Mi 2011, une première vidéo d'Adrift, une exclu Sony qui s'était faite discrète jusqu'alors, leakait enfin sur le net. Le premier projet du studio français Dontnod est résolument ambitieux, le titre AAA se déroulant dans un Paris futuriste de toute beauté. Puis silence radio pendant une bonne année, avant de revenir à la Gamescon de l'an dernier avec un nouveau nom, un nouvel éditeur (Capcom) et un trailer qui donnait sacrément envie. Ma curiosité pour celui qu'il faudrait désormais appeler Remember Me s'est transformée en impatience suite au podcast de Gameblog où deux des fondateurs de Dontnod, Jean-Maxime Morris et Aleksi Briclot, respectivement Directeur Créatif et Directeur Artistique du studio parisien, étaient invités pour parler de leur bébé.

 

Une douzaine d'heures après avoir bouclé cette belle aventure, quel souvenir m'a-t-elle laissé?

 

L'action se déroule à Néo-Paris en 2084, une époque où les souvenirs sont devenus échangeables et se trouvent au coeur de l'économie. Malheureusement, cette numérisation de la mémoire et son commerce finit par dégénérer : voleurs ou remixeurs de mémoire, junkies du souvenir et grosses corporations pas gentilles précipitent la capitale française dans un bordel sans précédent. Dans ce chaos totalitaire, on incarne Nillin, ancienne chasseuse de souvenir condamnée à se faire effacer la mémoire au coeur de la Bastille, qui a au passage retrouvé son rôle de prison. Mais les talents de la belle sont prisés, il serait dommage de les perdre via un formatage... Comme par miracle, juste avant la dernière phase du processus elle va se faire aider, s'évader et commencer un périple sur les traces de ses propres souvenirs à travers un Paris futuriste et pas toujours amical. 

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D'entrée de jeu, la direction artistique en impose et j'avoue avoir eu du mal à suivre les dialogues tellement mon attention se focalisait sur le décor futuriste dans lequel se réveille notre héroïne métissée. Alors que le jeu tourne sous l'inévitable Unreal Engine, on est paradoxalement très loin des clichés habituels propres à ce moteur, où d'habitude le gris, l'ocre et les tons ternes ont la part belle. Les graphistes de chez Dontnod ont vraiment su transcender leur outil, jusqu'à ce qu'il soit méconnaissable la plupart du temps. Ainsi, les 8 niveaux bénéficient tous dune patte graphique unique: des néons blafards des bidonvilles aux devantures bigarrées des magasins de la Place Saint-Michel en passant par la finesse des toits Haussmanniens, chaque endroit jouit de sa propre ambiance, et tous les lieux visités sont prétextes à des longs moments de contemplation. Si l'Unreal Engine accuse son âge et n'octroie pas à Remember Me une technique irréprochable, artistiquement le jeu reste une pure merveille. Ce voyage au coeur de Néo-Paris est un véritable délice pour les amateurs de science-fiction ; et bien que parée d'artefacts futuristes, la capitale garde son charme séculaire, rendant cette vision de l'année 2084 crédible et attractive malgré le chaos latent. 

