-Zero…

Effectivement, et pas seulement dans l’aspect esthétique. Dans « F-Zero GX », on pouvait sacrifier de la vie pour booster. « The Next Penelope » reprend cette donnée stratégique. Toutes les aptitudes du vaisseau que vous pilotez pompent de l'énergie : booster, mais aussi tirer, poser des mines, se téléporter, utiliser le grappin ou l'absorbeur de tirs... Le jeu devient très tactique par moment. C’est ce qui le rapproche le plus d’un F-Zero.

Vous souvenez-vous de votre première fois avec F-Zero ?

C’était sur Super Nintendo. Comme Starfox, l’expérience était tellement nouvelle pour l'époque que j’ai eu peur d'y jouer la première fois ! C'est souvent bon signe quand un jeu vous bouscule au début. Aujourd'hui encore, j'adore ses musiques, ses couleurs, et la simplicité des contrôles. Même si graphiquement, ça pique les yeux de beaucoup de gens, je le trouve encore très beau et chargé d'une ambiance assez unique.

Votre épisode préféré ?

J'hésite entre F-Zero GX et le tout premier. Ils sont tous les deux très bons. Les épisodes GBA étaient cool aussi... Impossible de choisir, en fait. J'ai moins joué à l'épisode N64, je l’avoue.

De façon assez incompréhensible, Nintendo semble réticent à l’idée de développer un nouveau F-Zero, pourtant réclamé avec force par les joueurs. Un retour de la licence est-il possible selon vous ?

Ça me parait fou qu'il n'y ait pas encore de F-Zero sur Wii U. C'est typiquement le genre de titre que Nintendo peut sous-traiter et uniquement superviser. Ils ont déjà les squelettes techniques avec les Mario Kart. J'ai beaucoup de mal à croire qu'il n'y ait pas un début de production lancé quelque part, dans un studio au Japon ou aux États-Unis. Ou alors il y a une raison qui m'échappe...

Revenons à « The Next Penelope ». Votre projet. Vous êtes d’ailleurs seul à la man½uvre pour tout faire. Quels sont les avantages de cette démarche ?

Il y a deux avantages : tout contrôler, et coûter très peu cher comparé à un vrai studio. Du coup, pas besoin que le jeu marche fort pour pouvoir en faire un deuxième, et je fais exactement le jeu auquel j'ai envie de jouer. C'est une situation extrêmement précieuse d'un point de vue créatif.

J’imagine qu’il y a aussi des inconvénients…

L'inconvénient est évident : consacrer temporairement toute sa vie à un jeu, sans aucune sécurité financière.

Vous arrive-t-il de regretter ce choix ?

Je ne sais pas combien de temps je vais tenir. Ce serait chouette un jour d'avoir un week-end sans bosser, ou d'avoir la conscience tranquille avec un salaire qui tombe régulièrement, mais je ne regrette absolument rien pour le moment. Tout se passe vraiment pas mal !

« The Next Penelope » est prévu sur PC et Wii U. Pourquoi avoir privilégié la plate-forme de Nintendo sur un marché des consoles qu’elle ne domine plus ?

Soyons honnêtes : je me doute que le portage depuis le PC ne va pas me rendre riche en termes de ventes. Les gens achètent une Wii U avant tout pour les titres first party, et survolent souvent les titres eShop. Mais depuis la NES, j'ai un gros affect pour les plates-formes Nintendo, et j'avais très envie de tenter le coup. C’est une décision assez spontanée, je n'ai pas réfléchi pour savoir si la niche était assez importante ou non pour m’y retrouver financièrement. On verra bien. Surtout, j’entretiens une relation très agréable avec les joueurs Wii U, qui viennent me voir sur les salons ou me parle sur Twitter. Cela donne envie de faire les choses comme il faut.

Comment un développeur indépendant, français, seul à bord, sans gros appuis financiers ni réseaux avancés, parvient-il à convaincre Nintendo de soutenir son projet ?

J'ai soumis mon jeu à une adresse spécifique sur le site de Nintendo. A partir de là, le constructeur fait son travail , regarde votre parcours, les jeux que vous avez déjà sorti au fil des ans, la qualité du projet. S’ils sont séduits, ils vous contactent. C’est ce qui m’est arrivé. Il faut alors signer des documents, certains confidentiels, s’entretenir avec des personnes déterminantes qui seront à même d’expliquer comment recevoir le matériel nécessaire. J'ai eu beaucoup de chance, car les gens avec qui je suis en contact ont l'air de bien apprécier « The Next Penelope ». Du coup, ils font de véritables efforts pour comprendre que je suis seul pour tout faire. Quand ils le peuvent, ils rendent la relation la plus naturelle possible, que ce soit du côté du support technique ou côté business. J'ai l'impression de parler à des humains et non à des robots pénibles. Une chouette surprise.

Est-ce difficile de développer sur Wii U ?

En général non, mais pour moi oui ! Je débute et je dois apprendre tout un tas de nouvelles règles, très particulières, par rapport au PC. Ceci étant, les gens de Nintendo Europe m’aident énormément. Je suis assez confiant sur le fait que tout se termine bien.

Sur Wii U, les possibilités de gameplay offertes par le Gamepad sont assez nombreuses, quand on veut bien s’en donner la peine. Avez-vous déjà réfléchi à la façon d’interagir avec ce périphérique ?

