Dans le Larousse, la quatrième définition du mot jeu est la suivante : "Activité de loisir soumise à des règles conventionnelles, comportant gagnant(s) et perdant(s), et où interviennent les qualités physiques ou intellectuelles, l'adresse, l'habileté ou la hasard". La première définition parle de divertissement, ce qui revient à "activité de loisir". On peut donc en conclure sans interprétation alambiquée qu'un jeu vidéo répond aux mêmes définitions, tout en se déroulant sur un écran.

Il semble donc que si un jeu ne comporte pas de notion d'échec (gagnant(s) ou perdant(s) ), nous ne sommes pas face à un jeu, mais face à autre chose qui n'a pas encore de nom.

La direction artistique

Il y a parfois des jeux vidéo qui, par leur absurdité même, nous font nous poser des questions. Prenons par exemple Super Mario Bros. C'est aujourd'hui le héros de jeu vidéo le plus connu, si bien qu'on ne le voit plus vraiment tel qu'il est ; un plombier italien bedonnant, écrasant champignons et tortues, pour délivrer une princesse de conte de fée... Si nous sommes honnêtes, nous serons d'accord sur deux choses ; d'une, la direction artistique semble être le fruit d'un concepteur sous LSD (ou japonais, ce qui est souvent équivalent), de deux, l'histoire est minimaliste jusqu'au misérable.

Pareil pour Street Fighter 2. Les personnages ont chacun des motivations, il y a même un passé entre Ryu et Sagat, d'un ridicule embarrassant. Quel intérêt pour un jeu de combat ? C'est en fait la direction artistique qui nous met sur la voie. Souvenons-nous que les protagonistes représentent leur pays. Honda le sumo japonais, Chun-Li la chinoise, Guile le militaire, Dhalsim le yogui, Balrog le boxeur de Las Vegas, etc. Des personnages caricaturaux à l'extrême, mais avec des origines ciblées, et une allure facilement identifiables. D'ailleurs sur Street Fighter 2, les nationalités étaient importantes, on voyait la carte du monde au-dessus des personnages à sélectionner.

Fatal Fury, concurrent de Street Fighter 2, répondait plus ou moins à la même logique de personnages identifiables facilement, et par quartier. Le cool Terry Bogard et son frère plus maître de lui sont comme les jumeaux de Ryu et Ken. On y retrouve un boxeur, et l'adepte du Tae Kwon Do s'accrochant à des barres rappelle Vega et sa grille. Zangief a aussi son double (dont j'ai oublié le nom), tout comme Sagat à travers Joe Higaishi.

Personnellement, il me semble évident que ces jeux-là n'ont pas été réfléchi en profondeur, qu'il n'y avait pas de totale volonté artistique derrière. Ce sont des essais de laboratoire. On établit les bases sans en être véritablement conscient. Au lieu de se perdre dans les affres de la création métaphysique, les choix relèvent en fait plus souvent du bon sens, ou du moins du côté pratique. Pour les jeux de combats ? Personnages facilement identifiables, avec un décor qui leur correspond. On pioche ensuite dans ce qui est disponible ; boxeur, karatéka, ninja, robot, et on les différencie un maximum grâce aux différentes nationalités. C'est le cas aussi de World of Heroes, d'Art of Fighting.

L'histoire

L'histoire dans un jeu vidéo doit procéder de la même manière. Miyamoto ne s'est sûrement jamais dit qu'il fallait absolument une histoire dans Super Mario Bros. Plus probablement en a-t-il créé une sans même y réfléchir, ce qui expliquerait de nombreuses choses, à commencer par cette direction artistique hallucinante ! D'ailleurs, peut-on véritablement parler de direction artistique pour Super Mario Bros ? Plus que les différences entre les jeux, ce sont les ressemblances qui sont évocatrices. Mario Bros, Sonic et Alex Kidd, même combat. Des univers plus ou moins curieux, des ennemis de base qu'on écrase, des boss en fin de niveau, et des histoires qui ne servent que de prétexte, mais à quoi ?

Ce qu'on a établit en premier lieu, je crois, c'est le gameplay, les règles du jeu pour chaque genre, et chaque jeu. L'habillage autour est encore secondaire à cette époque-là, maladroit. On varie les décors tout de même, encore une fois par, il me semble, bon sens, pour ne pas lasser le joueur, pour le divertir en continu. D'où Sonic passant par des casinos... D'où Mario qui nage au milieu des méduses... Mais ce n'est pas vrai pour tout le monde. Metroïd et Zelda répondent déjà à un souci plus aiguë de cohérence entre visuel et gameplay. Pareil pour Double Dragon. Scénario minimaliste, Billy doit casser la gueule à toute une ville pour libérer sa soeur kidnappée par un méchant. On évolue donc dans des décors urbains, avec de petites frappes qui ressemblent à des loubards des années 80.

