Quand Greg s'était présenté dans l'appartement qui servait de base à Michael, il ne savait pas vraiment ce qu'il faisait là. Il avait été effrayé par ce qu'il avait vu la dernière fois et pour tout dire, il ne savait même pas pourquoi il était revenu. Il était certain que de toutes les façons, les autres avaient eu autant les foies que lui et avaient préféré oublier ce groupe de soutien à tout jamais.

  Greg hésita longuement avant de finalement faire tinter la sonnette. La porte s'ouvrit sur un Michael qui affichait un sourire enfantin.

  « Ah ! Atchoum-man ! C'est une vraie joie de te voir de retour parmi nous !

— Ne m'appelles pas Atchoum-man espèce de taré.

— Allez viens ! Les autres t'attendent. » Se contenta de répondre Michael sans même faire attention à Greg et son air contrit.

 

  Ils étaient tous là ! Medhi, Claire, Gaëlle, même Cédric, et Gilles aussi. Ils saluèrent tous Greg dès qu'il mit le pied dans la salle, et il leur rendit la politesse tout en prenant place sur un siège. Mais pourquoi ils sont revenus ? Quelle bande de crétins...ils veulent jouer les superhéros, ou bien sont-ils aussi paumés que moi ? Et puis qu'est-ce que je fous là ? Dans son esprit, les pensées de Greg dansaient la gigue, et il sentit le tournis l'envahir. Il lui semblait qu'il faisait chaud, horriblement chaud dans cette pièce.

  « ...et c'est pour cela que je pense qu'avant toute chose, vous devriez porter des costumes ! conclut Michael.

— Des costumes ? Mais j'ai aucune envie de me déguiser en clown, et puis j'ai pas de fric à mettre dans des fringues ridicules, protesta Gilles.

— Je pense que le problème du matériel ne se pose pas pour nous, déclara simplement Michael en fixant Claire.

— Tu veux que j'utilise mes pouvoirs pour nous créer des habits ?

— Et bien oui. En plus, c'est un excellent exercice qui permettra à tes camarades de savoir comment tu les perçois, comment tu vois leurs capacités ! »

 

  Claire les regarda un instant, et après une très courte reflexion, son visage s'éclaira d'un sourire radieux alors qu'elle décida d'accepter la tâche qui venait de lui être confiée. Elle se tourna ensuite vers Gilles, puis après un moment à le fixer, elle se concentra. Gilles vit apparaître sur lui une tenue qui consistait en une combinaison bleu sombre, Des bottes et des gants de cuir venaient fermer les extrémités de son corps, et sur sa tête était déposé un masque qui ne laissait apparaître que les yeux. Sous chaque œil, une ligne bleu électrique semblait couler jusqu'au bas du visage.

  « Voilà comment j'imagine Tear ! Le bleu sombre le rend inquiétant, et ces lignes sous ses yeux ressemblent autant à des larmes, en rapport avec son pouvoir, qu'à des peintures de guerre. »

  Elle se tourna ensuite vers Gaëlle. Celle-ci hérita d'une tenue rouge, composée d'un justaucorps souple, lui permettant de se mouvoir facilement. Une minijupe plissée se lovait autour de ses hanches, et elle portait un masque autour des yeux.

  « Tu aurais pu choisir une tenue qui fait moins pute ! grogna Gaëlle.

— Mais une tenue aussi légère te permettra de bouger bien plus facilement. J'ai beaucoup pensé à ton pouvoir, et ça me paraît être une capacité de soutien. Tu es assez athlétique comme fille, aussi Lumen doit-elle compter sur ses capacités physiques plus que sur ses pouvoirs en cas de combat. Et la petite jupe, c'est parce que je te trouve mignonne avec.

— Mouais...j'imagine que le ridicule ne tue pas. »

   Vint alors le tour de Medhi. Et pour lui, Claire avait pensé à quelque chose de simple, mais efficace, comme le nom qu'il s'était choisi. Elle avait matérialisé sur lui une tenue de cuisinier stylisée. C'était une chemise blanche, mais renforcée, emplie de poches fonctionnelles. La tenue n'avait pas de gants et des manches courtes, car elle ne devait pas entraver les pouvoirs de Cuistot. Sur la tête, Medhi se retrouva avec une toque de chef qui descendait jusqu'aux oreilles, recouvrant les yeux, avec bien entendu deux trous pour qu'il puisse voir.

  « Bordel, Claire...mais...en fait c'est pas mal, s'exclama Medhi en se regardant.