Oui, énormément, surtout en ce qui concerne le multi-joueurs. Mais il faut d'abord que le jeu tourne parfaitement sur la console avant d’attaquer cette partie. C'est la première fois que je code un jeu pour la console, donc le premier objectif pour moi est de passer des 30fps que j'ai actuellement, à 60fps, pour que le jeu soit parfaitement fluide. Après cette période d'optimisation, je pourrais enfin commencer à m’attaquer au Gamepad et tester mes idées bizarres. Ce serait vraiment dommage de laisser ce périphérique inutilisé.

Avec autant de responsabilités, à quoi ressemble une journée-type d’Aurélien Regard ?

Marrante cette question. J'ai l'impression d'être Céline Dion. La première année, je jonglais entre les graphs, le code, et la musique, avec des journées de 10 heures. Depuis la Gamescom et la PAX, l’attente autour de « The Next Penelope » n’a cessé de croître. A présent, ma journée-type commence vers 11 heures, pour répondre aux mails (contrats, portages consoles, presse, communauté, playtests...) et ce, jusqu'à 17 heures. Ensuite, je m’occupe vraiment du jeu, jusqu'à très tard. Composer la musique en milieu de nuit me détend par exemple. « The Next Penelope » est un travail à plein temps : minimum six jours sur sept, souvent plus.

Combien coûte un projet de l’envergure de « The Next Penelope » ?

Aucune idée précise en termes de sous purs, mais pour faire simple, partons d’un constat : « The Next Penelope », c’est 1 an et demi de travail à plein temps. Ramené à la vie quotidienne, à savoir une vie d'adulte, avec un loyer à payer, la logistique et deux conventions à l'étranger, cela équivaut à environ 40 000 euros. Autant dire que je peux remercier Pôle Emploi. Sans la première année de financée, « The Next Penelope » n’existerait pas aujourd’hui.

Comment est-il financé ?

La première année du développement a été financée par mes indemnités chômage. Puis j'ai torpillé mes économies jusqu'à arriver à zéro, voire moins ! Heureusement, un partenariat avec un distributeur PC m'a permis de gagner des avances sur recette. Une bouffée d’oxygène. Sans oublier l’aide de tous ceux qui pré-commandent « The Next Penelope » sur le site officiel.

Avez-vous déjà chiffré le volume de ventes que « The Next Penelope » doit atteindre pour être rentable ?

Il y a bien évidemment un seuil de ventes pour que je retrouve mon investissement et que je puisse faire un second jeu. Il est d’ailleurs beaucoup plus bas que pour la majorité des autres studios : vendre 10 000 exemplaires serait un succès pour moi, alors que pour beaucoup, ce serait la catastrophe. Ça détend !

Plus largement, entre AAA à foison, essor des titres indépendants comme le vôtre, quel regard portez-vous sur l’évolution du marché du jeu vidéo ces dernières années ?

Si c’est le joueur qui parle, alors je ne pense pas que l’on ait connu de meilleure période pour jouer à des jeux aussi variés, nombreux, et peu chers qu'actuellement. Maintenant, en tant que développeur, je regrette que beaucoup de joueurs, moi le premier, passent plus de temps à acheter des dizaines de titres en soldes, plutôt que d’y jouer réellement. A force de consommer à la chaîne, certains joueurs finissent pas saturer, et ne prennent plus autant de plaisir qu’avant, surtout sur PC. La Wii U a l’avantage d’avoir un catalogue de jeux assez resserré. Les gens peuvent donc y consacrer du temps, nécessaire à la découverte, au lieu d'être dans une logique de zapping frénétique. Il faut encourager cet état d’esprit. C'est la seule façon de se construire de chouettes souvenirs de joueurs.

Oublions quelques instants le développeur, et laissons parler le joueur. Quel regard portez-vous sur la Wii U ?

C'est une belle console. Il était temps de retrouver l’univers Nintendo en HD. Il y a eu de très bonnes utilisations du gameplay asymétrique aussi : je suis un grand fan du jeu de Mario Chase dans Nintendo Land par exemple. Sa ludothèque a mis du temps à s'enrichir, mais elle devient consistante, avec en bonus, des jeux indés de qualité comme Shovel Knight. Si je devais apporter un bémol, je dirais qu’il y a certaines interfaces encore un peu lourdes comparées à des plates-formes comme Steam. Ceci dit, une fois un bon jeu lancé, cela n'a plus d’importance.

Justement, à quoi jouez-vous en ce moment ?

Je n'ai plus beaucoup de temps pour jouer, malheureusement. Je peux citer “Ittle Dew” et “Gods Will be Watching”, que j’ai vraiment appréciés sur PC. Je joue également aux épisodes de Walking Dead avec ma femme. En fait, j'ai surtout hâte de rattraper le temps perdu. Je n’ai pu jouer que deux petites heures à Mario Kart 8. Très frustrant vu la qualité du jeu.

Aurelien Regard | GAME MAKING BLOG

Laissons le dernier mot à « The Next Penelope », dont la sortie est prévue pour…

Janvier sur PC, afin d’éviter la confrontation avec tous les titres de fin d'année. Quant à la version Wii U, je table sur une sortie en milieu d'année 2015. Peut-être un peu plus tôt, peut-être un peu plus tard, selon le développement. Pour l'instant, tout se passe plutôt pas mal !

                                                                                                                             Propos recueillis par Derrick