Consciemment ou non, les concepteurs nous proposent toujours une histoire où l'on devra faire face à l'adversité. L'histoire est là pour nous motiver, donner un sens à nos actions. C'est pour cela que les jeux à scoring tel que The Club sont de moins en moins motivants, et donc moins populaires de nos jours, car les graphismes étant beaucoup plus élaborés, on attend souvent la même chose de son histoire et de son univers. Les jeux à scoring, d'après moi, se prêtent mieux à des concepts minimalistes, comme par exemple les jeux qu'on trouve sur le X-Box Live ou le PSN, tels les jeux de flipper ou les casse-briques.

C'est également pour cette raison qu'un Street Fighter 4 est moins prenant en solo qu'en multi. En multi, l'adversité est exarcerbée ; c'est notre frère, c'est ce connard sur Internet qui fait toujours les mêmes coups et qu'on rêve d'étaler au sol, c'est une intelligence capable d'apprendre, d'évoluer, de s'adapter (quoique pas toujours...). D'ailleurs, que le jeu repose sur de l'apprentissage, ou sur des règles hasardeuses comme les Mario Party où les retournements de situations sont légion, c'est surtout la compétitivité qui est au coeur du concept. Aujourd'hui, le maigre filet scénaristique de Street Fighter 4 ne suffit plus. Si l'on joue seul, ce sera pour s'améliorer dans le but de futurs combats contre une autre personne vivante et concrète. Ceci est une règle générale, qui ne s'applique bien entendu pas à tous, mais je pense qu'on joue rarement à ces jeux-là seul. On aurait besoin d'une compétitivité mieux soulignée par le scénario pour prendre du plaisir à des parties solo.

C'est moins le cas pour les jeux de sport ou d'automobiles. Pourquoi ? D'après moi, ce sont des genres qui mettent en avant la compétition de manière plus claire, qui s'y prêtent mieux. Fight Night n'a pas besoin de prétexte scénaristique. On sait que le but du jeu, ce sera de devenir champion du monde, tout comme on sait que dans Burn Out, le but est de terminer à la première place. Dans un univers plus fantasiste tel que Fatal Fury ou Mortal Kombat, les motivations sont plus floues, l'objectif incertain, d'où le besoin, chez les concepteurs, d'inventer une histoire pour, je crois, justifier leur jeu, et le besoin chez le joueur d'évoluer à travers une trame, de jouer, mais aussi, en jouant, de participer activement à une histoire.

Des jeux sans gameplay ?

Il est bien évident que l'histoire a son importance dans un jeu vidéo (du moins dans beaucoup de genres), et que mieux elle est racontée, plus le jeu est plaisant. Le gameplay, lui, n'est pas important ; il est capital. Sans scénario, sans musique, un jeu vidéo est encore un jeu vidéo, bien que potentiellement tristounet. Mais sans gameplay... Qu'est-ce que le gameplay ? Déjà, un anglicisme derrière lequel on peut mettre tout et n'importe quoi (et certains ne s'en privent pas). Disons que pour faire simple, la plupart des joueurs entendent par le mot gameplay l'ensemble des interactivités possibles avec l'univers du jeu, à travers un réseau d'épreuves et de défis, donc de difficulté, ou du moins de situations à résoudre. En somme, pour faire encore plus simple, le gameplay, c'est tout ce qui concerne la notion de "jeu", un mot sale aujourd'hui, qui répugne à toute une tranche de joueurs "matures, profonds et adultes".

La pertinence d'un gameplay va s'évaluer sur des aspects très concrets. Pas sur nos émotions, notre ressenti, nos états-d'âme, notre petite subjectivité chérie avec amour qu'on étale à longueur de blog, mais sur la prise en mains des commandes du jeu, son intuitivité, l'architecture des niveaux, l'IA des ennemis, etc. En somme, sur la façon dont le jeu a été élaboré. On peut bien entendu être parfaitement insensible à un jeu réussi tout comme on peut prendre plaisir à un jeu mal pensé. Mais en général, plus le jeu est réussi, plus il a de chances de nous faire ressentir des émotions. Par contre, plus il cherchera à nous faire ressentir des émotions, plus le public sera divisé. Uncharted 2 met pratiquement tout le monde d'accord sur le gameplay des gunfights. On pourra toujours dire que c'est un jeu débile se résumant à "Pan t'es mort !", mais il me semble que pour gérer les gunfights dans les difficultés les plus hautes, il ne faut pas être si débile que cela. Flower, Heavy Rain, c'est déjà plus divisé, et souvent dans les extrêmes.

