Avant-propos: suite au premier billet sur mon avis du jeu, voici un billet consacré au scénario du jeu et ses strates et sens caché, avec une explication chronologique des évènements du jeu, que j'ai pu récolter notamment sur un sympathique topic de CanardPC, et tenté de proposer des petites explications pour éclairer les zones d'ombre, notamment la fin.

Evidemment, pour ceux qui n'ont pas fait le jeu, SPOILER ALERT

La fin marquera probablement les esprits grâce à de magnifiques rebondissements, une mise en scène somptueuse et une volonté d'apporter une réflexion sur non pas la condition du joueur comme le premier, mais plus sur le jeu en lui-même, ce qu'il représente par rapport au joueur. Evidemment, on pourra pester contre une histoire qui est prévu depuis le début, de rebondissements prévisibles comme le lien de parenté entre Elizabeth et Booker, ou le fait que Comstock soit un Booker d'une dimension parallèle, celui qui a fait les mauvais choix. Toujours est-il que l'histoire a le mérite d'être amené petit à petit, grâce à des indices parsemés un peu partout, et que l'histoire se révèle bien plus cohérente, notamment sur un second run où on regarde des éléments d'une autre façon. Afin de bien comprendre ce qu'il se passe, voici un résumé chronologique de l'histoire du jeu avant le début, en incorporant les différentes révélations de la fin, qui comportent les détails de l'histoire ainsi que celle entendues dans les vox.

Booker Dewitt est donc avant tout un ancien soldat, qui a combattu pour les Etats-Unis. Il s'est battu aux côtés de Cornelius Slate, jusqu'au massacre de Wounded Knee en 1890, qui a vu la tuerie d'une centaine d'Indiens alors que ceux-ci commençaient à être désarmés. Booker a été surnommé "l'Indien Blanc" après sa bataille, Slate rapportant que Booker n'hésitait pas à ramener des trophées de ses victimes. Dewitt quitte l'armée et part chez les Pinkerton afin d'oublier toutes les horreurs qu'il a commises, mais cela ne l'arrangera pas, car les Pinkerton ont des méthodes très musclées afin de calmer les grèves. Booker quitte Pinkerton pour devenir détective privé, mais il n'arrive pas à se sortir de la tête toutes ses horreurs. Il se tourne alors vers la religion, et le prêtre l'invite alors à être baptisé pour être lavé de tous ses pêchés. Il accepte le baptême et se renomme Zachary Hale Comstock.

Booker devenu Comstock, celui-ci voit le monde différemment. Afin d'expier ses pêchés, il décide de les accepter et même de croire que c'était indispensable, en particulier le massacre de Wounded Knee. Un ange de Dieu nommé Columbia lui apparaît et lui prédit qu'il fondera une cité au-dessus des nuages afin de faire naître la justice sur le monde. Comstock y croit dur comme fer, se revendique comme un prophète et se verra changer sa vision du monde, allant jusqu'à considérer la race blanche comme supérieure aux autres. En 1893, il rencontre Rosalind Lutece, fameuse physicienne quantique et avec l'aide de l'Amérique, il crée une ville appelé Columbia, pouvant se déplacer dans les airs, et crée les Fondateurs, dont il sera à sa tête. Comstock continue sa campagne afin de montrer au monde que Columbia représente les véritables idéaux américains, confirmant la toute puissance de son pays.

En 1901, la révolte des Boxers éclate à Pékin. Comstock découvre que les chinois ont pris des américains en otage et sur sa propre demande, il dirige Columbia et anéanti la révolte grâce à la puissance de feu de sa cité. Le gouvernement américain découvre alors la puissance de Columbia et décide de la bannir de son pays, de peur que Comstock s'en prend à eux. Fou de rage envers le pays qu'il croyait appartenir, Comstock s'envole avec Columbia et ses habitants et jure de prendre sa revanche, prétextant que Columbia est la seule et véritable Amérique. La cité disparaît alors sans laisser de traces.

Dans la cité de Columbia, Rosalind Lutece continue ses expérimentations sur la physique quantique et découvre l'existence de failles, qui donne sur d'autres dimensions à d'autres époques. Elle fait alors la connaissance de Robert Lutece, lui aussi physicien, mais étant une version alternative d'elle-même où la fille est cette fois un garçon. Elle décide de travailler avec lui et de le considérer comme son frère. Rosalind fait part de sa découvert à Comstock et y voit une manière d'accroître la puissance de sa cité et de pouvoir dominer ce qu'il appelle la Sodhome Inférieur, ou tout simplement le monde d'en bas. Il commence à utiliser les failles pour voir le futur et les autres mondes alternatifs. Malheureusement, l'utilisation excessive provoque un vieillissement accéléré ainsi que sa stérilité. Voulant absolument que ce soit son sang qui assouvira sa vengeance suivant sa prophétie, et personne d'autre, il décide d'utiliser les failles pour trouver une version alternative de lui-même pour lui voler sa progéniture.

