Dans la nuit du 04 février 2013, j'ai perdu mon papa. S'il me faudrait toute une vie pour témoigner de l'homme qu'il était et de l'emprunte indélébile qu'il aura sur ma vie, je ne partagerai ici que sa relation avec le jeu vidéo. Car bien avant d'avoir des enfants, mon père était un gameur.

En tant que joueurs, on a tous essayé au moins une fois de partager notre passion à nos parents néophytes. Ceux qui ont connu le boom des micro-ordinateurs dans les années 80 ont tous partagé quelques moments vidéoludiques avec un père qui se rangeait alors derrière la curiosité informatique pour s'adonner à un peu de jeu vidéo via quelque disquette copiée au bureau. Pour les consoleux c'était souvent plus dur, puisque notre temps de jeu dépendait du bon vouloir parental, puisqu'on squattait pour la plupart d'entre nous, la télé du salon.

Il est certain que pour nombre de joueurs, à l'instar d'un GameBoy ou d'une Game Gear à essorer sur la banquette arrière d'une 505 grise en partance pour le sable fin de vacances bien méritées, le jeu vidéo était pour nos parents un moyen de nous occuper sans avoir à nous surveiller constamment. Qui se serait douté que cette nounou de secours allait faire germer en nous une passion que les années n'allaient en rien altérer ? Moi j'ai eu la chance d'avoir un père joueur pour qui le jeu vidéo n'était pas un jouet pour les enfants, mais une passion à transmettre et à partager avec ses fils.

 

Son père était un amoureux d'automates, il passait ses dimanches en famille à concevoir de petites saynètes d'automates pendant que mon père, enfant, l'observait plein d'admiration. Cette passion commune les amena à partager quelques parties de Pong dans les années 70. Le syndrome de la petite boite électronique à ranger sur le meuble télé de la classe moyenne avait pris dans ma famille. Le jeu vidéo était pour mon père un moment de partage au même titre qu'une partie de tarot, et au fil des ans cette nouvelle passion s'installa bien confortablement dans l'inconscient familial. Les fins de repas à se mesurer sur un énième clone de Pong entre deux gorgées de digestif, et une Gauloise sans filtre plantée au bec, il en a partagées de nombreuses avec la famille ou ses meilleurs amis.

Puis dans les années 80 vint mon frère, puis moi, et le jeu vidéo s'installa de plus belle. Avec ma mère ils jouaient ensemble sur l'Apple 2Gs à un jeu d'aventure textuel, avec nous, on enchaînait les parties de The Last Ninja. L'ordinateur se trouvait « dans le bureau de papa », un capharnaüm de paperasses administratives, de procès verbaux vierges qu'il ramenait du commissariat pour que je dessine ;  mais avec une seule zone un peu ordonnée : l'ordinateur. 

Pour ce qui est des consoles, à ma naissance mon grand frère était déjà sur la Master System, et quand j'étais enfin en âge de jouer, on était passé sur Megadrive tandis qu'on me laissait me faire la main sur le Alex Kidd de la Master. Et ce pour deux raisons, déjà parce que la Megadrive c'était à mon frère et que mon rôle se cantonnait la plupart du temps à être « le larbin » ou « le boulet » selon le point de vue, et puis avec Alex Kidd je n'avais pas à manipuler une cartouche, puisqu'il était intégré à la console, donc pas de risque que le petit dernier insert un jeu dans le mauvais sens. Oui, ça peut arriver.

Et pendant que les deux frangins faisaient leurs armes vidéoludiques, leur père continuait de jouer. Et pas qu'un peu. Comme beaucoup de pères, notre papa ne jouait pas à beaucoup de jeux, mais il y jouait longtemps, très longtemps. Que d'heures interminables passées sur Megalomania, Shining in the Darkness ou Shining Force sur Megadrive ! Lui qui parlait anglais comme une vache espagnole, nous offrit l'opportunité de le chambrer à vie, lorsqu'il s'énerva seul devant la petite télé cathodique en râlant « Mais où ça un carrefour ?!! » lorsqu'un pnj lui dit « be carefull ».  Mémorable.

C'est grâce à mon père également que nous avons toujours conservé nos consoles et nos jeux. Déjà parce qu'il ne nous a jamais obligés à revendre un jeu pour en acheter un nouveau, et parce qu'il a toujours dit avec beaucoup de sérieux « surtout ne jetez pas ça, un jour ça vaudra plus que ce que vous imaginez ».  Merci pour ça aussi, papa.