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Souvent discret mais toujours juste, l'habillage sonore du jeu propose quelques thèmes marquants, notamment lors des moments forts du jeu où le thème principal nous prend vraiment aux tripes. Par contre, les doublages ne sont pas toujours à la hauteur, voire carrément à côté de la plaque en français, où le manque de conviction des doubleurs fait réellement peine à entendre. Peut-être qu'eux non plus n'ont pas réussi à se passionner pour un scénario qui sonne parfois tristement creux? Pétrie de bonnes idées, idéalement servie par un univers cohérent et un background profondément développé, l'histoire de Remember Me n'arrive malheureusement jamais à la hauteur de ce que laisse présager son riche environnement. Le rythme n'est pas toujours bien maîtrisé, les enjeux et les personnages, tous stéréotypés, étant aussi prévisibles que les menus rebondissements de la trame principale. N'ayons pas peur des mots, c'est pour moi le principal défaut du jeu. Bénéficier d'une telle direction artistique et d'un playground si prometteur pour au final sortir une histoire si fade, c'est réellement regrettable. Pour autant, tout n'est pas à jeter et certains points comme le traitement des souvenirs restent intéressants, mais rien de franchement... mémorable. Le jeu en lui-même pioche ses influences chez Assassin's Creed, ou encore Batman Arkham, de jolis noms sur le papier mais le mélange ne s'avère pas toujours digeste. A la licence phare d'Ubi, Remember Me prendra les habilités de parkour des tueurs encapuchonnés ; ainsi Nillin évoluera souvent entre corniches, tuyauteries et rebords de toits. Pas franchement originaux ni super marrants à jouer, ces passages ultra assistés seront surtout l'occasion de profiter des magnifiques paysages de Néo-Paris. A l'homme chauve-souris, notre héroïne empruntera le système de combats, histoire d'en découdre vaillamment avec les nombreux ennemis rencontrés. Et j'ai trouvé ces phases plutôt inspirées, avec des subtilités assez fines pour varier ses combos. Ainsi, Il existe 3 types de coups: normaux, ceux qui régénèrent la vie, ou ceux qui remplissent la barre de Super attaques. Sur PlayStation 3, ces types de coups peuvent être soit un «carré», soit un «triangle», qu'on insère ensuite dans un combo prédéfini de 3, 5, 7 ou 9 coups. Concrètement, le combo de base «carré carré carré» peut être composé de 3 coups d'attaque, 3 coups qui redonnent de la santé ou de la jauge de Super, un mix entre ces trois là... Personnalisable intelligemment en fonction des coups débloqués avec de l'Xp, ce système de combos, une fois maîtrisé, est terriblement efficace et permet de jongler entre les besoins de Nillin selon qu'elle soit mal en point ou en attente d'un des 5 Super, souvent seul moyen de venir à bout de certains ennemis. 

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Le timing aussi rappelle Batman, en étant un peu moins permissif et quelque fois aussi un peu plus brouillon, à cause d'une caméra qui peut se montrer capricieuse dans les environnements clos - rien de bien pénalisant, rassurez-vous. Les esquives sont essentielles, et vers la fin du jeu quand les ennemis se multiplient mieux vaut bien gérer ses combos et ses Super pour ne pas avoir à trop en baver. Une réflexion est ainsi nécessaire, autant dans la composition des combos que dans leur utilisation. C'est un aspect bienvenu, car dans le feu de l'action les timings et enchaînements n'apportent aucune originalité. Heureusement, les ennemis sont suffisamment variés pour forcer le joueur à devoir constamment adapter ses coups et sa stratégie de combat, faisant de cette phase de jeu un des points forts du titre, malgré ce sentiment de déjà-joué que l'on retrouve de toute façon un peu partout dans Remember Me. Sauf bien-sûr dans ces fameuses séquences de Memory Remix, où les vrais talents de Nillin sont mis à contribution. Parfaitement en accord avec le coeur  du scénario, qui tourne donc sur l'éthique et les limites du partage de mémoire, ces phases de gameplay nous proposent de rentrer dans le souvenir d'un moment clé de la vie d'une personne et de le falsifier... Concrètement, on assiste à une sorte de cinématique de quelques minutes, souvent une scène dont l'issue est naturellement un élément clé de l'intrigue. Et c'est là que Nillin entre en jeu: à l'aide des sticks analogiques, la séquence est rembobinable à souhait, et plusieurs éléments du décor apparaissent furtivement en surbrillance, signe qu'on peut interagir avec ; si le joueur décide de le faire, le souvenir se retrouve ainsi légèrement modifié... Renverser un gobelet dans une voiture, détacher la ceinture du passager ou fissurer le pare-brise... en trouvant la bonne combinaison de modifications, on parvient enfin à altérer le souvenir de notre victime et changer la façon dont il perçoit cet évènement. 