Il découvre un autre Booker Dewitt, qui n'a pas accepté le baptême des années auparavant. Mais il n'a pas réussi à chasser ses démons, s'est noyé dans l'alcool malgré la fille qu'il a réussi à avoir, une fille du nom d'Anne, dont la mère est morte en couches. Le 8 octobre 1893, criblé de dettes, Robert vient le voir et demande à Booker de ramener sa fille pour effacer ses dettes. Et Booker s'exécute, vendant son propre bébé à Robert. Mais rongé par le remord, Booker part à la recherche de celui qui détient sa fille, et découvre Comstock et Robert, sur le point de faire traverser Anne par la faille pour la conduire à Columbia, dans l'autre dimension où attend Rosalind. Booker tente de reprendre sa fille en vain, la faille se referme de justesse, emportant le petit doigt de sa fille qui restera dans sa dimension. Ivre de désespoir, Booker s'enferme dans un chagrin sans fin, allant jusqu'à graver les initiales de sa fille sur sa main droite, "AD".

Dans la dimension de Columbia, Lady Comstock voit le retour de son prophète de mari Comstock avec un enfant. Elle pense immédiatement que l'homme a eu une liaison avec Rosalind Lutece, la femme que son mari va voir très souvent. Niant la parenté de l'enfant, Rosalind se voit obligé de tout révéler à Lady Comstock, et celle-ci, voyant la folie de son mari, décide de tout révéler à la population de Columbia. Ce que Comstock ne laissera pas faire et tuera sa femme en faisant passer le meurtre pour un assassinat causé par un bouc émissaire, en la personne de Daisy Fitzroy, qui suite à la fuite et à la colère envers les Fondateurs, Daisy Fitzroy fondera la Vox Populi.

Comstock de son côté, prévoyant que le Booker alternatif pourrait très bien aller chercher sa fille, l'enferme dans Monument Island et invente une histoire de faux berger et d'agneau en utilisant la cicatrice de l'autre Booker qu'il a pu voir via une faille pour mettre la population sur ses gardes. Il découvre que l'enfant possède des pouvoirs étranges liés au faille, que Rosalind attribue au fait qu'une part de l'enfant est resté dans une autre dimension (le petit doigt), et que la présence d'un même corps dans deux dimensions différentes a provoqué des boulversements chez Anne devenu Elizabeth. Comstock décide de continuer ses expériences sur elle et de constuire un appareil, le Siphon caché dans Monument Island pour limiter ses pouvoirs. Il demande à Fink, son inventeur, de créer un Protecteur afin de veiller sur Elizabeth et Songbird fut inventé. D'abord ami et confident de la jeune fille, celle-ci grandit et y verra plus son geôlier, sans pour autant le condamner.

Rosalind et Robert voyant les pouvoirs de la fille et ayant vu ce qu'elle va devenir, il prévoit de renvoyer la fille dans sa dimensions. Ayant eu vent de leurs agissements, Comstock demande à Fink de trafiquer la machine aux failles pour se débarasser d'eux, mais l'accident a eu pour effet de transformer les deux Luteces et de leur donner le pouvoir de maîtriser l'espace temps et de passer comme ils veulent entre les dimensions en un clin d'oeil. Ils décident d'en profiter et d'aller chercher l'ancien Booker en 1912 afin de le faire traverser la faille vers Columbia et de lui demander de ramener sa fille. Sauf que la traversée de la faille cause des effets secondaires à Booker qui mélange ses souvenirs, et Robert se sert du fait qu'il ne se souvient que du "Ramenez la fille et on effacera vos dettes" pour justifier sa mission sans pour autant lui dire la vérité. Les Luteces le conduisent alors en barque près du phare où il pourra embarquer vers Columbia et ramener sa fille.

Ainsi démarre l'aventure de Bioshock Infinite, où Booker traversera la ville de Columbia, retrouvera Elizabeth, découvrira le pouvoir des failles et découvrira la vérité sur Comstock et Elizabeth. La fin du jeu montre Elizabeth en tant qu'être omniscient, capable de créer des failles à volonté et de se déplacer comme elle veut. Elle expliquera à Booker tout ce qui s'est réellement passé, et à travers une magnifique séquence où des phares s'étendent au loin, explique que le monde est fait de possibilités infinies, de réalités alternatives. Toutes ces dimensions sont de toute façon purement théoriques, et l'équipe de développement utilise les principes non vérifiés de la physique quantique et surtout du fameux cas du chat de Schrödinger. A l'époque, le physicien a imaginé une expérience particulière. Un chat est enfermé dans une boîte opaque où il n'y a aucun moyen de vérifier ce qu'il y a à l'intérieur, et on y trouve un mécanisme qui empoisonne le chat s'il est déclenché. Mais celui-ci est déclenché une seule fois de manière aléatoire. Au moment où le chat est mis à l'intérieur et le dispositif possiblement déclenché, on ne sait pas si le chat est mort ou vivant. A cet instant précis, et tant que l'observateur n'ouvrira pas la boîte pour constater le résultat, le chat se trouve dans deux états à la fois: mort et vivant. Car les probabilités qu'il soit l'un ou l'autre sont égales.