— Je me disais que Cuistot devait ressembler à un cuisinier. Avec son pouvoir il y a l'effet de surprise. On ne s'attend pas à grand chose quand on voit un type déguisé en cuisinier, et c'est là que bim ! Il change ses doigts en couteaux !

— Allez, c'est à mon tour ! Que m'as tu réservé », demanda Cédric qui semblait prendre goût à cette séance de mode.

    Arcimboldo avait une tenue qui ressemblait beaucoup à celle d'un catcheur. C'était celui qui dévoilait le plus de chair. Il portait même un masque de Luchador sombre avec une pomme dessinée au niveau du front. Cédric était d'une stature assez imposante, aussi avait-on l'impression de voir un sosie de Rey Mysterio ou un fan d'El Pinguino.

   « Euh...j'espère que c'est une blague ? Cédric semblait très déçu.

— Arcimboldo, tu peux faire pousser des fruits sur tout ton corps, je ne peux pas te donner une tenue trop couverte, car ça entraverait tes pouvoirs. Et puis t'es très musclé, et ça pourrait faire flipper tes adversaires de te voir aussi baraqué.

— Flatteuse ! Si seulement tu avais eu des chromosomes XY, ma jolie...ricana Arcimboldo, qui semblait s'être fait à sa nouvelle tenue.

— Et pour Greg j'ai...

— Pour Greg tu n'as rien, coupa aussitôt ce dernier.

— Mais si j'ai une tenue attends une seconde et...

— Non tu ne m'as pas compris, je n'ai pas envie de jouer à votre truc ! J'ai pas envie de devenir un super-héros, je ne veux pas me balader en moule-bite pour taper sur des gens. Tout ce que je voulais, c'était apprendre à m'accepter. D'ailleurs on est tous là pour ça, non ?

— Regarde-les, Greg, tu ne trouves pas qu'ils se sentent déjà mieux ? » Michael avait demandé cela d'un air si sérieux qu'il surprit tout le monde.

 

   Greg laissa son regard vagabonder. Et c'était vrai qu'il semblait que les Inutiles avec qui il se trouvait semblaient plutôt contents d'eux et de leurs costumes. Bien sûr, Greg les trouvait tous ridicules, mais eux-mêmes avaient l'air de dégouliner d'autosatisfaction. « C'est débile ! » Lança simplement Greg. Mais avant de se rendre compte de quoi que ce soit, il vit, sur le reflet d'une vitre que Claire avait usé de ses pouvoirs sur lui.

  Il s'approcha de la fenêtre close et vit qu'il portait une tenue complètement verte, avec une cape et une capuche qui dissimulait le haut de son visage. Sous sa capuche, son visage portait un masque simple. Il regarda longuement le super-héros vert qui le toisait à travers la vitre. Il resta muet un moment, perdu dans une profonde rêverie. Puis il parvint à en ressortir et se tourna vers Claire.

   « Je me suis rappelée que tu avais dit que tu voulais devenir un super-héros quand tu étais petit, alors j'ai pensé à la cape. Et puis ça peux te permettre de te moucher si tu en as besoin, Atchoum-man et la couleur verte, c'est pour...

— Laisse-moi deviner, c'est pour représenter l'espoir ? La renaissance de la nature ? Une autre connerie new-age de ce genre...coupa Greg d'un air ennuyé..

— Non, le vert c'est pour la morve, se contenta de répondre Claire.

— Et toi Claire ? Comment vois-tu Textil ? » demanda Michael, sa question étant bien vite approuvée par les autres.

   Claire se concentra longtemps. Puis elle fit apparaître la tenue de Textil. On aurait dit un patchwork de tous les vêtements existant. La jambe gauche était celle d'un pantalon, la droite était celle d'un short, le torse ressemblait à un tailleur, mais derrière, en guise de cape, c'était le dos d'une robe à frous-frous. Le bras gauche n'avait pas de manche, mais un long gant de cuir, le bras droit avait une manche de pull léger en filet et sa main était recouverte d'un gant sans doigts. Sous sa tenue étrange, il y avait aussi une protection en kevlar. Sur sa tête, était posée un chapeau à larges bords qui dissimulait son visage.

   « Tu ne dénoterais pas dans le prochain Final Fantasy », ricana un Greg moqueur. Pour toute réponse, Textil lui lança un regard noir et d'un claquement de doigts, l'habilla en tutu, sous les rires de tous les autres Inutiles.

 

   Les clients de la banque ne savaient pas comment réagir. D'un coup, leur journée affligeante de banalité était devenue une partie de cache-cache avec la mort. Ils étaient bien une dizaine de braqueurs à s'être manifesté soudainement, tirant à la mitrailleuse en l'air et leur aboyant des ordres. La police avait vite fait d'arriver sur les lieux, alertée par l'alarme silencieuse de la banque. L'établissement fut bien vite encerclé, et la rue barrée. Le siège allait pouvoir commencer.