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Parfaitement bien conçues et donc idéalement intégrées à la problématique soulevée par l'univers du jeu, ces phases amènent d'énormes bouffées d'air frais dans un cheminement classique et sans réelle surprise. Malheureusement, elles sont trop peu nombreuses (4 seulement) et trop courtes pour ne pas laisser le joueur sur sa faim. Alors qu'on aurait très bien pu se passer de grimpettes et éventuellement de quelques combats, les Memory Remix sont eux essentiels, ils relient enfin le joueur à l'excellent background dans lequel il évolue, rendant ces phases uniques et profondément marquantes. Qui sait ce qu'aurait été le jeu si les développeurs avaient axé le coeur du gameplay sur ces passages là au lieu d'en faire des phases accessoires... Car à vouloir faire de Remember Me un jeu d'escalade, un beat'em all et un remixeur de souvenir à la fois, les développeurs se sont sans doute éparpillés là où l'action aurait du être centrée sur les passages les mieux réalisés, les plus fun à jouer et surtout les plus emblématiques. Avec un univers aussi original, servi par une direction artistique impeccable, pourquoi ne pas avoir tenté une approche un peu plus osée que celle qui nous est servie? Au final, si Nillin est une chasseuse de souvenir, cet aspect n'est que peu mis en avant au cours de la douzaine d'heures de jeu. Plutôt que de fouiller dans la tête des gens, elle passe ainsi beaucoup plus de temps à grimper et à se battre! Ces passages, pourtant bien foutus dans les combats notamment, sont souvent hors-propos, et à force de les enchainer on finit par inéluctablement s'en lasser. Surtout, ils entravent l'épanouissement total de ce si prometteur background, qui aurait pu à mon sens s'exprimer dans toute sa splendeur si le Memory Remix avait été au coeur du gameplay. Cela impacte aussi le scénario, bridé et vulgarisé pour coller au feu de l'action, alors qu'une fois encore le jeu avait les meilleurs bases possibles pour se poser comme une référence du genre. En fin de compte, on se retrouve avec une mielleuse et manichéenne critique de la société, des personnages sans relief et des enjeux pas forcément excitants pour le joueur, alors que les idées de base auguraient quelque chose de nettement plus profond, et que le jeu démarrait sous les meilleures auspices. Dommage.

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Et pourtant, malgré tous ces accrocs, Remember Me est un jeu qui m'a profondément plu. Sa fabuleuse direction artistique donnant vie à un univers parfaitement cohérent et varié, ses bonnes intentions de gameplay et ses phases de Memory Remix lui confèrent des qualités sincèrement  appréciables. Au final, c'est un jeu agréable à parcourir, bien réalisé, équilibré et assez varié pour accompagner le joueur jusqu'au bout sans le lasser. Mais impossible pour moi de ne pas penser que le jeu avait toutes les cartes en main pour faire beaucoup mieux ! Son développement compliqué a certainement poussé les développeurs à faire des choix qu'on peut légitimement comprendre, à défaut de pouvoir les contester. Dontnod a-t-il vu trop grand pour un premier jeu? L'enjeu financier, si crucial pour un jeune studio, a-t-il eu raison du jeu tel qu'il aurait du être? En tout cas, mener à bien un projet aussi ambitieux quand on sort de nulle part est de toutes façons une initiative à saluer chaleureusement. J'espère de tout coeur que Remember Me connaitra une suite, car en focalisant son gameplay et son scénario sur les très bonnes idées entraperçues ci et là, il y a vraiment moyen d'en faire un très grande saga. Si Remember Me n'est «qu'un» bon jeu, il ne faut garder en tête que le studio Dontnod est jeune et que peu de sorties sont au final aussi soignées. 

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Ps: j'espère que personne n'aura modifié le souvenir que j'ai de ce jeu ! 

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