Cela crée donc deux réalités qui se superposent l'une par-dessus l'autre. L'une où le chat est vivant, l'autre où le chat est mort, le point de divergence étant le moment où on ouvre la boîte. Tant que celle-ci n'est pas ouverte, il n'y a pas de divergence et la vie suit son cours. C'est pareil dans ce Bioshock Infinite, où le jeu vous propose de temps en temps des choix qui n'ont à priori aucune incidence, mais qui par définition vont altérer la réalité qui sera la vôtre, même si elle n'a aucune conséquence. Mis à part les fameuses constantes qu'explique Elizabeth et qui peuvent s'apparenter aux séquences scriptées que tous les joueurs vont vivre, le reste du temps, chaque choix verra son aventure devenir de plus en plus unique. Le fait de lancer la pierre sur le couple ou le présentateur va provoquer à chacun des choix une réalité. Tant que la pierre n'est pas lancé, et si elle n'est pas lancée (ce qui n'est pas possible dans le jeu), la réalité ne se modifiera pas. Cette théorie reste une théorie, et il ne faut pas avoir de preuve concrète, puisque aucune expérience permet de le prouver, puisque la science ne donne pas la possibilité de revenir en arrière pour changer ses choix.

C'est cette infinité de possibilités que montre Bioshock, le fait que les choix influent directement ou indirectement sur le futur de beaucoup de choses. Comme le premier épisode était aussi un discours sur le jeu vidéo et sa linéarité, Bioshock Infinite pose là aussi sa volonté de nous montrer le média sous un nouvel angle. A travers la séquence de fin où Elizabeth nous montre cette multitude de phares conduisant potentiellement à un Columbia, elle explique qu'il ya  toujours un homme, un phare, une jeune fille à délivrer comme un potentiel méchant. Le jeu vidéo est comme ça: une structure identique. Un héros, un point de départ et une mission. C'est à la fois une critique et une confirmation, sur le fait que les jeux vidéos, aussi couillue soit-il, restent sur une même base et que finalement, ce soit le voyage qui l'emporte, ce que nous éprouvons au cours du jeu qui change par rapport aux autres.

Ce sentiment, Bioshock Infinite l'a bien compris en imposant les constantes expliqués par Elizabeth au cours du jeu. Les scènes scriptés, ou encore le fameux pile ou face des Lutèces en début du jeu. Les Lutèces montrent que la pièce tombera toujours du même côté. Le sentiment est renforcé quand on se rend compte qu'à chaque fois qu'Elizabeth vous donne une pièce, celle-ci est aussi du même côté. Mais au-delà de ces constantes, on y trouve des choix. Le choix de lapider le couple ou le spectateur, le choix de l'oiseau ou la cage, le choix de tuer ou pas Slate, et même d'en avoir l'occasion lorsqu'on le retrouve dans la prison. Mais plus généralement, c'est aussi le choix d'utiliser tel ou tel pouvoir constamment, de passer son temps à chercher tous les objets ou juste de se faire porter par l'histoire, d'utiliser un maximum les skylines ou de rester terre à terre. Chaque joueur verra son expérience unique, et Elizabeth le montre bien lorsqu'on voit, dans la séquence de fin avec les phares, tous les Elizabeth et Booker qui marche juste à côté d'eux, et qui représentent ces variantes d'univers et de réalités qui se retrouvent ici sans pour autant avoir fait la même chose.

Bref, ce Bioshock Infinite a le mérite d'apporter beaucoup de choses, surtout grâce à une séquence de fin qui restera sûrement dans la mémoire de beaucoup de joueurs. Le fait qu'il s'inscrive dans la saga permet aussi de faire le rapprocher de cette variété d'univers et de lier son discours sur le jeu vidéo avec le premier épisode. Chaque jeu a son héros, son phare, c'est aussi ce que la fin amène en amenant de façon concrète le joueur dans Rapture, ce qui est plus qu'un clin d'oeil, c'est aussi une façon d'appuyer son propos. Le fait que l'histoire et les personnages d'Infinite renvoient autant à ceux du premier n'est pas anodin et confirme la volonté du jeu de montrer le liant entre le jeu vidéo en général. Comstock est Ryan, Elizabeth est les petites soeurs, Songbird est le Big Daddy, et même les personnages secondaires comme les Lutèces avec Tenembaum peut aussi être souligné. Une saga qui n'a décidemment pas fini de révéler ses secrets.

En parlant de secrets, bientôt disponible la troisième et dernière partie de ces billets sur le dernier Bioshock, j'ai nommé Les secrets de Columbia!