Les années passaient, et sa passion pour le jeu vidéo ne démordait pas. A l'ère 32bits, lorsqu'il était de service de nuit, il emmenait la Sega Saturn au commissariat pour jouer à Virtua Cop 2 avec les collègues dans la salle de repos. Et pendant les week ends, il passait des heures sur le Gran Turismo de la Playstation ou sur la Saga Resident Evil qu'il adorait.

 

Il faisait partie de ces gens qui peuvent vous dégoûter d'un jeu tellement ils y passent du temps. A force de les voir jouer encore et toujours aux mêmes titres, vous saturez alors qu'à la base vous aviez acheté ces jeux pour vous. Ce fut le cas pendant l'époque 128 bits avec plusieurs titres.

D'abord Blue Stinger sur Dreamcast. Déjà que le jeu n'était pas très pratique à jouer, si en plus votre père vous spoile comme un porc lorsque vous vous réveillez le dimanche matin... Il m'a fait le coup également sur Age of Empire 2, Resident Evil 4 ou encore Dragon Quest 8, Final Fantasy 12 et Gran Turismo 4. Des centaines d'heures enchaînées sur chacun de ces titres, sans jamais se lasser !

J'ai assisté, béat, à ses 24 heures du Mans en B-Spec sur GT4, pendant tout un week end. Laissant la console tourner la nuit pour y retourner dès le lendemain matin. Hallucinant. Et pour Resident Evil 4 et Dragon Quest 8, alors que ces jeux ne se destinaient pas à mon père, il a réussi à nous en dégoûter tellement il enchaînait les parties. Evidemment, lui le jeune retraité gameur, il en avait du temps à consacrer à sa passion. Trop même. Avec pas loin de 600 heures cumulées sur ces deux titres, ce sont 4 PS2 et 3 PS3 que nous avons enchaînées.

Sur la dernière génération de machines, il continuait de jouer à certains titres PS2, plus par routine que par une véritable envie. Il n'aimait pas le fait de réapprendre à jouer, devoir intégrer de nouvelles règles. C'était un gameur pantouflard qui n'aime pas se lancer dans une nouvelle expérience, mais quand on l'y pousse et qu'il finit par s'y mettre, généralement il y passe plus de temps qu'on aurait pu imaginer. Malgré tout, il a pris beaucoup de plaisir sur la série Uncharted et Assassin's Creed. L'un pour la mise en scène et le parfum d'aventure, l'autre pour le côté historique de la reproduction. Comme son père qui simulait la vie par des automates, mon père était toujours fasciné par ce souci du détail dans la représentation d'une vie artificielle.

 

Et ce fut d'ailleurs le sujet de plusieurs discussions que nous avions sur la « next gen ». J'aimais beaucoup le tenir au courant des dernières rumeurs, des avancées technologiques, et de leur intégration dans le jeu vidéo. A la fin de sa vie, malgré la maladie, il restait admiratif face à la création d'univers virtuels. Il imaginait des mondes crédibles construits grâce à la technologie, que nous pourrions explorer et avec lesquels nous pourrions interagir. Point d'idée de gameplay ou de jeu, mais juste la confirmation qu'il était et demeurait un grand contemplatif.

Mon père m'a transmis plus que des souvenirs, et si je lui dois mon amour pour le cinéma, je lui dois aussi ma vision sur le jeu vidéo. Il n'a jamais pris ce média comme un simple jouet pour enfant, et ne faisait pas la différence entre une soirée BUZZ et une soirée foot. Nombreux sont les joueurs à se sentir parfois un peu seul au sein de leur famille à apprécier le jeu vidéo à sa juste valeur. J'ai la chance d'avoir un père exceptionnel qui avait en plus une vision avant-gardiste sur le sujet.

Merci à toi Papa pour toutes ces années de bonheur, pour ton éducation et les valeurs que tu m'as transmises. Merci aussi de m'avoir mis un jour une manette dans les mains, pas pour te débarrasser de moi pendant une heure, mais pour me faire découvrir un univers dont tu avais estimé la valeur il y a déjà bien longtemps. Je penserai à toi à chaque étape de ma vie, c'est certain, et comme il est certain que j'aurais une pensée pour toi à chaque match de notre équipe de cœur, je ne pourrai pas m'empêcher de penser à ta réaction face à une nouvelle console ou un nouveau jeu. Toi le contemplatif, toi le gameur, toi mon papa.