Le jeu vidéo mute

Flower et Heavy Rain ne font pas évoluer le jeu vidéo, d'après moi, ils le modifient à la racine, à sa base. Ils proposent autre chose que du "jeu", même s'ils en conservent des aspects, d'où la difficulté de les définir et de les classer. On passe d'une notion de gameplay à une notion d'interractivité. Par exemple, dans Heavy Rain, d'après ce que j'en ai lu (je n'y ai pas joué à part en démo), l'échec n'existe pas véritablement. On peut rater une action, mais l'histoire continuera quand même, suivant un embranchement plutôt qu'un autre. On arrivera à la fin (laquelle ?) quoiqu'il arrive.

Le modèle classique du jeu vidéo est plutôt le suivant ; soit on gagne, soit on échoue et on recommence. Parfois il y a des étapes intermédiaires, par exemple le jeu résoud à notre place une énigme pour qu'on puisse continuer à jouer (comme dans Castlevania Lords of Shadows) mais en nous attribuant un malus. Nous ne gagnons pas d'expérience, ou l'objet bonus, ce qui peut nous encourager à faire mieux la prochaine fois. Au fond, pouvoir suivre l'histoire d'un jeu vidéo fait partie des récompenses. Mieux on fouille les niveaux de Bioshock, plus on en apprendra en trouvant des enregistrements. Il y a même une époque, sur PS1, où les cinématiques de Final Fantasy étaient le must de la gratification. C'était limite la coupe de champagne !

Aujourd'hui ce n'est plus toujours le cas. On a parfois des jeux qui semblent faire les choses à l'envers, introduisant du gameplay pas forcément très intéressant pour nous permettre de suivre une histoire, nous "la faire vivre", ou nous "mettre dans la peau du héros", comme disent les concepteurs. Par exemple, dans Batman Arkham Asylum, on peut "enquêter", comme Batman dans les comics. Seulement dans le jeu, enquêter se résume à changer de vision, et à suivre des petits nuages de fumée représentant des effluves de cigare ou de parfum... C'est déjà beaucoup mieux pensé dans Metal Gear Solid 4 où l'on devra faire une chose équivalente pour suivre des traces de pas, qui bientôt se séparent et où la situation devient un véritable casse-tête.

Si la possibilité d'échouer n'existe pas, le jeu n'existe pas non plus. De même qu'à trop simplifier ou automatiser les situations, on peut se sentir lésé. Plus importante que la notion de difficulté, je crois que le gameplay nous sert à résoudre des situations, et que la pertinence de cette participation se mesure à son intérêt, aux aspects que l'on doit gérer. Lorsque je fais face à des pirates dans Uncharted, Drake, c'est moi à ce moment-là, c'est moi qui doit gérer mon stock de munitions, ma santé, mon abri qui se détériore. Lorsque j'appuie sur un seul bouton dans Assassin's Creed 2 et qu'Ezio saute d'un toit, fait un salto et trucide deux gars en même temps, ce n'est plus vraiment moi qui joue. J'ai participé jusqu'au bord du toit, et mon avatar a fait tout le reste...

Pour conclure

Je crois que l'histoire, en plus d'encadrer notre aventure et de nous motiver à aller jusqu'au bout, sert aussi à nous raconter ce qui n'est pas forcément intéressant à jouer. Par exemple, les scènes d'action d'un Final Fantasy sont très sympas en cinématiques, car on ne les envie pas, le gameplay étant passif. Au contraire, certains passages scénarisés des Metal Gear Solid sont très frustrants, car on aurait voulu les jouer.

Puis il y a aussi la formule Resident Evil 4, qui vous met l'eau à la bouche avant de vous jeter dans le coeur de l'action. Il souligne l'épreuve qui nous attend, il exacerbe le sentiment d'adversité. Chaque nouvel ennemi sera présenté par une très courte cut-scene, chaque boss est annoncé en douceur pour faire monter la tension, comme ces bruits menaçants derrière les portes géantes qui renferment le troll qu'on combattra bien plus tard.

Au fond, si la plupart des jeux ont des histoires, c'est parce qu'elles complètent le gameplay, elles lui donnent idéalement tout son sel, que ce soit en soulignant les enjeux, ou on nous récompensant de suivre la suite de l'aventure.

Les histoires restent malheureusement souvent le point faible des jeux vidéo, encore aujourd'hui. Loin d'être mieux racontées la plupart du temps, elles sont les victimes d'expérimentations qui manquent de bon sens, et en viennent à nuire au plaisir. Combien sont anti-immersives les structures de l'Animus dans Assassin's Creed 2, combien cette Renaissance si bien retranscrite dans les décors est massacrée par l'apparition des lignes blanches, par ce rappel brutal qu'on est juste dans un jeu vidéo dans le jeu vidéo...