J'en profite pour placer une sorte de semaine spéciale, où vous aurez droit chaque jour à un billet sur une oeuvre qui m'a marqué et m'a fait rêver, pour de multiples raisons. J'espère faire découvrir à ceux qui veulent s'y mettre des petites perles qui leur parleront. La sélection a été délicate, et ce n'est pas dit que je place un petit billet supplémentaire pour parler de mangas supplémentaires que je recommande. Les liens vers les différentes parties (mis à jour au fur et à mesure) sont en bas de la page.

Etant un énorme fan d'Urasawa, j'ai longuement hésité pour choisir une oeuvre devant sa bibliographie qui force le respect. J'ai opté néamoins pour 20th Century Boys, l'un des mangas qui m'a le plus pris au tripes pour de multiples raisons, surtout personnelles. Le bonhomme est à l'origine de Monster, Pluto, Happy! et récemment Billy Bat, et confirme son statut d'auteur à thriller, où l'on se délecte de son découpage, de sa mise en scène et de ses histoires qui tiennent longuement en haleine.

20th Century Boys raconte l'histoire de Kenji Endo, jeune homme qui s'occupe du convini familial en s'occupant de sa nièce que sa soeur a abandonné voilà des années. Une vie tranquille où il retrouve ses amis d'enfance pour partager les souvenirs, jusqu'au jour où son ami Donkey se suicide. Il commence à s'apercevoir que cet évènement n'est pas sans conséquences, et que certains "accidents" ressemblent étrangemment à des phénomènes qu'il avait imaginé avec ses amis étant gamin lorsqu'ils jouaient aux super-héros. Parallèlement, un mysérieux "Ami", chef d'une étrange secte, a l'air d'être lié à tout ça... Bref, un concept original et passionnant: et si vos imaginations d'enfants prenaient vie lorsque vous devenez adulte? Et si les aventures que vous aviez imaginé étant gosse, vous commencez à les vivre en cet instant, dans la réalité? Partant d'un postulat universel (les jeux d'enfants), Urasawa nous plonge au coeur d'un thriller passionnant et haletant.

La magie de la mise en scène ne s'arrête pas là. L'histoire explore continuellement la jeunesse des héros dans les années 60, et n'hésitent pas à inclure beaucoup de flashbacks à travers le temps pour répondre aux questions ou pour en poser des nouvelles. Mieux encore, divisé en 22 tomes, 20th Century Boys se divise en trois cycles, chacun arrivant après une ellipse temporelle de plusieurs années. On dévoile alors chacun des personnages au fil du temps, de l'enfance à leur vieillesse, les personnages à la fin de l'histoire ayant pris un sacré coup de vieux. L'histoire entière sera donc racontée sur plus de cinquante ans, sans jamais oublier leur objectif: arrêter Ami. Car tout comme Monster, Urasawa joue à fond la carte du mystère, mais en y rajoutant une couche: Ami serait un des amis d'enfance de Kenji et les autres, et les suppositions fusent, surtout au début. Evidemment, la révélation finale arrivera bien, en décevra certains, et trouvera le dernier mot sur deux derniers tomes publiés peu après la fin de la série, 21st Century Boys, qui conclut l'histoire (suite à des problèmes de santé de l'auteur, qui n'aurait pas pu finir la série comme il voulait).

20th Century Boys, c'est avant tout des personnages. Les premiers tomes seront surtout l'occasion de découvrir tous les camarades de Kenji, notamment lors de la veillée funéraire de Donkey où se réunissent ses anciens amis. Au début de l'histoire, l'intrigue est surtout posé avec de l'humour et une pointe de mystère pour faire monter doucement la sauce. C'est au fur et à mesure que l'intrigue se dévoile, et c'est lors du premier bond dans le temps que l'histoire entre dans sa phase centrale, avec des personnages disparues (notamment une, assez culotté), et d'autres qui reviennent, avec de l'assurance en plus, comme Kanna Endo, la nièce qui était bébé dans le premier cycle et devient un personnage principal dans le second, ou encore Yoshitsune, jeune cadre timide et réservé au début de l'histoire et qui prend de plus en plus d'ampleur au fil du manga. On remarquera aussi Otcho dit Shogun, probablement le personnage le plus classe de l'histoire et celui qui ira au plus près de l'action pour découvrir l'identité d'Ami. Ami, qui sera au centre de toutes les préoccupations avec son cahier des prédictions, où son but est de détruire le monde pour le sauver. Son Partie de l'Amitié est considéré en tant que sauveur, et évoluera au fil des cycles pour devenir au final un régime totalitaire, digne d'un univers de science-fiction.

