Il y a des jeux, comme ça, qui malgré le temps qui passe conservent leur statut de mythe, non pas de façon absolue, dans le cadre d'une dimension pangaming, mais dans une dimension personnelle, à l'échelle des enfants que nous étions. Nous avons tous nos jeux, ceux qui nous ont enchanté et faits de nous les gamers que nous sommes aujourd'hui.

Pour beaucoup, l'un d'entre eux fut Secret of Mana. Sorti sur Super Nintendo alors que j'étais encore au collège, je me souviens y avoir passé des heures et des heures, à jouer en mode coop avec mon petit frère. Souvenir plus prégnant encore que le gameplay, c'est la musique qui m'a le plus profondément marqué - même aujourd'hui je serais capable de vous fredonner la mélodie titre, "Angel's Fear". Une petite mélodie, envoûtante, au piano, résonnant encore à mes oreilles.

Mais plus que cet mélodie, c'est un autre air qui m'a le plus hanté, celui du boss de fin, le morceau intitulé "the Oracle". Un rythme syncopé, bizarre, perturbant, et surtout, terrifiant. Je me souviens encore de ma première rencontre avec ce boss, une sorte de crâne géant qui s'amusait à nous pourchasser à travers l'écran. Cet air ajoutait énormément au stress ressenti, jusqu'à la terreur - mon petit frère en était épouvanté.

Les années ont passé et cet air a continué de me hanter, jusqu'à ce que je puisse enfin l'exorciser en découvrant sa nature et ses racines.

Me voilà donc soudain, presque vingt ans plus tard, à m'intéresser un jour de désoeuvrement à la musique indonésienne. Tout de suite, en écoutant quelques airs typiques des danses balinaises, je reconnais les percussions utilisées dans The Oracle : me renseignant, je découvre alors le gamelan (non, pas ce genre de lan), une formation musicale traditionnelle comprenant une variété d'instruments tels que xylophone, métalophone, tambours, gongs, flutes de bambou...

Intrigué par ces sonorités qui résonnent en moi de façon familière, je continue mon voyage musical et découvre alors le Kecak. Et là, c'est le déclic.

Regardez plutôt, et écoutez.

La Danse Kecak peut être considérée comme l'une des manifestations culturelles les plus célèbres de Bali mais paradoxalement, elle peut aussi être vue comme un message de bienvenue du peuple balinais au reste du monde, surtout si l'on se base sur ses origines.

Selon la légende (pour ainsi dire), Wayan Limbak, un danseur balinais, et Walter Spies, un peintre allemand d'origine russe, s'inspirèrent d'une transe rituelle appelée Sanghyang et d'une ancienne épopée sanskrite, le Ramayana, pour créer un spectacle à l'origine destiné au public occidental visitant Bali dans les années 1930. En fait, Limbak et Spies firent une tournée à travers le monde avec un groupe de danseurs balinais afin de promouvoir leur "Chant des Singes du Ramayana (autre nom du Kecak), popularisant l'oeuvre.

La danse Kecak, tout comme l'épopée du Ramayana, raconte l'histoire du combat du Prince Rama contre Rahwana, le roi-démon de l'île de Lanka, dans sa tentative pour sauver son épouse, la princesse Sita. Au cours de cet affrontement, Rama fut assisté par une armée de singes blancs connus sous le nom de Vanaras et parvint finalement à vaincre Rahwana, libérer l'île de Lanka et sauver sa femme.

Le Kecak en tant que tel est majoritairement joué par des hommes, formant une troupe de 50 à 150 personnes, torses nus et vêtus de jupes à motifs blancs rappelant les singes, et assis en cercles concentriques autour d'une flamme au milieu de la scène.

Au cours du spectacle, divisé en cinq actes pour une durée d'environ 45 minutes, aucun instrument de musique n'est utilisé : le constant "cak-cak-cak-cak-cak" entonné par les hommes soutient l'atmosphère tendue de l'épopée alors que les personnages principaux se succèdent sur la scène centrale. Les mouvements des torses et des mains symbolisent alors les puissances naturelles à l'oeuvre dans l'épopée, tels le feu, le vent et la main protectrice des dieux.

Je pense que, comme moi, vous avez du avoir une illumination en regardant la vidéo du Kecak, notamment si vous avez aussi regardé Avatar, le dernier film de James Cameron.

Dans ce film, le peuple extra-terrestres des Na'vis entame à plusieurs reprises une sorte de rituel autour de leur arbre de vie, dans une position en cercles concentriques qui rappelle fortement le Kecak.

La boucle est bouclée.

Certes, la danse Kecak n'est certainement pas aussi "traditionnelle" que ce que l'on pourrait croire : elle est le fruit du nouveau système culturel moderne, qui brasse et rediffuse les cultures plus anciennes mais si le Kecak n'est donc pas aussi ancien, l'âme qu'il véhicule est réellement celle de son peuple...

Et c'est la puissance de ce véhicule qui a résonné non seulement dans les airs de Secret of Mana mais aussi jusque dans le cercle rituel des Na'Vis.