Premiers éléments de réponses dans le générique de fin du jeu : le danois Martin Stig Andersen porte deux casquettes, celles de sound designer et de compositeur. Limbo s'inscrit dans une étrange dichotomie. Entre le firmament laiteux et les ténèbres macabres, se dessine un monde flou, dégradé. Le son est uniforme, monocorde, entre mécaniques sourdes et sons atonales. "Comme Limbo ne ressemble pas à un jeu vidéo classique, nous voulions un audio non conventionnel. Le visuel est très rétro, non pas dans le sens du jeu vidéo, mais plus dans le sens de films. Il nous a semblé évident de trouver l'inspiration dans les soundtrack du cinéma des années 30." Le compositeur a adopté plusieurs caractéristiques de ces films qui sont entrés dans l'air du sonore petit à petit.

Au début des années 30, le son est une révolution dans l'industrie cinématographique, mais les cinéastes l'utilisent avec parcimonie. Le montage restait fortement influencé par le muet, et le son apparaissait comme quelque chose de difficile à appréhender entre les bruitages et la musique.  Limbo prend le partie d'une bande son très minimaliste avec l'usage fréquent du quasi silence enrobé dans une texture sonore vivante, homogène, sourde. "Comme avec l'aspect visuel, le manque de clarté sonore et l'ambiguité dans la relation entre l'audio et les éléments visuels laissent la porte complètement ouverte à l'interprétation des joueurs."

 


 

 

La musique dans le sound design et vice versa

 

Martin Stig Andersen a su créer un environnement sonore complètement cohérent, où les éléments ont le rôle de musique et de sound design simultanément. Il n'y a pas de pistes musicales séparées, ce qui signifie que les joueurs ne peuvent pas  modifier la balance entre les effets sonores et la musique de fond. C'est  une expérience cinématographique, où il est impossible de toucher le mix son. Le compositeur n'en est pas à son coup d'essai dans ce domaine. Diplômé de la Royal Academy of Music in Aarhus, au Danemark, Andersen a étudié les installations sonores et les performances électro-acoustiques. Il évolue dans un milieu où artistes vidéo, musiciens, et jeux se côtoient et il conçoit l'audio comme une unique discipline entre la musique et le sound design.

 

Ce compositeur a travaillé sur plusieurs films dont le court métrage Rocketman de Jacob Ballinger à partir duquel il a écrit une thèse sur le rapprochement entre le sound design et la musique et les correspondances entre l'audio et le visuel. Il évoque notamment le cas des films de science-fiction dans lesquels l'articulation forte entre le visuel, le sound design, et la musique fait naître l'identité du film. "En manoeuvrant dans le terrain  des correspondances globales entre l'identité, le temps et l'espace, il est possible d'ouvrir la porte des relations audiovisuelles" conclue t'il dans sa thèse. Pour son travail sur le son de Limbo, il a remporté le "IndieCade Sound Award 2010". Il faut dire que les jeux qui proposent un environnement sonore si singulier sont plutôt rares. 

 

 

Hardware vintage pour sons crasseux 

 

L'audio et la musique forment une sorte de composite homogène. Pour donner à l'audio, un aspect contemporain et spacieux, des sons monophoniques ont été juxtaposé avec des versions crasseuses stéréophoniques des même sons,  afin d'obtenir un espace sonore nébuleux. "Nous voulions dégrader les sons de sorte qu'ils correspondent avec l'aspect épuré de la physionomie de notre monde. Cela a été permis en générant les sons à travers d'antiques enregistreurs et des équipements obsolètes."  L'aspect dérangeant de la bande son a été créé en appliquant un transformateur de Fourier rapide aux sons distordus originaux.  Le compositeur a généré des sons barbouillés, sales,  organiquement tissés dans le paysage sonore. Manette en main et casque sur les oreilles, le joueur est transporté dans cet univers altéré, dans cette sorte de réalité parallèle "Avant, je me sentais confiné en créant des musiques qui s'exprimaient en mélodies. J'aime penser aux choses que l'on associe avec les grands espaces, et les utiliser comme un orchestre. Les sons naturalistes auraient détruit Limbo. Je ne voulais pas utiliser une musique ordinaire en arrière plan." 

 

 

A pas du néant

 

Dans l'idée d'établir un environnement silencieux, Martin Stig Andersen et Playdead ont décidé que le son du protagoniste devait être relativement fort. Et le son du protagoniste, est avant tout constitué de bruits de pas. La démarche de l'enfant résonne, occupe tout l'espace. Il a fallu constitué un panel large de bruits de pas. "En plus de créer des "packs" de sons pour plus d'une douzaine de sols différents, nous avons séparé chaque sample de bruit de pas avec des composantes de talons et orteils. Cela nous a permis de créer plus de variations de sorte que chaque son de chaque catégorie peut être combiné au hasard."  Les bruits de pas disparaissent dans les moments plus abstraits, pour laisser tout l'espace sonore au vent qui souffle, à la roue qui grince, au piège qui claque...

 

Plus largement, les développeurs souhaitaient que le son aide à focaliser l'attention du joueur sur certains objets. Cette technique est représentative de la manière dont étaient mixés les anciens films. A cette époque, un nombre limité de pistes audio étaient disponibles pour les sound designers, donc ils étaient forcés de décider à chaque instant quel objet devait déclencher un son, car il prenait tout l'espace. Dans Limbo aussi, tout est question de place. Quelle place de la vie ou de la mort doit-on attribuer au personnage? Quelle place doit-on donner à l'ambiance sonore? Est-ce de la musique? Est-ce du bruit ? Mais après tout, les limbes ne sont qu'un lieu transitoire, où nul ne demeure éternellement. Personne n'y trouve de place définitive.