 

   Michael entendit parler de l'incident via sa radio. Il réagit très vite, et s'emparant des clés de son véhicule, il se contenta de s'écrier : « Posez pas de questions, gardez vos super-tenues, on y va ! » Tout le monde resta coi, ne sachant ce que signifiait cette agitation. Dans le doute, on décida de le suivre jusqu'au van qu'il possédait. Une fois tout le monde embarqué, Michael démarra en trombe, n'accordant pas la moindre importance aux questions que lui posaient les Inutiles. Il mit peu de temps à arriver sur les lieux de la prise d'otages. Greg (à qui Claire avait rendu sa tenue d'Atchoum-man) vit bien les voitures de police partout.

   « Qu'est-ce qu'on fout là déguisés en clowns ?

— Il y a une prise d'otages ! Mes amis, vous allez entrer dans cette banque, régler leurs comptes aux brigands et sauver des vies !

— Non mais ça va pas ? Et puis la police est là, s'écria Gilles.

— Tear, tu dois avoir confiance en tes capacités ! Vous tous d'ailleurs. Vous ne vous rendez pas compte de la portée de vos pouvoirs, c'est l'occasion rêvée de voir ce que vous pouvez faire.

— Je ne sais pas Mike, ça me paraît hasardeux...Medhi n'était pas très sûr de lui.

— Vous avez le choix. Vous pouvez me demander de partir, et alors on verra demain aux infos comment cette histoire aura fini, ou alors vous pouvez entrer dans cette banque et prouver au monde que vous n'êtes pas des inutiles, mais des héros, tout en sauvant les otages à l'intérieur. Que décidez-vous ? »

   Gaëlle resta très longtemps murée dans un silence contemplatif avant de finalement prendre la parole d'un air plus assuré.

   « Je vais me diriger vers l'entrée et utiliser mes pouvoirs pour éloigner les braqueurs des victimes. Une fois que c'est fait, Tear tu fais pleurer les braqueurs, pendant que les autres libèrent les otages.

— Voilà un super plan ! De mon coté, je vais parlementer avec les flics », approuva Mike avant de sortir de l'habitacle.

Après quelques minutes, Perséphone fit un signe à ses camarades, manifestement, la police avait décidé de leur laisser une chance de régler la situation, comme l'autorisait la loi en cas d'intervention super-héroïque. Arcimboldo prit une profonde inspiration, puis sortit du véhicule, suivi de Textil, Le Cuistot, Tear et Lumen. Greg de son coté refusa de se joindre à ses camarades. « C'est ça, allez vous faire crever si vous y tenez tant ! » avait-il persiflé.

 

   L'assemblée eut la surprise de voir arriver ces super-héros inconnus au bataillon. Ils marchaient là, cote à cote, les membres tremblants. Finalement, ils se tinrent devant la porte de l'édifice. Lumen observa longuement, à travers la porte vitrée l'intérieur. Tout le monde était retranché dans la vaste salle principale de la banque. Les otages étaient rassemblés au centre, entourés de braqueurs portant des masques de François Hollande, Jacques Chirac, et Nicolas Sarkozy entre autres. Gaëlle fit le tour de la banque et se planqua à coté de l'une des fenêtres. Puis, elle activa ses pouvoirs en fixant un braqueur.

   Quand il vit un point rouge s'illuminer sur le front de son camarade au masque de Charles Pasqua, le bandit au masque de Balladur s'écria « Snipers par là ! » et en une seconde, tous les malfrats se tournèrent vers la fenêtre près de laquelle se dissimulait Lumen. Ce fut l'instant que choisirent les Inutiles pour entrer dans le bâtiment.

« Ils sont vraiment entrés ces cons ! » souffla Greg, au sommet de l'étonnement.

 

   Les truands se retournèrent dès qu'ils entendirent la troupe pénétrer l'enceinte. Abasourdis tout d'abord, ils levèrent leurs armes, prêts à tirer. C'est alors que sans raison, ils se mirent tous à pleurer, et leurs larmes les aveuglèrent.