C'est là une force d'Urasawa dans son histoire. Le manga débute comme une enquête policière avec des relents de fantastiques, mais se termine sur un style très science-fiction, mais en gardant ce style vintage, sans aller dans la technologie facile. Le but d'Urasawa est d'imaginer un monde de science-fiction comme l'imaginerait un enfant, avec tout ce que ça comporte de robots géants et de soucoupe volante. Oubliez les Gundam, ici, la réalité est tout autre, et la technologie y reste limité. Mais ce côté dictatorial rend l'ambiance, surtout lors du troisième cycle, plus sombre qu'au début, et on se surprend à se rendre compte d'une telle évolution de l'histoire, de passé à la fin des années 90 et à la fameuse peur de l'an 2000 pour arriver sur une fiction de SF vraiment bien amenée. Sans compter le dessin d'Urasawa reconnaissable entre milles et qui permet de donner de vraies gueules aux personnages, dans un trait assuré et fouillé.

C'est d'ailleurs une autre force, celle de se servir de la culture japonaise. Dans tout le manga sont disséminés des allusions à d'autres mangas connus ou des séries télévisés qui ont fait rêver le jeune japonais. Enfant, Kenji et ses amis imaginaient leur histoire en citant allègrement les Goldorak pour les robots, ou voyaient un Ashita no Joe comme un héros qu'ils voudraient être. N'importe quel gamin s'imagine dans la peau de son héros préféré. Urasawa se sert de cette culture universelle pour donner de la substance à ses héros. Shogun est l'archétype du personnage un peu super-héros, alors qu'il a simplement vécu à Bangkok et s'est entraîné au combat. L'exemple le plus flagrant est sa rencontre avec un mangaka dans le deuxième cycle, emprisonné parce que les mangas deviennent interdits. Il rencontre alors Shogun et se prend d'affection pour l'homme, l'idôlatrant comme le ferait un enfant envers son héros, alors que celui-ci ne fait que tenter de sauver sa nièce en utilisant ses capacités.

Urasawa, comme d'habitude, maîtrise à la perfection le découpage des cases, la mise en scène et son intrigue. Au risque de perdre certains lecteurs qui regrettent qu'il se soit peut-être perdu en cours de route. Mais il suffit de jeter un coup d'oeil aux premières pages du manga qui présentent une scène du futur pour la retrouver dans les derniers tomes. Urasawa avait déja sa fin en tête, mais peut-être pas tous les tenants et les aboutissants. Qu'à cela ne tienne, le manga se dévore véritablement, parce que l'intrigue met constamment le lecteur dans l'attente des révélations de l'histoire, sans pour autant laisser tomber ses personnages et leur donner leurs moments de gloire. On suit l'histoire avec régal, Urasawa développant son découpage de manière beaucoup plus occidentale que les autres mangakas. Il suffit de voir ses autres histoires, qui ne se déroulent pas toujours au Japon, notamment un Monster qui ne quitte pas l'Europe de l'Est.

D'ailleurs, même les références cités dans le manga ne sont pas toutes du Japon, et Urasawa clame aussi son amour de la musique américaine, rien que dans le nom (20th Century Boys, chanson de T-Rex), qui représente aussi les premières pages du manga, où Kenji, fan de rock américain, diffuse la chanson du même nom dans tout son collège via les hauts-parleurs de l'école, sans que personne n'y fasse attention. Kenji y laisse même sa trace dans le manga et son histoire avec sa chanson Bob Lennon, hommage aux chanteurs Bob Dylan et John Lennon. Chanson d'ailleurs enregitrée pour de vrai, disponible uniquement au Japon mais trouvable sur le net. On assiste avec émotion aux découvertes des enfants de la cultue mondiale, des Rolling Stones ou autres groupes de musiques, jusqu'à la diffusion du premier homme sur la Lune et des enfants qui rêvent instantanément d'être Neil Armstrong, contraste avec un héros en apparence fictive mais donc les enfants l'admirent car il existe vraiment. L'histoire n'hésite pas à piocher dans la réalité pour beaucoup d'évènements, notamment l'Expo Universelle d'Osaka en 1970 et sa tour du Soleil, évènement très important dans la série puisqu'il est à l'origine de beaucoup de choses.

