Les premières notes de piano égrenées dans Resident Evil n'étaient que le début. Silent Hill, Forbidden Siren, Project Zero, Dead Space... tous possèdent des partitions à faire herisser les poils. Je profite de la sortie imminente de Dead Space 2 pour mettre en ligne un article sur ces soundtracks qui nous ont fait flippé, et surtout sur ces compositeurs passés maîtres dans l'art de l'épouvante.

"Le Minimalisme atonal" d'Hitomi Shimizu

Forbidden Siren possède assurémment l'une des OST les plus discrètes des jeux d'horreurs. Elle pénètre insidieusement, distille l'effroi par petites touches. Pas d'envolées pétaradantes, mais du presque silence. Sony a demandé aux compositeurs Hitomi Shimizu et Gary Ashiya de n'utiliser aucune note musical, d'éviter une musique expressive, de se focaliser sur des sons d'ambiance, et de créer des pistes longues. Cela devait sonner "primaire". Avant de composer cette OST, Shimizu bossait sur les sonorités bucoliques de Harvest Moon. Les pistes de la soundtrack de Forbidden Siren sont hantées par des voix humaines, entre incantations mystiques et chants ésothériques. Dire qu'on est loin du paysan chantonnant une comptine en semant du grain est un euphémisme. "Nous avons très tôt discuté de la manière dont les villageois devaient chanter, et du fait que cette coutume s'était transmise à travers les générations. Nous avons senti que trouver ce son était indispensable. C'est pourquoi il y a des voix discernables ici et là dans la musique d'ambiance. Nous sommes très sensibles au son des voix. Les placer à un endroit où elles ne sont pas attendues, procure un sentiment d'anxiété et de peur chez l'auditeur" confie le compositeur à siliconera.com

 

 


"La théorie de l'irrégularité" selon Dr Yamaoka

Outre le "Theme of Laura", et "Promise" passés à la postérité dans Silent Hill 2, Akira Yamaoka compose des OST possédées par le Malin. Sur la série des Silent Hill, il a été tour à tour compositeur, sound designer et producteur (à partir de Silent Hill 3) "Je voulais faire une différenciation avec les autres jeux vidéo. En gardant ça à l'esprit, j'ai choisi un son industriel. J'ai senti que cela avait tout de l'essence dont nous avions besoin, essence que je ne pouvais pas trouvé dans une musique 'typique'. J'ai pensé que cette sensation froide et rouillée rendue possible par la musique industrielle était appropriée au thème de Silent Hill" explique Yamaoka lors d'une interview accordée à Spelmusik.net. Grondements lacinants, synthés décharnés, gargouillements désincarnés, le sound design de Silent Hill est suffoquant. A mesure que nous avançons dans la brume de Silent Hill, nous sentons  l'ambiance sonore resserer son étreinte, nous prendre à la gorge, nous paralyser.

Une fois immobilisés, le couperet d'une implacable machine semble s'abbatre sur nous avec fracas, à grand renforts de distorsion sourdes. "A vrai dire, il y a plusieurs secrets pour cela. Le plus important est l'irrégularité. L'homme est une créature analogique. Dans notre vie quotidienne, nous nous levons, travaillons, mangeons et dormons. Tout le monde a sa routine. Quand quelque chose casse, notre sens du rythme change. Les gens vivent chaque jour en s'attendant à ce qui va arriver après. Quand les choses ne se passent pas comme prévu, ou quand le rythme casse, nous devenons très nerveux." L'OST de Silent Hill est  difficile à appréhender. Des percussions foutraques ou des respirations poisseuses peuvent surgir a tout moment,. On ne sait pas vraiment ce que nous écoutons, si cette putréfaction auditive répond à un battement sombre, ou à un râle évanescent. "Une des horreurs, dans Silent Hill, l'anxiété, est souvent crée par une telle irrégularité. Par exemple, le son que le joueur écoute change soundainement,  le rythme devient irrégulier.  j=Je crée le son que le joueur ne s'attend pas à entendre, je trahis son attente." Jason Graves compositeur de l'OST de Dead Space, s'appuie sur ce même ressort, mais dans un style aux antipodes du son Silent Hill.

 

"La psychologie de la peur" du Professeur Graves

Ce compositeur américain a oeuvré sur une quarantaine de jeux dont Alpha Protocol et Silent Hunter. Il a remporté deux BAFTA awards pour l'OST de Dead Space (Original Score et Audio). Des récompenses dont il a logiquement fait l'acquisition, vu l'entreprise terrifiante que constitue la soundtrack de Dead Space. "Tout a rapport à la psychologie de la peur à laquelle j'ai beaucoup pensé sur le premier jeu. Qu'est ce qui nous effraient? Je pense que cela revient à la peur de l'inconnu, que ce soit un requin sous l'eau, le tueur masqué, ou les choses sous votre lit. J'ai fait tout ce que j'ai pu pour retourner le monde conventionnel de la musique, avec l'espoir que cela soit une équivalent musical de cette peur de l'inconnu." Les cuivres grondent, les symbales explosent, les cordes sont piquées à vifs, les harpes, torturées. L'orchestre achemine une partition chaotique vers des sommets décadents.

Contrairement à Silent Hill, Dead Space jouit d'une orchestration symphonique ample, déraisonnablement ample. La moindre apparition de nécromorphes sanguinaires se traduit par une explosion auditive. La soundtrack est effrayante de grandiloquence. "Il m'a semblé que la meilleure façon de faire ressentir la peur était d'avoir un orchestre jouant de ses instruments de manière qu'ils soient impossible à identifier. Par exemple, faire sonner les violons autrement que des violons. Vous savez que vous êtes crispés parce que vous ne pouvez pas vous dessinez les instruments de votre tête."  Assurément. On ne dessine rien. C'est disproportionné. Trop puissant pour être assimilé. On s'échappe la plupart du temps. Les convenances scientifiques veulent qu'il n'y ait pas de son dans le vide intersidéral. Dead space prouve que dans le néant réside le chaos sonore absolu. 

 


Pour être exhaustif, il faudrait évoquer beaucoup d'autres séries, mais j'ai trop peu joué à Project Zero, Clocktower, F.E.A.R ou Condemned (entre autres) pour les intégrer de manière pertinente dans cet article. Je précise également que Resident Evil ni figure pas car la cohérence de la série s'est dissoute au fur et à mesure des épisodes, dans sa musique comme dans son gameplay. Malheureusement, cela fait quelques années que je n'ai plus eu peur en jouant à Resident Evil.