   « Bien joué Tear ! Avec moi, on va libérer les otages », s'était écriée Textil. Puis, lui et elle se précipitèrent vers les captifs afin de rompre leurs liens. Medhi se rendit soudain compte que l'un des malfrats avait essuyé ses larmes et avait armé son fusil mitrailleur. Il se précipita d'instinct sur lui, puis, transformant ses doigts en set de couteaux, il griffa son adversaire qui tomba au sol. Medhi n'en croyait pas ses yeux. Il venait de mettre un méchant hors d'état de nuire. Un autre le pris en ligne de mire et tira, mais Le Cuistot avait de bons réflexes, et joignant ses deux mains, il se créa un bouclier fait de deux grosses marmites en fonte, qui furent très efficaces pour arrêter les balles, mais aussi pour gifler l'ennemi. Complètement grisé, il se mit à hurler : « Je suis le Cuistot et au menu aujourd'hui, fricassée de baffes à la bonne franquette ! »

   Arcimboldo vit un malfrat s'apprêter à faire feu sur Textil. Il se précipita vers lui, puis lança un coup de poing. Au dernier moment, juste avant l'impact, il eut le réflexe de faire pousser un énorme ananas au bout de son poing fermé. Le braqueur fut assommé sur le coup. Un autre gredin voulut se précipiter vers une planque afin de le canarder, mais Arcimboldo fit rapidement pousser une banane qu'il prit sur son épaule, puis la pela. Il jeta ensuite la peau du fruit sous les pieds du bandit qui glissa et se vautra lamentablement. Ensuite, Arcimboldo le rejoint en deux bonds et lui lança un coup de pied au bout duquel venait d'apparaître une énorme noix de coco. Cédric aussi se sentit pousser des ailes. « Ramenez vos fraises les gars ! J'ai envie d'une bonne compote de truands ! »

   Tear et Textil avaient terminé de délier les otages, et les firent sortir à toute vitesse, les accompagnant vers la sortie. Mais Tear entendit un bruit derrière lui. On venait de charger un revolver. Textil fut la plus rapide à réagir. Elle fit apparaître sur la tête du criminel une cagoule à l'envers, ce qui gêna sa vue. Il se mit à tirer à l'aveuglette, puis fut mis KO par un coup de poele à frire en téflon de Cuistot. Un autre adversaire apparut, mais Textil l'immobilisa en faisant apparaître autour de son corps une camisole de force qui l'entrava.

 

   Les otages sortirent les uns après les autres, sains et saufs, puis les héros les talonnèrent, profitant de la confusion qui régnait chez les bandits. Lumen apparut pour couvrir ses amis. Elle usa de son regard laser afin d'empêcher les truands de tirer sur ses camarades en visant leurs yeux. Finalement, les héros sortirent de l'édifice et rejoignirent les policiers et les otages nouvellement libres. Les forces de l'ordre s'apprêtèrent à investir les lieux avec fracas quand ils furent surpris de voir une silhouette apparaître à l'entrée de la banque.

C'était un type imposant avec un masque de René Coty qui tenait dans ses bras musclés un lance-roquette qu'il pointait sur la foule. On retint son souffle alors que René Coty s'écriait « Je vais tellement vous exploser vos tronches qu'il va y avoir un nouveau big bang ! ». Il crispa son doigt sur la gâchette et chacun crut voir sa vie défiler. Et alors qu'on s'attendait à entendre un énorme BOOM, c'est plutôt un étérnuement gigantesque qui résonna. René Coty éternua une fois, puis deux fois, puis trois fois, dix fois. Il ne pouvait pas faire feu tant ses éternuements semblaient frénétiques. Michael sourit quand il compris ce qu'il se passait.

Nonchalamment, Greg dans son costume vert marchait vers René Coty, puis, se plaça face à lui alors que l'homme éternuait comme s'il allait cracher ses tripes par les narines.

   « Tu vas avoir besoin d'un mouchoir... » lâcha négligemment Atchoum-man. Puis, il plaça, toujours avec nonchalance son poing devant le visage de René Coty. Ce dernier poussa un puissant éternuement qui projeta sa tête en avant, sur le poing de Greg. La puissance du choc fut trop forte, même pour ce grand gaillard qui tomba dans les pommes aussitôt.

 

   La police ne tarda pas à entrer dans les lieux pour procéder aux arrestations nécessaires. La foule rassemblée là regarda un long moment les héros du jour, avec leurs costumes aussi bizarres que leurs pouvoirs. Un journaliste interpella le groupe.

   « Dites-moi, c'est la première fois qu'on vous voit ! Qui êtes vous ?

— Nous ? On est la Ligue des Inutiles ! s'était écrié Arcimboldo.

— Et nous sommes là pour veiller sur vous », ajouta Lumen.

 

   Michael les regarda avec énormément de fierté. Il avait l'impression qu'ils avaient accompli quelque chose de grand. Et s'ils avaient toujours l'air mal à l'aise, là, entouré de ces journalistes, il voyait naître en chacun d'eux un véritable super-héros.