20th Century Boys est mon oeuvre préférée d'Urasawa. Riche de la culture japonaise et américaine, réussissant à développer une intrigue passionnante sur cinquante ans et développant des personnages tous plus attachants les uns que les autres, Urasawa propose une histoire captivante, et probablement la plus fouillée et recherché de ses mangas. La série n'est pas sans défauts, notamment sur certaines errance de scénarios et une fin un peu alambiquée, mais pour le coup, c'est vraiment une question de feeling et d'appréciation personnelle, l'ambiance de 20th Century Boys et l'atmosphère qui s'en dégage en fait l'une de mes oeuvres préférés de l'auteur.

Autour du manga

Le manga a fait l'objet d'une trilogie live au cinéma, avec chaque film correpondant à un cycle du manga. L'histoire est sensiblement la même, avec par contre une grosse différence de la fin qui change carrément l'approche d'Ami pour la simplifier, mais du coup rend le personnage plus clair que le manga. Les acteurs sont ressemblants, mais le film ressemble par moment plus à une série TV qu'à un vrai film de cinéma. Ayant aussi du mal avec le jeu d'acteurs japonais, ça m'a un peu bloqué, mais l'adaptation reste plutôt fidèle. Evidemment, le film utilise aussi la chanson de T-Rex, ce qui aurait été bien dommage dans le cas contraire.

Le manga compte 22 volumes, plus les deux tomes de 21st Century Boys qui conclut la série comme il se doit. Urasawa a aussi fait un volume spécial, nommé 20th Century Boys - Spin-off, où deux mangakas présents dans le manga montre leurs projets à Yukiji qui leur donne son avis. L'occasion à Urasawa d'imaginer ce que pouvait être ces projets en dessinant des petites histoires très codés et humoristiques du manga. Le spin-off est prévu pour la fin du mois chez Panini en France.

Le Japan Expo de cette année a aussi été l'occasion d'accueillir Urasawa en personne, où le monsieur s'est prêté au jeu du question/réponse, avec quelques dessins en prime et des chansons à la guitare, vu que l'auteur est aussi musicien à ses heures. La chanson Bob Lennon interprété en vrai est chanté par Urasawa himself! Le salon en a d'ailleurs profité pour faire une petite expo très sympathique proposant multiples artworks du maître, regroupé dans son artbook déja sorti, Manben (que je recommande).

Et le reste?

Monster est le deuxième que je recommande, et est même, objectivement, mieux construit que 20th Century Boys, notamment avec une histoire qui se tient et qui trouve une magnifique conclusion. La série est une des rares à se dérouler dans un passé véridique et confirme l'amour d'Urasawa pour ancrer ses histoires dans l'histoire du Monde. Monster raconte l'avant et l'après chute du mur de Berlin et tout ce que ça comporte, et fait voyager le héros en Europe de l'Est. Un thriller excellent et prenant.

Pluto est plus court, avec ses huit tomes, et est basé sur le personnage d'Astro de Tezuka, et en reprend beaucoup d'éléments, notamment certains personnages et autres robots. L'histoire raconte l'enquête d'un policier chargé de découvrir le meurtrier du robot MontBlanc, et qui commence à assassiner les robots les plus puissants du Monde. Encore une fois, le manga est excellent, et est plongé en vrai SF avec un côté K. Dick vraiment pas désagréable.

Happy! est en cours de parution chez Panini et correspond aux débuts d'Urasawa, qui surfe sur la vague des mangas sportifs. Plus légère, l'histoire suit le parcours d'Umino, désireuse de rembourser les dettes de son frère en participant à des tournois de tennis. L'édition de luxe est l'occasion pour Urasawa de redessiner les cases et ça donne un dessin plus moderne qui fait plaisir aux yeux.

Billy Bat vient de commencer en France et raconte l'histoire d'un jeune dessinateur d'un comics du même nom, qui se rend compte que son personnage de Billy a déja été inventé au Japon par quelqu'un d'autre. Il commence à mener son enquête et découvre que le personnage est un peu plus vieux que ça... Comme d'habitude, une histoire toujours aussi prenante, et là encore, Urasawa en profite pour planter son intrigue dans l'histoire de la Planète, en allant assez loin, peut-être même un peu trop. A voir sur la longueur.

Master Keaton suit les aventures de Keaton dans des enquêtes policières plus classiques. Pas encore lu, mais Kana prévoit l'édition deluxe en 2013, donc dans pas longtemps.

 

Semaine spéciale manga